L’exposition se déroule au musée du Quai Branly, au sein des collections permanentes du 9 mars au 23 mai 2010. Cette exposition nous vient du Chili, où elle fut présentée au musée Chileno de arte precolombino en 2007 sous le nom : "Sexo y poder en la sociedad Moche" [Sexe et pouvoir dans la société Moche]. Le commissaire de l’exposition, Steve Bourget est professeur associé au département Art et Histoire de l’art à l’université du Texas. Anthropologue de formation, il travaille depuis quelques années sur le site archéologique d’Ucupe, dans la région nord du Pérou. Il a découvert l’an passé les restes du Seigneur d’Ucupe. Bien que Steve Bourget ne soit pas toujours en accord avec les théories du Doc Alva, l’expert de la culture Mochica au Pérou et à travers le monde, il reste un des spécialistes de cette culture.
La société Mochica
Le Pérou a toujours basé sa promotion culturelle et touristique sur l’empire Inca. Pourtant cette culture régna sur le pays pendant un siècle seulement. Mais depuis la découverte de la tombe du Seigneur de Sipan, en 1987, le Pérou redécouvre son passé et les cultures pré-inca. Les Moche ou Mochica apparaissent au Ier siècle après J-C et vont dominer toute la côte nord péruvienne jusqu’au VIIIème siècle. C’est l’une des plus grandes sociétés organisées de cette époque en Amérique Latine.
En développant un système d’irrigation performant, ils vont pouvoir augmenter les productions agricoles et ainsi développer des centres urbains et cérémoniaux. Le Seigneur dirige l’ensemble de la société. Il est considéré comme un demi-dieu. Il détient le pouvoir politique, religieux et militaire. Le grand prêtre est la seconde personne la plus puissante et la plus respectée après le Seigneur. Il établit les croyances et conduit les rituels. Il est également le gardien de l’équilibre de l’univers.
Le Moche possède une cosmologie très détaillée. Le monde est divisé en trois univers : le ciel, représenté par un serpent bicéphale, la terre gouvernée par le Seigneur et le monde des morts, situé sous la terre. Chaque homme sur terre sera le même au pays des morts, sa place dans la hiérarchie sociale sera la même. Ainsi l’esclave reste esclave et le seigneur reste seigneur.
La religion s’accompagne d’un panthéon très diversifié. Le dieu principal est Ai Apaec, le dieu donnant la vie et qui la reprend (El Degollador, celui qui égorge). Il est souvent représenté sous les traits d’un félin, tenant dans ses mains une tête décapitée et un couteau. Les autres dieux du panthéon prennent la forme d’animaux. Le dieu cerf protège les chasseurs, tandis que le dieu iguane protège les morts. Le dieu hibou accompagne les défunts au pays des morts. Les grands prêtres sont souvent parés de figures représentant un hibou lors des cérémonies sacrificielles.
Les Moche sacrifient de nombreuses victimes lors de leurs cérémonies. Le sang coule à flot. Lors de l’enterrement d’un seigneur, des dizaines de personnes sont sacrifiées pour l’accompagner. La tombe du Seigneur de Sipan découverte par l’archéologue Walter Alva était composée du Seigneur, de sa femme principale, de trois concubines, d’un porte-étendard, d’un chef militaire, d’un gardien, d’un enfant, d’un esclave et de deux lamas.
La mort fait donc partie du quotidien. Le but d’une guerre n’est pas de faire des morts, mais d’obtenir un plus grand nombre de prisonniers afin de les sacrifier.
Sexe, Mort et Sacrifice
Les Mochica ne possèdent pas l’art de l’écriture contrairement aux Mayas. Les théories exposées aujourd’hui et la connaissance de ce monde se font grâce à l’iconographie abondante retrouvée sur les murs des temples ou sur les céramiques. L’exposition rassemble 134 céramiques illustrant des actes sexuels et des scènes de sacrifices. Toutes proviennent du musée Larco de Lima.
Steve Bourget a étudié les céramiques décrivant des actes sexuels pendant de longues années. Il a établie plusieurs théories aujourd’hui admises par la communauté scientifique. Ces céramiques à caractère sexuel montrent des rites ou participent à des rites. L’imagerie sexuelle renvoie à une idéologie politique et religieuse. Elle assure la reproduction de l’autorité gouvernante, de la société et de l’univers tout entier. Ces scènes de copulation et de masturbations ne montrent en aucun cas une réalité quotidienne. Elles ont toutes un caractère cérémoniel et rituel.
Ces poteries évoquent également les rites funéraires : le passage du monde des vivants au monde des morts. Les esclaves capturés lors des guerres sont représentés dans des scènes de sexe non-reproductif : copulation anale. Les rites liés à la fertilité et à la reproduction sont qu’en à eux représentés par des scènes de sexe reproductif : copulation vaginale. Ces scènes mettent en avant une femme et un homme au visage ridé (une divinité) ou un animal (batraciens, rongeurs) symbole de fertilité. La présence de substance nourricière (eau, sang, liquide séminal) renforce l’idée de la fertilité.
Tout au long de l’exposition, les visiteurs pourront apprécier le réalisme des céramiques et le perfectionnisme de leurs créateurs. Les poteries sont regroupées par types d’actes sexuels. Dans les scènes de copulation anale, qui sont les plus courantes, aucun élément anatomique n’est oublié pour représenter de manière explicite la nature de l’acte. La masturbation masculine vient en deuxième position dans l’ordre d’importance des actes sexuels de ce corpus iconographique. La majorité des scènes de fellation figure un homme forçant la femme à accomplir cet acte. La femme a souvent un visage exprimant de la colère, voir du dégout. On retrouve aussi nombre de vases à libation de forme phallique, représentant généralement un individu masculin doté d’un énorme phallus. Le liquide doit y être introduit par la tête du sujet, et versé ou bu par un trou aménagé dans le phallus. Il existe également des vases à libation prenant la forme d’une femme où le liquide s’écoule par un vagin proéminant.
L’exposition impressionne pour qui ne connaît pas la culture Mochica, mais ne choque pas. La muséographie aide le visiteur à rentrer progressivement au cœur de l’idéologie Moche. Les vitrines mettent en valeur les céramiques sans donner le sentiment de voyeurisme aux spectateurs. Le seul élément négatif, mais qui n’est pas moindre, serait le manque de clarté des explications, souvent trop évasives ou trop complexes pour la bonne compréhension de la corrélation entre le sexe, la mort et les sacrifices