Un bon dossier, malgré certaines lacunes, qui présente les droits de l'homme de la Déclaration universelle aux pactes de 1966 et leurs pendants juridiques.

Que peut-on attendre d’un dossier ou manuel à "vocation […] pédagogique et non juridique"   , consacré aux droits de l’homme ? L’intention de l’auteur, Caroline Sägesser est ambitieuse, donner à saisir au profane comment "les droits de l’homme ont acquis ce caractère de quasi-universalité qui leur faisait défaut"   entre la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours.
 
En cinq chapitres, pour un ensemble d’une centaine de pages, l’objectif peut sembler démesuré. Pour partie, il est réalisé. Le lecteur rencontre dès l’abord une définition claire et précise des droits de l’homme, "droits innés de l’individu, qu’il possède indépendamment de toute reconnaissance par une autorité politique"   et sans considération pour le "contexte politique, géographique, culturel ou religieux"   dans lequel évolue la personne humaine. Sur cette base, l’auteur décrit l’ensemble des conventions et traités qui donnent un contenu au concept, ainsi que les institutions destinées à rappeler les droits de l’homme comme à les garantir.
 
La Seconde Guerre mondiale intervient comme un élément de rupture. A la suite d’un conflit marqué par les génocides et les crimes de masse, les droits de l’homme échappent aux quelques démocraties dans lesquelles ils étaient enfermés pour s’inviter dans les grands ensembles internationaux qui se dégagent des décombres. Il n’est plus question de coutume, comme le droit des gens commun aux peuples de la Méditerranée antique, toujours invoqué, mais jamais inscrit sous la forme d’une norme opposable et contraignante. De la Déclaration universelle des droits de l’homme aux pactes de 1966   , en passant par les Conventions de Genève, chaque texte est analysé. Les droits qu’il proclame sont énoncés, parfois dans les termes exacts si ceux-ci présentent une originalité, un apport particulier. Peu à peu, un paysage des droits de l’homme se dessine, et le lecteur apprend que, au fil des textes, comme la décolonisation et les évolutions des sociétés occidentales introduisent de nouveaux acteurs dans les relations internationales, donc de nouvelles revendications, le concept des droits de l’homme s’enrichit. Caroline Sägesser reprend alors le terme de "générations de droits"   , distinguant les droits civils et politiques ou "droits-résistance", de première génération, les droits économiques et sociaux ou "droits-créances" appartenant à la deuxième, les droits collectif à la troisième et notre temps voyant surgir, avec les menaces qui pèsent sur l’environnement, des droits collectifs d’une ampleur globale qui les apparente à une quatrième génération.
 
Les membres des Nations Unies ont signé ces textes, mais tous ne les appliquent pas. Pour ce faire, il existe des institutions internationales. Avec pertinence, Caroline Sägesser fait le partage entre les structures de soutien, dont les jugements ne revêtent aucune valeur contraignante, à l’exemple du Comité des droits de l’homme, et les véritables juges, provisoires dans un premier temps, tels les tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ou durables, la Cour pénale internationale.
 
La Convention européenne des droits de l’homme et la cour dédiée à sa garantie auraient mérité un chapitre particulier. Les confondre avec des structures d’envergure mondiale peut perdre le lecteur, alors que les textes européens sont plus amples que leurs pendants internationaux, et la cour européenne des droits de l’homme d’une solidité mieux éprouvée.
 
L’auteur ne manque pas de remarquer l’accent mis sur la défense des droits de la première génération, notamment au cours des conflits le plus souvent internes aux Etat signataires et motivés par des tensions religieuses, ethniques, économiques ou politiques. De fait, les entorses aux droits économiques et sociaux sont peu ou pas sanctionnées.
 
La faiblesse de ce dossier réside dans l’explication de ces inégalités de traitement. Le contexte de l’émergence du concept des droits de l’homme et des résistances qu’ils suscitent est abordé de façon lacunaire, quand son traitement n’est pas superficiel. L’histoire de la notion, exposée en une dizaine de pages, rappelle à ses débuts un empilement d’époques, depuis le cylindre de Cyrus pourtant resté sans postérité, et dont on se demande s’il était pertinent de le citer, jusqu’aux temps modernes, en passant très rapidement sur les Romains. Le caractère areligieux des droits de l’homme est affirmé sans être démontré. Surtout, l’articulation entre les droits de l’homme rattachés à la citoyenneté et les droits de l’homme purs demeure par trop implicite. Il s’agit pourtant d’une rupture majeure dans l’histoire de cette idée, qui demeure un sujet de controverse entre juristes et penseurs. De fait, c’est l’ensemble du contexte politique et social de l’émergence des droits qui reste dans l’ombre. Caroline Sägesser dit bien que ces droits ont fait l’objet d’une manipulation qui les dessert, de la part de régimes qui invoquent le relativisme culturel pour se maintenir dans l’autoritarisme comme certaines démocraties qui s’érigent en missionnaires armés des droits de l’homme, au risque de perdre la fin par des moyens criminels. Les critiques des droits de l’homme subissent le même traitement. Réduites à Burke, Marx et Nietzsche, elles laissent de côté la richesse des débats internes, sur la nature des droits, leur étendue et leur fin, comme les critiques externes. Enfin, les droits de l’homme, à être trop dégagés de leur contexte politique, perdent de leur substance, et de leur lien avec le régime démocratique et l’émergence des rapports de force qu’il permet.
 
Ces défauts, même pénalisants, mis à part, le dossier présente une particularité qui tient à son origine. Pour le public francophone, il ouvre une fenêtre sur la Belgique, un pays proche mais singulier, qui semble porter une attention soutenue sur les droits de l’homme