Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution de Julia Cagé sur les politiques de rigueur en Europe.




Depuis quelques semaines, les plans d’austérité se multiplient partout en Europe, que ce soit en Italie, au Danemark, en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni, en Grèce, en France ou encore en Allemagne. Comme s’il devenait tout à coup indispensable de revenir à 3 % de déficit public. Comme si les Etats cédaient tout à coup à la pression des marchés et des agences de notation. Comme si ? Non, parce que c’est bien ce qu’ils font. Alors qu’il n’est bien évidemment – nous y reviendrons – pas indispensable de revenir d’ici seulement un ou deux ans à ces fameux 3 %, alors qu’il est dangereux de vouloir y revenir trop vite alors même que nous ne sommes pas encore sortis de la crise, ce sont bien les agences de notation et la pression des marchés qui semblent avoir fait perdre la tête à nos dirigeants européens. Quelques données sur ce qui est en train d’être fait.

La Grèce tout d’abord, puisque c’est par elle que tout a commencé. La Grèce qui, après un premier programme d’économie de 4,8 milliards d’euros pour 2010, a consenti, en échange de 110 milliards d’euros d’aide internationale, à faire 30 milliards d’économies supplémentaires d’ici 2012, avec pour objectif de ramener le déficit budgétaire de 14 % en 2009 à 3 % en 2014. Les mesures annoncées sont une hausse de la TVA et des taxes sur les carburants, l’alcool et le tabac, un gel des salaires dans le secteur public, et une baisse de 7 % en moyenne des pensions de retraite. Autrement dit des mesures qui vont réduire le pouvoir d’achat des citoyens, donc la demande, et vont entraîner sans doute une forte récession de l’économie.

Mais les Grecs sont loin d’être les seuls à jouer à ce jeu dangereux. L’Italie a ainsi annoncé un plan d’austérité de 24 milliards d’euros (soit 1,6 % du PIB) avec, du côté des dépenses, un gel de trois ans des salaires des fonctionnaires et une réduction de 10 % des dépenses des ministères, et du côté des recettes, un renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale et une augmentation de la fiscalité sur les stock-options et sur les bonus des hauts dirigeants d’entreprises privées (soyons objectifs, tout n’est pas noir, et on ne peut que se réjouir des mesures italiennes portant sur les recettes – et s’interroger par là-même sur la raison pour laquelle la plupart des autres pays européens se sont contentés de mesures de réduction des dépenses…). Ces mesures doivent permettre au gouvernement de tenir son engagement de ramener le déficit public à 2,7 % du PIB en 2012 (2,7, pas 3, les critères de Maastricht, c’est connu, sont bien trop laxistes !) contre 5,3 % en 2009.

Le plan danois vise lui aussi à ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB d’ici 2013, contre les 5,5 % prévus en 2010, avec des économies totales de 3,2 milliards d’euros d’ici à 2013. Les différentes mesures prévues par ce plan sont la réduction de quatre à deux ans de la durée maximale d’indemnisation du chômage (adieu flexicurité tant vantée par tous les pays occidentaux), un gel de l’aide au développement durant trois ans (on ne peut que le regretter, mais reconnaissons tout de même qu’en matière d’aide, le Danemark est l’un des rares bons élèves de la communauté internationale), un plafond pour les allocations familiales, la suppression d’allègements fiscaux et la baisse de 5 % des salaires des ministres (cette mesure-là est surtout symbolique, mais on ne peut que s’en féliciter – après tout, s’il faut se serrer la ceinture, autant que tout le monde soit logé à la même enseigne).

L’Espagne – à qui le FMI demande des réformes "urgentes", notamment de flexibiliser le marché du travail, de consolider le budget pour asseoir les finances publiques sur une base viable, et de consolider le secteur bancaire – a quant à elle annoncé des mesures d’austérité destinées à économiser 15 milliards d’euros en 2010 et 2011, avec la suppression dès cette année de 13 000 postes dans la fonction publique, une réduction de 5 % en 2010 et un gel en 2011 des salaires des fonctionnaires. Le gouvernement espère ainsi ramener le déficit budgétaire à 9,3 % du PIB cette année, et à 6 % en 2011, contre 11,2 % en 2009. Ce déficit devrait ensuite être ramené à 3 % du PIB d’ici à 2013. L’Espagne qui vient encore de voir sa note dégradée… Comment ne pas y voir la main des marchés ?

Le Royaume-Uni a pour sa part annoncé un plan de 7,19 milliards d’euros d’économies, afin d’endiguer l’énorme déficit public du pays, estimé à 181 milliards d’euros par an. Les principaux domaines touchés par les coupes budgétaires sont les agences non gouvernementales dont le financement devrait être réduit de 513 millions de livres ; les frais de fonctionnement (pourquoi pas, après tout, cela fera du bien aux ministres de marcher !) ; les recrutements dans la fonction publique qui seront gelés (avec également un risque de suppression de 300 000 emplois publics) ; et surtout (erreur majeure, nous y reviendrons) les ministères des entreprises et de l’innovation.

