Un ouvrage collectif et pluridiscipinaire qui invite le lecteur à s'interroger sur la politique migratoire française et son accord avec les principes de la démocratie et de l'État de droit.

En unissant la recherche académique et l´engagement associatif, cet ouvrage entame une profonde réflexion sur un thème d'actualité : la question des flux migratoires et leur gestion politique. Douce France présente le fruit d´un travail collectif de chercheurs, de spécialistes et de juristes qui ont choisi de mettre leurs compétences professionnelles au service de leur engagement citoyen pour dénoncer des politiques et des pratiques qu'ils considèrent indignes et inacceptables.
Appelant la complémentarité de perspectives très diverses – historique, sociologique, psychanalytique, philosophique et juridique -, cet ouvrage retrace les politiques de maîtrise des flux migratoires menées en France depuis quelques années et pose le problème de leurs applications dans un État de droit. Il invite ainsi le lecteur à s´interroger sur la progressive constitution d´un type de système politique inédit s´apparentant à une "démocratie autoritaire" et "sous – surveillance"   qui pérenniserait un état d´exception pour les ressortissants d’Etat-tiers dans un climat de relative "paix sociale".

Dans son introduction, Olivier Le Cour Grandmaison examine le processus historique dans lequel s´inscrivent les politiques actuelles et analyse le discours qui les accompagne. En effet, la constante euphémisation des pratiques impulsées par la gestion des flux migratoires dissimule leurs réelles conséquences et légitime des actes ne relevant pas d´une pleine démocratie inscrite dans un État de droit. Les pratiques de gestion des flux migratoires s’inscriraient davantage dans un système de démocratie autoritaire dans lequel une partie de la population – les étrangers - serait privée d’une partie de ses droits, notamment des garanties les plus élémentaires.

La première partie "Traquer, interner, expulser" fait état des pratiques actuelles et propose de saisir les éléments rendant possibles leur caractère inadmissible. Marc Bernardot développe une analyse socio-historique des rafles et de l´enfermement des étrangers dans laquelle il s’attache à la compréhension des mécanismes ayant permis de systématiser leurs recours. Il soutient que ces deux pratiques, qui progressivement sont devenues des outils stratégiques de la politique actuelle, intègrent les modes de production néolibéraux : d’une part, en servant le projet utilitariste d’ "immigration choisie" et d’autre part, en incarnant les moyens de l’industrialisation des expulsions   . Dans son article, Alain Brossat examine le rôle des préfets dans l’application des politiques de gestion des flux migratoires. En effet, la fonction des préfets consiste à administrer la population résidant sur son territoire d’influence conformément à ce qui est édicté par le corpus législatif de l’État c’est-à-dire, en respectant la loi. Cela signifie que les persécutions et les répressions auxquelles sont soumis les ressortissants des États tiers dans leur relation avec l’administration française sont inscrites dans le cadre légal du pays et des obligations professionnelles de ces fonctionnaires. Dès lors, il est délicat de construire une critique politique contre ces pratiques légales mais qui vont à l'encontre de l’État de droit. L’auteur nous rappelle que la mobilisation totale des préfets pour atteindre les objectifs d’expulsions fixés par le gouvernement et la légitimité qui leur est conférée dans cet exercice peuvent incarner "des facteurs clés de la possibilité que prenne corps une criminalité étatique de masse"   .

Armando Cote fait état des difficultés auxquelles il est confronté dans l’exercice de sa profession de psychanalyste clinicien au centre Primo-Levi. Il remarque que le sentiment d´insécurité vécu par des personnes victimes de tortures dans leur pays de départ est accentuée par les violences qu’impliquent les politiques actuelles contre l’immigration dans les pays d’arrivée   . Jérôme Valluy recentre la responsabilité des élites politiques dans la production d´un discours xénophobe par lequel est perceptible la profonde transformation de la "culture européenne et de ses relations au reste du monde"   .

La seconde partie, "Les droits et libertés mis à mal", expose les transcriptions juridiques des doctrines politiques et leurs significations dans la condition même des migrants. Nicolas Ferran fait état de l´insécurité juridique croissante dans laquelle sont placés les conjoints étrangers des ressortissants français ainsi que la précarisation progressive de leur statut   . Serge Slama retrace la création du ministère de l´Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Développement Solidaire et s´interroge sur les effets produits par l´association de ces notions dans la condition même des étrangers en France   . Serge Portelli revient sur les dispositifs juridiques concernant exclusivement les étrangers et pointe leur caractère singulier et exceptionnel   . Seloua Luste Boulbina s´intéresse aux significations sociales du "délit de solidarité" en appréhendant le traitement des étrangers par l´exclusion des citoyens qui entretiendraient des liens avec eux   . Enfin, par une analyse juridique de la "directive retour" adoptée en décembre 2008, Claire Rodier situe les pratiques françaises dans le cadre communautaire de coordinations des politiques des Etats membres, et dévoile leurs incohérences et leur incompatibilité avec le corpus des droits humains   .

L´approche transdisciplinaire de cet ouvrage offre un panorama général et relativement complet des situations auxquelles sont confrontées les personnes démunies d´autorisation de séjour. Les articles proposés y sont illustrés par des témoignages d'étrangers qui ont été ou sont encore en situation administrative irrégulière. Ces éléments ont l’intérêt d’une part d´impulser une dynamique interactive théorique et empirique et d´autre part d’offrir une traduction cognitive de l´application du politique dans la sphère privée.

Les auteurs s’accordent pour entrevoir dans la gestion politique des migrations une nouvelle forme de domination exercée par les pays occidentaux sur des pays et des populations moins puissants, s’apparentant à un type de néocolonialisme en temps de néolibéralisme. Les analyses sont essentiellement axées sur la construction de ces politiques et leurs conséquences sur le territoire français. Il aurait cependant pu être intéressant d’élargir les perspectives vers une compréhension du phénomène migratoire dans sa globalité en insistant davantage sur les causes de déplacements et, surtout en l’inscrivant comme un élément à part entière de la globalisation des échanges politiques et économiques.  

Au delà de son intérêt dans la compréhension des politiques migratoires, ce livre constitue un outil méthodologique de qualité pour qui s´intéresse à la transcription sociale du politique