Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution sur la 'Diversité', issue du "Petit Lexique à usage socialiste" de Cartes sur Table.

 

En quelques années ce mot a grandement gagné en popularité ; plus personne aujourd’hui n’oserait porter un jugement négatif sur la diversité, et critiquer une politique qui se réclame de la diversité est devenu difficile. En parant systématiquement certaines politiques de ce mot magique, la droite les rend difficilement contestables. Deux tendances, régressives, peuvent se cacher derrière ce concept dont le sens a été détourné :

1. La diversité comme solution artificielle à des problèmes de fonds : la diversité dans la politique, les médias, les études supérieures et les entreprises, devrait être considérée comme le résultat d’une réelle égalité au long de la vie, et notamment une égalité d’accès à un enseignement adapté et de qualité dès l’école maternelle. Plutôt que de chercher à atteindre cette égalité, on choisit une solution de facilité qui consiste à promouvoir une poignée de personnes issues de minorités sociales, sexuelles, ethniques ou religieuses : préfet musulman, secrétaire d’Etat noire, femme ministre de l’économie, quotas de boursiers à l’entrée aux grandes écoles, procédure parallèle pour intégrer Sciences Po, etc. En contrepartie, on cesse de se préoccuper du sort de la majorité des personnes victimes de la pauvreté, du chômage, de la discrimination, du sexisme.
En créant une diversité artificielle, visible, avec ses effets d’affichage, on feint d’avoir réglé ces questions si prégnantes, si complexes dans nos sociétés : pour une poignée d’étudiants noirs à Harvard, combien de Noirs américains sont abandonnés dans leurs ghettos, frappés par les inégalités et les discriminations, sans aucune perspective d’avenir ? Pour une poignée d’"étudiants des banlieues" admis à Sciences Po, combien de banlieusards continuent à vivre dans des banlieues désertées par les services publics et par l’emploi ?
La diversité peut servir à évaluer dans quelle mesure notre société est capable de donner à chacun les moyens de s’en tirer, d’étudier, de faire de grandes études, d’accéder à des postes à responsabilité dans les entreprises, l’Etat, les associations. Le manque de diversité dans les élites est un symptôme, et soigner le symptôme n’est pas soigner la maladie : la maladie, c’est la montée des inégalités, favorisées par une fiscalité qui favorise les riches, c’est le démantèlement des services publics, c’est la restriction des moyens alloués à l’éducation nationale, c’est le chômage, ce sont les discriminations. S’attaquer au cœur du problème demande du courage ; il est malheureusement tentant de céder à la facilité d’une diversité "artificielle" qui ne profite qu’à une poignée d’élus.

2. La diversité comme parure pour le communautarisme : dans une deuxième interprétation courante, la diversité consiste à reconnaître, voire à encourager, l’expression et le développement des différences entre "groupes" ethniques et religieux. Il est curieux que dans le discours politique et médiatique dominant, la "diversité" se limite bien souvent (influence américaine oblige) à l’origine ethnique et à la religion. Cette interprétation de la notion de diversité est utilisée par la droite pour justifier le communautarisme naissant et les politiques qui l’encouragent. Vue dans sa globalité, une France des communautés serait en effet une France de la diversité : ici se trouverait le quartier musulman, là le quartier chinois, ici le ghetto de riches, avec pour chaque quartier ses écoles, ses normes, ses lieux de sociabilité, voire ses instances représentatives.
Cependant, lorsqu’on vit dans cette France-là, la diversité n’existe plus : dans ce ghetto de riches il n’y a pas de pauvres, dans ce quartier musulman les non-musulmans se font rares, dans ces écoles confessionnelles on ne croise ni athées ni autres religions, et dans cette entreprise on préfère employer des asiatiques. Plutôt que de construire une société avec autrui en acceptant ses différences, on le fuit en s’enfermant dans sa "communauté". Cette tendance s’est fortement développée en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, qui ont eu beau jeu de mettre en avant le multiculturalisme et la diversité : dans la pratique, l’horizon de chaque citoyen se réduit considérablement et la diversité n’existe plus, si ce n’est dans l’affrontement ou l'incompréhension entre "groupes" ou "communautés". "Diversité" et "communautarisme" sont ainsi souvent confondus dans le discours, alors qu’ils ont un sens opposé.

La diversité, ce n’est pas la fixation des identités (et notamment des identités ethniques et religieuses) ni leur enfermement dans des espaces séparés : le respect de la diversité devrait être la possibilité d’avoir des différences culturelles, religieuses, physiques, intellectuelles, sexuelles, sans que cela nuise à la vie en commun. Et sans que cela rende impossible la réalisation d’un projet national commun pour tous les citoyens français, considérés comme citoyens émancipés et non comme  membres d’une "communauté" (l’expression de "musulman français" pour désigner un "Français de confession musulmane" est à cet égard symptomatique).

Or toutes les politiques qui encouragent le développement d’espaces sociaux réservés à une "communauté" sont des politiques communautaires qui nuisent à la diversité : lieux de sociabilité (horaires aménagés et réservés à tel ou tel groupe dans les installations sportives), d’éducation (écoles confessionnelles), de vie politique (conseil représentatif de tel ou tel culte), etc. A mesure que se développent ces espaces communautaires, on peut craindre que la solidarité nationale s’essouffle. Car le communautarisme, c’est le contraire de la diversité, c’est la peur de se confronter à autrui, à laquelle répond l’envie de se replier sur soi