La France, qui n’a pas encore vraiment pris de mesures précises, a également annoncé une politique de "rigueur" (même si l’emploi du terme fait toujours débat au sein du gouvernement – mais la peur des mots n’empêche pas l’existence de la réalité, on se souvient du débat autour de l’emploi du terme récession) avec un gel des dépenses de l’Etat dans les trois ans à venir pour réduire les déficits, une baisse de 10 % des dépenses de fonctionnement et cinq milliards d’euros d’économies sur les niches fiscales.

Le Portugal a également annoncé un plan de rigueur (les mots y font moins peur – caractéristique socialiste ?), avec d’un côté une baisse des dépenses de l’Etat (une baisse des salaires des hommes politiques de 5 %, une gel des rémunérations des fonctionnaires jusqu’en 2013, et le plafonnement de nombreuses prestations sociales), et de l’autre une hausse de la fiscalité (hausse de la TVA d’un point de base – à 21 % pour le taux normal –, surtaxe de 2,5 % sur les bénéfices des grandes entreprises supérieurs à 2 millions d’euros, surtaxe extraordinaire, de 1 ou 1,5 % selon le niveau de revenu, qui frappera le revenu des ménages, vaste plan de privatisation). Ces mesures devraient permettre de réduire le déficit public portugais dès 2011 à 4,6 % du PIB contre 5,1 % selon les estimations précédentes.

En Irlande, une hausse générale de l’impôt sur le revenu va être adoptée. Les allocations sociales vont être plafonnées et les rémunérations des agents publics connaître une baisse de 5 à 15 %. Précisons ici qu’à la base de la théorie économique, tout au moins telle qu’on l’apprend chez Keynes, les travailleurs ne peuvent accepter une baisse de leurs salaires nominaux. Or c’est bien ce que de nombreux pays tentent d’imposer à leurs fonctionnaires. L’explosion sociale ne saurait tarder…

Enfin l’Allemagne – cerise sur un gâteau déjà bien chargé – entend économiser au moins 10 milliards d’euros par an jusqu’en 2016 afin non seulement de ramener son déficit sous les 3 % du PIB dès 2013 contre 5 % actuellement, mais d’atteindre le quasi-équilibre en 2016, à l’aide de hausses d’impôts et de réductions de dépenses, ainsi que d’une baisse des subventions de l’Etat.

Or quel va être le coût de toutes ces mesures en termes de croissance ? A court (sur la reprise) et à plus long terme ? Quelles vont être les conséquences de telles mesures d’austérité ?

A court terme, il est évident que l’austérité risque de faire bondir le chômage et d’amener la dépression – la Grèce prévoit ainsi une contraction du PIB de 4 % en 2010 et de 2,6 % en 2011 ! Or le taux de chômage des jeunes en Grèce s’approche de 30 %, et en Espagne il dépasse 44 % ! Le laisser augmenter relève du suicide social.

Aujourd’hui, il est évident que les Etas membres de l’Union ne s’en sortiront que si la croissance européenne revient. C’est pour cela qu’il faut soutenir l’économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur. Les théories économiques de la croissance nous apprennent à raison que pour stimuler la croissance, il faut utiliser des politiques contra-cycliques : autrement dit faire de la relance (de la dépense publique) en période de crise, et avoir recours à la rigueur en période de boom économique. Or si la période actuelle était une période de surchauffe nécessitant de ralentir l’économie, cela se saurait… Les mesures actuelles vont à l’encontre même des stabilisateurs économiques et ne pourront que brider une croissance déjà très faible…

Ainsi, alors que l’on reproche trop souvent au FMI sa "rigueur" justement, son président, Dominique Strauss-Kahn, a appelé les grands pays européens à ne pas se focaliser sur la réduction trop rapide des déficits budgétaires : "Il ne faut pas que les gros pays ralentissent trop vite, sinon on va casser la croissance ! (…) Il n’est pas écrit dans le marbre qu’il faille absolument qu’en 2012 ou 2013 on soit revenu à 3 %". De même, Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds, a souligné que le "risque est en l’occurrence que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l’austérité". L’Allemagne ne semble pas être en train de faire autre chose…

Et sur le plus long terme ? L’impact de la réduction des dépenses publiques sur la croissance de long terme dépend des secteurs dans lesquels l’on décide de couper. Or quand, comme le Royaume-Uni, on touche à l’innovation et à la recherche, ça ne peut qu’être préjudiciable en termes de croissance structurelle. Couper sur les budgets universitaires est une grave erreur de politique économique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Allemagne, qui prévoit pourtant des économies de 10 milliards d’euros par an, on l’a noté, a souligné que l’éducation nationale, la recherche et la protection sociale ne seraient pas concernées par les coupes budgétaires afin de ne pas diminuer les chances de renforcer le potentiel de croissance.

On m’a demandée récemment au sujet des plans de rigueur si nos dirigeants politiques – pourtant censés être si bien formés dans les plus grandes universités – étaient stupides. J’aurais bien aimé pouvoir répondre que non…