Dans Un long chemin parcouru. Mémoires d’un enfant soldat (Presses de la Cité, 2008)   , Ismael Beah raconte son expérience de la guerre au Sierra Leone en tant qu’enfant soldat et également son "réapprentissage" de la "vie normale". Aidé par une ONG et ensuite adopté par une famille américaine, Ismael Beah a eu une opportunité de se reconstruire que beaucoup d’autres enfants soldats n’ont pas.

En effet, dans de nombreux conflits autour du monde, République du Congo, Birmanie, Afghanistan ou Somalie actuellement, les armées, régulières ou guérillas, recrutent des enfants soldats. Leur situation est condamnée par les principales organisations internationales, comme l’ONU et son Bureau du Représentant Spécial du Secrétaire Général pour les Enfants et les Conflits Armés ; elle est également diffusée par des témoignages comme celui de Ismael Beah ou celui de Senait Mehari, Cœur de feu. J’étais une enfant soldat (L’Archipel, 2008) ainsi que des romans comme Allah n’est pas obligé, de Kourouma Ahmadou (Points 2002). Cependant, la question de leur retour à la vie civile est moins souvent soulevée. Le trimestriel Alternatives Internationales a choisi, dans son numéro de juin 2010 de présenter un dossier sur ce sujet : "Enfants soldats : un difficile retour à la vie civile".

Le dossier présente des exemples en Birmanie, au Libéria, au Népal et en Sierra Léone, et montre les difficultés que rencontrent les anciens enfants soldats, garçons et filles, pour se réinsérer dans la vie sociale et réintégrer leur famille et leur communauté. Après avoir souvent passé plusieurs années dans l’armée, ces enfants, qui ne sont pas allés à l’école, doivent trouver un moyen d’apprendre un métier et d’apporter une contribution à leur communauté.
Souvent traumatisés par leur passé, certains, mais pas tous, reçoivent l’aide d’ONG leur prodiguant des soins et des formations. Un article présente ainsi le travail de certaines organisations au Libéria qui tentent de réinsérer ces enfants dans la vie active civile, souvent en difficulté puisque le pays, en reconstruction, offre peu d’emplois et le chômage des 17-35 ans y est de près de 90 %.

Plusieurs articles du dossier reviennent également sur les problèmes que rencontrent les anciens enfants soldats à "se faire pardonner" par leur famille ou leur communauté. Pour celles-ci, ils représentent souvent des menaces car certains étaient partis volontairement s’engager dans l’armée pour fuir des situations familiales ou sociales violentes ; le retour à la vie civile représente souvent un retour à la soumission face à l’autorité familiale, patriarcale, et villageoise. Ainsi, l’exemple de Sangita, au Népal : elle s’était enfuie de son village pour se joindre à la Brigade des femmes maoïstes. Elle a ensuite refusé à son retour les "rituels pour se purifier" qui l’auraient faite renier ses engagements pour l’égalité entre hommes et femmes et l’auraient forcée à retourner sous l’autorité de son père : "pourquoi prendrais-je part à un rituel qui est censé effacer tout ce pour quoi je me suis battue ?".

Les filles/femmes qui retournent dans leur village après la guerre en étant enceintes ou ayant des enfants sont souvent rejetées par leur communauté, et leurs enfants, souvent nés de viols, également. Au Sierra Leone, ces enfants sont désignés comme des "rebel pikindem" ("enfants rebelles") et considérés comme de la "mauvaise graine" car leur sang serait "malfaisant". Les femmes et filles sont en effet souvent victimes de viols et autres violences sexuelles durant les conflits, et leurs enfants en pâtissent longtemps après. Rejetés dans leur famille et leur communauté, et élevés par des mères souvent très pauvres, leur avenir est également assombri : "L’idée que les rebel pikindem sont intrinsèquement fauteurs de troubles risquerait alors de devenir une prophétie autoréalisatrice", selon Chris Coulter, auteur de l’article sur le Sierra Leone "Quand les enfants paient pour leur père".

Ce dossier présente bien la complexité des situations des anciens enfants soldats qui cherchent à retrouver une vie normale tout en restant intégrés à leurs communautés. Selon Michael Wessels, psychologue interviewé dans le dossier, il reste important de ne pas stigmatiser ces enfants ou jeunes adultes uniquement comme "enfants soldats" et les intégrer dans des programmes ne leur étant pas uniquement destinés

 

* "Enfants-soldats : un difficile retour à la vie civile", Alternatives internationales, juin 2010.


A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Une recension croisée de Cœur de feu. J’étais une enfant-soldat, de Senait Mehari et Un long chemin parcouru. Mémoires d’un enfant soldat, de Ismael Beah, par Christophe Saint-Martin.