Deux expositions parisiennes prennent actuellement le châtiment pour objet. La première, la plus renommée : "Crime et châtiment" au Musée d’Orsay, sous la direction de Jean Clair et de Robert Badinter, jusqu’au 27 juin 2010, propose une réflexion à la fois morale et artistique sur notre histoire pénale. La seconde au Musée Carnavalet, plus confidentielle mais combien réfléchie et articulée : "L’impossible photographie. Prisons parisiennes (1851-2010)" déroule une représentation polyphonique du monde pénitentiaire.

Les deux expositions sont organisées selon des thématiques. La première serpente du crime révolutionnaire au crime romantique, car si le meurtre est le crime absolu ("Tu ne tueras point"), le brigand, la femme fatale, l’artiste sont des figures rêvées du criminel. Le châtiment, c’est la "veuve", la guillotine voilée de noir, monumentale, les plans de la Santé ou de Sainte-Pélagie,  la prison "panoptique" mais aussi, dès l’entrée, l’œil qui est dans la tombe. L’enfermement est également moral.

A Carnavalet, c’est à une progression à travers les différentes prisons parisiennes – il n’en subsistent aujourd’hui que deux, sur l’île de la Cité et à la Santé – que nous sommes invités. Selon les différentes théories philosophiques et morales et selon le droit même en vigueur aux différents moments envisagés, les lieux se transforment, la prise en charge du détenu passe d’un idéal de réhabilitation, voire de rédemption, à l’isolement et à la punition.

C’est à une fine recension du patrimoine ancien et à une création d’un patrimoine carcéral contemporain que s’est livrée la commissaire de l’exposition, attentive à offrir un équilibre entre l’ambition artistique et la possibilité, pour les détenus comme pour l’administration pénitentiaire, grande absente des représentations de la prison, de se reconnaître dans le parcours présenté. Le catalogue est divisé en trois parties : d’abord les reproductions des œuvres exposées, ensuite les textes d’Olivia Rosenthal (lu dans la "pièce sonore" qui déroule le parcours d’un visiteur à la Santé) et de Jane Sautière (qui fait l’objet de lectures et événements), des analyses des représentations de la prison et une histoire des prisons parisiennes et enfin, un inventaire avec ses légendes.

Un détenu a-t-il encore des droits ?

La peine de prison, c'est-à-dire la privation de liberté, n’est une peine qu’à partir de 1791, date d’entrée en vigueur du Code pénal. Il devient alors nécessaire de concevoir des structures pour accueillir les détenus. Ces lieux, nous les connaissons, par des reportages photos, tels qu’ils apparaissent sur les murs extérieurs de l’exposition. Ce sont là les campagnes officielles : on n’y voit, essentiellement, que les murs, lépreux ou flambant neuf. Les légendes mettent en évidence le décalage entre ce que nous percevons de cette réalité et ce qu’il en était dit au moment des prises de vues ou de la rédaction des rapports des inspecteurs généraux des prisons successifs: tel bâtiment qui nous semble aujourd’hui très vétuste a été présenté comme un modèle de modernité, tel autre au contraire comme un mouroir alors que les statistiques n’y montraient pas plus de décès qu’ailleurs.

Au centre de l’exposition, tout ce qui a été caché dans les prisons, c’est "l’impossible photographie" : les berceaux des enfants nés en détention, la guillotine, ou la morgue. Mais aussi, la chapelle, les ateliers, la vie quotidienne. C’est là où se dévoile le fossé, énorme et scandaleux, entre le châtiment tel qu’il est prévu par le droit (la privation de liberté) et tel qu’il est appliqué dans la réalité, comme en témoignent aussi bien les images que les règlements intérieurs des prisons : les détenus sont privés de leurs droits les plus élémentaires dans des lieux qui, d’abord ouverts et sans barreaux, se sont au fil du temps refermés sur eux.

A la Santé, un "parloir enfants" joliment décoré est là pour assurer le respect du droit des détenus à une vie privée et familiale. Mais la pièce est au centre de la prison comme d’un labyrinthe, que les familles redoutent de traverser. En écoutant le parcours d’un visiteur (dans la "pièce sonore" d’Olivia Rosenthal), du greffe aux cuisines et de l’infirmerie au parloir, on comprend à quel point la vocation de la prison est double : il s’agit d’enfermer pour guérir mais aussi d’enfermer pour protéger la société.

Le détenu est-il encore un criminel ?

C’est le crime qui justifie le châtiment. A Orsay, le crime est parfois même rationalisé a posteriori par des mesures anthropométriques réalisées sur les guillotinés : les mensurations concordent avec le crime, donc le châtiment est juste. Voire, le châtiment préventif. Mais l’on y voit aussi les criminelles qui ne seront pas châtiées, comme la Salomé de Gustave Moreau, ou les châtiés qui n’ont pas commis de crime, vagabonds, prostituées, aliénés et marginaux, innombrables figures de l’anormal.

"L’impossible photographie", au contraire, ne s’interroge pas sur le crime : c’est Marguerite Duras, dans son interview filmée de la directrice de la petite Roquette réalisée en 1967 pour l’émission "Dim Dam Dom" qui énonce cette coupure entre ce qu’était la détenue avant la prison et ce qu’elle est dans la prison, c'est-à-dire, simplement une détenue. La réalité du crime, ses ressorts, l’immoralité d’un comportement, c’est la justice qui s’en occupe, pas la pénitentiaire.

Et pourtant, comment ne pas voir que dans ce monde à part, doté de règles propres, peuplé d’individus particuliers, où pénètrent parfois des intrus comme le visiteur de la Santé, la société rejette tous ceux qu’elle ne veut pas voir ? Autrefois les avorteuses, les apaches croqués par Daumier, aujourd’hui les auteurs de délits routiers (14,7 % de la population carcérale), mais toujours les plus pauvres, les moins éduqués (75 % des prisonniers ont un niveau scolaire égal ou inférieur au CAP), ceux que l’on n’hésite pas à enfermer parce qu’ils n’ont ni famille, ni argent, en somme rien à perdre en prison. Il y a un détenu pour mille habitants en France, un pour cent aux Etats-Unis.

Le parcours proposé par Jean Clair et Robert Badinter éblouit par les œuvres présentées, les Goya, Magritte ou David, ainsi que par les témoignages de l’engagement de Victor Hugo contre la peine de mort : croquis de juges, édition original du Dernier jour d’un condamné. Autant de jalons émouvants de l’Abolition. Dans l’exposition polyphonique proposée par Carnavalet, le profane comme le spécialiste trouvera matière à s’interroger sur le milieu carcéral et sur la validité de la peine de prison comme châtiment, et comme châtiment juste