Ce qui est nommé "Climategate" - référence au Watergate - commence fin novembre 2009 par une attaque sur le site Internet du CRU-Hadley Center à l’université d'East Anglia (Royaume-Uni), qui travaille pour le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et se traduit par la saisie de milliers d’e-mails et documents confidentiels dont plusieurs semblent indiquer des manipulations de données scientifiques brutes.

Quatre mois plus tard, faisant suite aux conclusions de la commission de parlementaires britanniques qui, le 30 mars à exonéré Phil Jones – directeur du Centre de recherches sur le climat (CRU), plusieurs éléments se sont superposés en France, créant et renforçant un emballement médiatique qui est intéressant à analyser. Le 31 mars, les journaux ont ainsi fait état d’un rapport de Greenpeace accusant un groupe pétrolier de soutenir les climato sceptiques   . Puis, le 1er avril, la pétition de 400 scientifiques français intitulée "Éthique scientifique et sciences du climat : lettre ouverte" fit également grand bruit, en interpellant leur ministre de tutelle. Selon ses termes, "un pacte moral relierait (les scientifiques) et la société".

Le rapport de Greenpeace semble porteur d’une vision identique : en démontrant l’importance et la régularité des subventions accordées par le groupe pétrolier Koch à des think tanks clairement identifiés pour réfuter la thèse d’un réchauffement climatique d’origine anthropique, l’ONG entend démontrer que les travaux produits par ces instituts sont orientés et que la démarche scientifique perd toute indépendance.

Cependant, Greenpeace et les signataires de la pétition des 400 divergent profondément, entrant en compétition dans la production de données et de savoir. Il est en effet important d’observer que la production d’une certaine forme de savoir d’un côté ainsi que les investigations de l’autre ne sont plus l’apanage de l’Université ni des grands médias. Les ONG et les "activistes" – tel que se définit Greenpeace par exemple - produisent également des rapports argumentés et qui peuvent être scientifiquement crédibles. C’était par exemple le cas du livre paru en septembre 2009 Climate Cover-Up: The Crusade to Deny Global Warming (GW) de James Hoggan et Richard Littlemore et dont Greenpeace reprend la méthode et le fond afin d’identifier ceux qui financent les fondations, instituts et think tanks opposés au "global warming". À première vue le résultat n’est guère étonnant : de grands groupes pétroliers financent des think tanks conservateurs.

Dans une perspective "d’activiste", un tel constat suffit. Greenpeace ne s’interroge donc pas sur les raisons de la convergence entre l’idéologie conservatrice et les thèses contrant l’idée d’un réchauffement anthropique. Des universitaires, Erik Conway et Naomi Oreske, auteurs du livre Merchants of Doubt : How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming en cherchèrent les raisons. Ils pensent que l’antiinterventionnisme et l’antirégulationnisme dont font preuve ces structures et ces industriels expliquent leur opposition à une régulation mondiale.

De fait, il est intéressant de noter que les groupes pétroliers ne financent pas uniquement les structures conservatrices afin d’organiser des contre-feux médiatiques à la thèse du "GW". L’observation attentive du budget annuel de 2009 de la Brookings (sans doute le think tank le plus estimé au monde) révèle que parmi les donateurs, figurent pratiquement toutes les structures dénoncées par Greenpeace dans son rapport. Certes les fondations Koch n’ont pas été identifiées, mais Exxon Mobil Corporation, Wal-Mart Stores ont contribué au budget de la Brookings pour un don compris entre $250,000 et $499,999 de même que Chevron (pour un don compris entre $100,000 et $249,999) ou encore l’American Entreprise Institut (qui bénéficie des subventions de Koch) et la Shell Oil Company ($25,000–$49,999). À leur côté se trouvent également, et parmi des milliers de donateurs, la Commission européenne ($25,000–$49,999) et le Ministère français des Affaires étrangères ($10,000–$24,999).

Ceci introduit à une autre logique. Les grands groupes et les institutions éprouvent le besoin d’être présents dans différents milieux selon une logique de protection des données, mais également de recherche d’informations propre à l’intelligence économique, autant qu’à des raisons plus financières (défiscalisation des financements à vues philanthropiques).

Il semble donc bien que les raisons soient un peu plus compliquées qu’un combat monolithique contre les thèses du "global warming". Ce qui nous amène à la démonstration de Peter J. Jacques, Riley E. Dunlap et Mark Freeman, chercheurs universitaires, dans l’article "The organization of denial, Conservative think tanks and environmental skepticism” publié par Environmental Politics (Volume 17, juin 2008) qui cherchaient à analyser l’intrication de toutes ces données. D’une lecture toute universitaire, et publié dans une revue spécialisée, cet article eut peu de succès médiatique.

Ces différences dans le traitement des données posent la place des scientifiques dans l’arène médiatique et politique ? Quel est l’usage, sinon la valeur, du savoir produit ? Alors que les universitaires doivent composer leurs propres corpus, trouver des fonds pour développer des projets et rassembler des éléments afin d’étudier sur un temps déterminé - souvent long ; les sources du rapport de Greenpeace sont toutes rapidement consultables sur Internet, principalement constituées par des réseaux de bénévoles et d’associations de surveillance.

L’un des paradoxes du rapport de Greenpeace est donc de montrer que de nombreuses informations sont ainsi à portée de clics. Le réseau semble aujourd’hui devenir la clef de la présence et du pouvoir médiatique. Car les idées pas plus que les intérêts ne sont des entités flottantes. Elles circulent, sont traduites et adaptées par des personnes et des structures.

Dans une telle perspective, les think tanks jouent un rôle important comme traducteurs et comme facilitateurs, offrant un espace (symbolique ou concret) de discussion quand les grands médias n’ont plus assez de temps pour couvrir de longues investigations et d’espace pour publier des articles de fond et des références. Cependant la labilité des titres (instituts, fondations, centre de recherche : vraie université ? vrai think tank ? véritable lobby ?) ne permet pas aisément d’appréhender l’origine ou les desseins du savoir publié. Par ailleurs, la perméabilité des savoirs et des compétences accroît la capacité à animer des débats, à produire du papier et à faire du buzz (ramdam). Le développement des nouvelles technologies s’est en effet accompagné d’un glissement des modalités de prise d’information : Internet devenant le principal vecteur.

Or c’est sur Internet que se trouve Greenpeace, mais également les think tanks (conservateurs ou non) qui publient des travaux de scientifiques en leur offrant la possibilité d’être lus et entendus quand les universités ne peuvent ou ne savent plus le faire. Aussi quand la pétition des 400 scientifiques entend rappeler une forme de "contrat", elle formule le constat que ce dernier s’évapore dans les limbes des réseaux, et de la recherche d’impacts (impact médiatique, impact institutionnel, etc.). Si elle cherche à contrecarrer la démonstration de Claude Allègre selon laquelle la thèse du "réchauffisme" tient à l’association de données scientifiques et d’opportunisme politique, elle semble également manifester un grand désarroi devant la confusion grandissante entre savoir et technique, entre savoir faire et faire savoir. Elle montre surtout que dorénavant il s’agit de se battre sur le terrain de la guerre des idées. Après tout, les e-mails de l’université britannique qui ont été rendus publiques, l’ont été à travers un acte de "hacker" qui relève de la piraterie !