Au mois de mai, l’horizon cinématographique ne se réduit pas à une ville en bord de Méditerranée et à un défilé de stars sur le bord de la Croisette. Il existe d’autres festivals, comme en témoignent les "Passeurs de lumière", manifestation dédiée à l'étude des nouvelles images en général et au cinéma en particulier.
Tout débute par une histoire d’amitié et de cinéphilie. Autour de Michel Dupuy et de Hervé Claude, les énergies se mobilisent. A Moëlan-sur-Mer, des personnalités marquantes, parfois cocasses, toujours attachantes se succèdent, transmettant leur amour de l’image.
Que retenir de ce festival ? La convivialité et l’accueil chaleureux des bénévoles, rouages indispensables du festival ? Le décryptage de L’Armoire volante de Carlo Rim (1948) par le dessinateur Joe Pinelli, qui a proposé une approche singulière du film en soulignant l’atmosphère kafkaïenne de cette farce macabre ? Tout aussi certainement. Joe Pinelli a su mettre sa sensibilité graphique au service d’une analyse vivante. Un moment intense, la découverte d’un visage inédit de l’acteur Fernandel, plus obscur, dans ce personnage étranglé par les rouages de l’administration. Basées sur une libre interprétation du film, les planches du dessinateur exposées devant l’écran ont contribué à éclairer la dimension expressionniste de L’Armoire volante.
Dans le hall d’entrée de l’Ellipse (centre culturel de Moëlan-sur-Mer), une projection des caricatures d’Alain Coutal invitait le spectateur à une approche distanciée de l’année politique. Dans l’ambiance anxiogène et morose de 2010, le rire et l’ironie sont encore possibles – et salutaires.
Autre moment marquant : le débat "La BD pas sage comme une image". Avec pour toile de fond la prison des Dalton, sept hommes (des dessinateurs comme Emmanuel Lepage, Joe Pinelli, Bruno Le Floc’h, le caricaturiste Alain Goutal et le story-boarder Fabien Lacaf, célèbre pour sa contribution graphique à de nombreux films) ont accepté de s’exposer simplement et de se prêter aux questions de Hervé Claude. Sept hommes, sept horizons différents. Mais le débat se concentra notamment autour des problèmes de la censure économique : une interdiction muette, insidieuse qui tend à privilégier le consensus au détriment d’une démarche artistique plus audacieuse.
Les moments d’évasions se sont enchaînés, lors de l’avant-première des Passagers du vent, réalisée par Christian Lejalé, qui a réuni petits et grands. A travers ce portrait de lui, le dessinateur François Bourgeon se révèle, à la fois dans son travail, dans ses dessins, mais aussi dans ses propos profondément humanistes. En symbiose avec le dessinateur, les plans se suivent, fluides comme le cours du vent. A l’écran, le dessinateur explicite sa démarche artistique et insiste sur le rôle fondamental du temps, dans une société basée sur l’efficacité immédiate et la production effrénée.
Samedi soir, la présence conjointe de Jean-François Laguionie et Bruno Le Floc’h pour la projection de L’Île de Black MóR a mis en évidence la complicité des deux hommes à la genèse de ce dessin-animé. Le débat a ensuite été l’occasion d’un échange fécond avec le public. Les questions ont fusé, témoignant de l’intérêt des spectateurs de tous âges.
Le dimanche 16 mai, dernier jour du festival, a vu d’autres moments intenses. Au cours de l’après-midi étaient programmés deux rendez-vous importants. Un débat animé par Michel Dupuy a contribué à mettre en perspective l’histoire et les objectifs respectifs de trois sites Internet (Mediapart, Bakchich et Nonfiction), mais aussi leur appréhension du média Web à l’heure où ce dernier suscite encore un sentiment de peur. Perdus face à la vague gigantesque du net et un flot d’informations déversées en continu, beaucoup se sentent menacés par Internet, comme l’ont d’ailleurs souligné plusieurs réactions parmi les auditeurs du débat. Ce sentiment de peur est en outre relayé par des auteurs tels Paul Virilio notamment dans son ouvrage La bombe informatique .
L’après-midi s’est conclue par la projection du film Automne allemand, de Michaël Gaumnitz. Basé sur les écrits du journaliste suédois Stig Dagerman, le film parvient à entrelacer l’histoire et l’univers singuliers de Gaumnitz, dont le travail graphique contribue à exacerber l’intensité dramatique d’une Allemagne soumise aux paradoxes de la dénazification. Le réalisateur propose un film dur, aussi tranchant que les portraits expressionnistes et tourmentés émaillant les images d’archives. Tous les spectateurs n’ont pas réussi à entrer dans ce monde : certains ont préféré fuir la violence et la détresse saisies dans le regard d’un enfant, le visage émacié d’un vieillard, la boue sur les pieds nus et les ruines, bien sûr, omniprésentes. Mais le propos de Gaumnitz demeure essentiel : derrière la barbarie nazie, il incite le spectateur à comprendre le malaise d’une société et à dissiper le voile d’une amnésie confortable.
Que retenir du festival "Les Passeurs de lumière" ? Des grands moments de rencontre et des instants infimes tout aussi précieux. Michel Dupuy et Hervé Claude ont réussi le pari d’inviter des personnalités intéressantes qui se sont mises à la portée du public en toute simplicité.
Ceux qui sont las du strass et des paillettes de Cannes seraient bien inspirés, l’année prochaine, de venir découvrir le festival original et convivial de Moëlan-sur-mer…