Paul Tibbets, le pilote américain qui largua la bombe atomique sur Hiroshima en août 1945, est mort le 1er novembre, à l’âge de 92 ans.

Le 6 août 1945, alors jeune lieutenant-colonel de l'US Air Force, il était aux commandes du bombardier SuperFortress B-29 "Enola Gay" qui a largué, hors tests, la première bombe atomique de l'histoire de l'humanité.

Paul Tibbets n'avait que 30 ans lorsqu'il décolla aux commandes du SuperFortress B-29 d'une base américaine dans les Iles Mariannes avec ses 11 membres d'équipage. Le bombardier avait été baptisé "Enola Gay", le prénom de la mère de Paul Tibbets.

Le premier test nucléaire s'était déroulé avec succès moins d'un mois plus tôt, le 16 juillet 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique. Dès lors tout va aller vite. Le 24 juillet, le président Harry Truman approuve la décision de mener une campagne de bombardements atomiques contre le Japon jusqu'à sa capitulation. Le 31 juillet, Truman donne l'ordre de bombarder Hiroshima "dès que le temps le permet".

Les scientifiques avaient prévenu Paul Tibbets : l'avion devra voler à 31.000 pieds (9.448 mètres) et la bombe explosera à quelque 600 mètres d'altitude. Quarante-trois secondes s'écouleront entre le moment où "Little Boy" (le surnom de la bombe) quittera les soutes de l'appareil et la déflagration. Si l'équipage veut survivre, il devra s'être éloigné de quelque 12,8 km au cours de cette poignée de secondes.

Les douze hommes triés sur le volet qui grimpent à bord de l'Enola Gay, à 02H45 le 6 août 1945, sont équipés d'un parachute, d'un pistolet et d'un gilet de protection. Au commandant de bord, le médecin de la base remet une petite boîte contenant douze pilules de cyanure. Puis le chapelain fait une prière, on prend des photos. L'Enola Gay décolle.

Lorsque l'avion arrive au-dessus d'Hiroshima, le temps est dégagé et l'équipage voit distinctement la côte et les bateaux ancrés dans le port, puis le pont qui constitue l'objectif. Il est 08H15 à Hiroshima lorsque la bombe est larguée. Tibbets bascule immédiatement son avion dans un virage sur l'aile droite à 155 degrés. Seul Bob Caron, qui se tient à la place du mitrailleur de queue, est capable d'apercevoir la gigantesque boule de feu et de prendre des photos. L'avion est rattrapé par l'onde de choc, qui le secoue modérément. Puis tous voient le "champignon géant de couleur pourpre".

Paul Tibbets se retourne vers l'équipage: "Les gars, vous venez juste de larguer la première bombe atomique."

Le souffle, le feu et le rayonnement ont tué 140.000 personnes. Beaucoup d'autres ont été marqués et blessés à vie. La plupart des victimes de la bombe étaient des femmes, des enfants, des personnes âgées et des civils pas impliqués dans la guerre. On compte aussi parmi les vicitimes des prisonniers de guerre américains et alliés, ainsi que des milliers de Coréens contraints au travail forcé.

"Si Dante s'était trouvé avec nous dans l'avion, il aurait été terrifié", a raconté des années plus tard Paul Tibbets. "La ville que nous avions vu si clairement dans la lumière du jour était maintenant recouverte d'une horrible salissure. Tout avait disparu sous cette effrayante couverture de fumée et de feu."

De retour au sol, c'est l'enthousiasme général. Tibbets reçoit la Distinguished Service Cross.

Reçu bien plus tard à la Maison Blanche, Truman lui dira: "Ne perdez pas le sommeil parce que vous avez planifié et rempli cette mission. C'était ma décision. Vous n'aviez pas le choix."

Tibbets s’est glorifié tout au long de son existence de n’avoir jamais perdu le sommeil. Il est allé jusqu’à reconstituer le bombardement d'Hiroshima en 1976, lors une fête aérienne au Texas. Il a expliqué, avec constance, que la destruction d'Hiroshima, puis celle de Nagasaki, trois jours plus tard, étaient absolument nécessaires pour provoquer la reddition des Japonais et éviter ainsi une reconquête sanglante du Japon, île par île.

Tibbets a consacré une partie de sa vie a dénoncer les "révisionnistes" qui remettaient en cause la necessité et la moralité du bombardement des villes japonaises. Tibbets faisait valoir que cette décision cruciale avait alors recueilli un large consensus parmi les responsables militaires. À tort.


Le choix de larguer la bombe nucléaire sur Hiroshima ne faisait pas l'unanimité

Deux historiens, Leo Maley III et Uday Mohan, reviennent dans History News Network sur le débat qui a précédé la décision du Président Truman.

Ils rappellent que six parmi les sept généraux et amiraux les plus gradés ("wartime five-star officers") étaient réservés ou hostiles à l’usage de l’arme nucléaire.

L’amiral William Leahy, chef d’état-major particulier du Président Truman y était hostile. Il rapportera, en 1950, dans ses mémoires que "les Japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L'usage de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n'a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon…. En étant le premier pays à utiliser cette bombe, les États-Unis ont adopté des normes éthiques semblables à celles des barbares du Haut Moyen Âge. Je n’avais pas été formé à faire la guerre de cette manière. Les guerres ne peuvent pas être gagnées en détruisant les femmes et les enfants."

Le Général Eisenhower alors Commandant en chef des forces alliées en Europe s’opposa à l’utilisation de la bombe lors d'une réunion en juillet 1945 avec le Secrétaire de la guerre, Henry Stimson : "Je lui ai dit que j'étais contre pour deux raisons. D'abord, les Japonais étaient prêts à se rendre et il n'était pas nécessaire de les frapper avec cette chose terrible. En second lieu, je détestais voir notre pays être le premier à utiliser une telle arme."

L’admiral William "Bull" Halsey, commandant de la troisième flotte, qui avait conduit  l'offensive américaine contre les "Home Islands" japonaises dans les derniers mois de la guerre, déclara publiquement en 1946 que "la première bombe atomique était une expérience inutile."

"Ce n’est qu’en contestant et en résistant à la vision confortable de l’Histoire que les Américains pourront se confronter, de manière honnête et critique, à l' un des épisodes les plus dérangeants de leur passé" concluent Leo Maley III et Uday Mohan.

Leo Maley III a enseigné à Massachusetts-Amherst University et au College Park de l’Université du Maryland. Uday Mohan est directeur de la recherche a l’institut d’études Nucléaires de l’American University.


Leo Maley III et Uday Mohan, "Not Everyone Wanted to Bomb Hiroshima", History News Network

 
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