Il y a une "perte de confiance" des marchés financiers dans la Grèce entend-on par ici. Selon un sondage BVA du 1er mai 2010, les travailleurs français font peu confiance aux syndicats et "pas du tout confiance" au gouvernement pour défendre leurs intérêts, entend-on par là. Dans un récent article de la Revue du MAUSS permanente, le sociologue Albert Bastenier s’arrête sur cette question de la confiance et s’étonne du peu d’études qui ont été consacrées à ce thème dans les sciences sociales.

A la fois cause et conséquence de la crise financière de 2007, la perte de confiance est aujourd’hui "au centre des préoccupations" note ce professeur au département de sciences politiques et sociales de l’Université catholique de Louvain. Cette perte de confiance dépasse selon lui largement le cadre de la crise économique et "affecte l’entièreté de notre communauté de destin". La crise de la confiance s’expliquerait par les politiques néolibérales mises en place à la fin des années 1970 et qui auraient donné à l’argent le rôle qui était attribué jusqu'alors à la confiance, au mépris de tout questionnement sur ce qui fait le lien social.

Face à un certain "désenchantement du monde", les individus se seraient alors tournés vers ce que l’auteur appelle une "mythologie monétaire" : "Pour le plus grand nombre, elle est parvenue à conférer son principal contenu à une citoyenneté quasiment réduite à l’imaginaire de la consommation, tandis qu’aux plus rusés elle a permis la poursuite d’un enrichissement sans mesure." L’auteur ne remet pas en cause la monnaie comme moyen d’échange de biens matériels mais la fonction totémique qu’elle occupe aujourd’hui.

L’éclipse du principe de confiance en sociologie

Malgré sa centralité, le thème de la confiance n'aurait que peu été étudié en sciences sociales. L’auteur part du constat que "nous ne savons pas très bien comment s’établissent les mécanismes de confiance […] comme si les subtils entrelacs des choses de la vie dispensaient ou empêchaient de voir sur quoi reposent nos interactions réciproques." Pour Simmel, Weber et Durkheim, ce qui permet l’existence d’une société ce sont bien des interactions sociales basées sur la confiance. Mais les fondateurs de la sociologie, en raison du caractère "trop psychologique" du principe de confiance qui risquait de nuire à cette science en construction, préférèrent ne pas l’étudier.

Albert Bastenier note que dans la pensée occidentale, deux camps s’opposent sur "l’impact des échanges marchands". Ceux qui y voient le moyen de créer des relations de confiance – Montesquieu, Hayek – face aux théoriciens qui voient surtout dans ces rapports une source de domination – Marx et Bourdieu sont cités. La pensée de Bourdieu exprimerait d'ailleurs selon l’auteur un "pessimisme insurmontable qui sape toute confiance dans une possible transformation du monde". L’auteur semble ignorer l’engagement de Bourdieu dans le mouvement social à la fin de sa vie. Seul Albert O. Hirschman aurait su prendre en compte, au-delà des simples intérêts rationnels, le rôle des émotions (et de la confiance) dans les conduites sociales

* Albert Bastenier, "La confiance dévorée par l'économie", Revue du MAUSS permanente, 2 février 2010.