Déplacer le débat sur la sécurité urbaine pour sortir des antagonismes stériles : objectif réussi pour cet essai, stimulant, mais parfois rapide. 

Dans cet essai, Paul Landauer vise trois objectifs : renouveler les termes du débat sur la sécurité en ville, proposer des solutions pragmatiques et enfin, définir les spécificités contemporaines de l’impératif sécuritaire.

 

Comme le souligne l’auteur, les développements sur les questions de la sécurité en ville sont particulièrement pauvres : "le débat sur la sécurité dans la ville, alimenté par nombres d’architectes, sociologues et autres intellectuels, s’est déployé sur fond d’une vision manichéenne, opposant les tenants "réalistes" d’une sécurité renforcée et les dénonciateurs des méfaits à venir de cette "idéologie sécuritaire"   . Parmi les opposants à toute prise en compte de la dimension sécuritaire dans l’aménagement urbain, certains nient un quelconque rapport entre la conception de l’espace et la question de la sécurité. Cette attitude, comme le montre l’auteur, est démentie par les faits. Par ailleurs, elle est souvent contre-productive : "combien d’espaces conçus pour être ouverts ont-ils été fermés quelques jours à peine après avoir été réalisés ?"   . D’autres refusent de prendre en compte cette dimension sécuritaire, s’inspirant d’écrits de Michel Foucault, pour qui les politiques de prévention constituent, en elles-mêmes, une manière de jouer une coercition sociale à l’égard des gens. Directement appliquées à l’espace, ces politiques paraissent d’autant plus injustifiables qu’elles étendent la sanction au-delà de son lieu d’exercice légitime, contribuant ainsi à augmenter la privation de liberté. D’un autre côté, on trouve des partisans d’une sécurité maximale, dangereuse pour les libertés bien sûr et peut-être même pour les villes. L’auteur cite Zygmunt Bauman pour rappeler que "lorsque l’insécurité disparaît, la spontanéité, la flexibilité, la capacité de surprendre et l’offre d’aventure (ces grands charmes de la vie urbaine) ont de grandes chances de quitter elles aussi les rues des villes   ". Bref, l’enjeu est de tenir à distance ces deux écueils, le déni et l’excès.

 

Comment concevoir des projets qui tiennent compte de la sécurité ? Paul Landauer rappelle les travaux de l’activiste et essayiste états-unienne Jane Jacobs, qui, dès les années 1960, est l’une des premières théoriciennes de la ville à évoquer la sécurité comme un objectif à atteindre. Elle met en avant l’importance de la surveillance "naturelle" des espaces urbains qui dépend de la fréquentation des rues. Quelques années plus tard, pour Oscar Newman, qui sera, l’un des principaux propagandistes de la prévention situationnelle, la caractéristique la plus importante d’un espace public sûr réside dans la manière dont il s’offre au regard des habitants qui vivent tout autour. Dans son ouvrage, Defensible Space, il hiérarchise les espaces extérieurs résidentiels en fonction du niveau de surveillance que peuvent y exercer les résidents depuis les espaces privés, jusqu’aux espaces publics, en passant par les espaces semi-privés – sous surveillance directe des habitants – et les espaces semi-publics –sous surveillance indirecte. Sans nier l’importance de cette forme de protection par le contrôle du regard, l’auteur souligne qu’elle est insuffisante : la sécurité s’émancipe du modèle de surveillance visuelle au profit d’une technique de diffusion et de séparation dissuasive des publics. Il ne s’agit pas simplement de surveiller, mais aussi de contraindre les flux afin d’éviter les immobilités dangereuses et les mobilités incontrôlées. La dernière partie de l’ouvrage livre ainsi des exemples d’opérations concrètes qui ont suivi ces préceptes d’un urbanisme sécuritaire mais attentif aux qualités de l’espace public. L’auteur invite à ruser avec l’impératif sécuritaire, comme le fait Jean Nouvel. Sont présentées différentes réalisations de cet architecte, notamment le musée des Arts premiers du quai Branly, dans lequel les différents espaces de contrôle et de filtrage sont présents, mais intégrés dans le projet, peu perceptibles au regard. Des interventions conduites par l’auteur à Brest sont analysées. Ces projets visent à rendre plus sûrs deux quartiers d’habitat social, Lambezellec et Kerourien. La réponse apportée ne consiste pas seulement en la mise en place de mesures de protection de type grilles et contrôles d’accès, mais surtout dans une recomposition des espaces publics et des halls d’immeubles, recomposition appuyée sur une analyse précise des bons et mauvais usages des lieux.

 

 

Le troisième objectif de l’ouvrage est de présenter les spécificités contemporaines de la question sécuritaire en ville. L’ouvrage est alors moins convaincant. Tout en rappelant, que "les formes des villes ont toujours été déterminées par les risques auxquels s’exposaient leur habitants", l’auteur note que "depuis une vingtaine d’années, ces risques ont pris de nouvelles formes"   . Face à ces risques nouveaux, on assisterait au développement de formes spatiales "qui organisent la sécurité selon un principe totalement nouveau : celui de la mobilité. Les récents agencements préconisés par les responsables du maintien de l’ordre tendent en effet à effacer toutes les limites, qu’elles soient cadastrales ou de protection, au profit d’une division du territoire en autant de couloirs de circulation ou de déplacement, étanches les uns aux autres. En un mot, la protection physique des lieux s’estompe au profit de la gestion des déplacements"   . Certes, l’auteur montre bien comment la gestion des circulations est une dimension essentielle des politiques de sécurité, notamment aux abords des stades (avec un développement très intéressant sur le stade de France), mais c’est le caractère "totalement nouveau" qui interroge. L’auteur rappelle par ailleurs   , et de manière un peu contradictoire avec cette affirmation, que les travaux menés sous Haussmann, étaient réalisés avec cette même volonté de mieux gérer les flux. Bref, la sécurité en ville, ce ne sont pas que des grilles, des barrières ou des caméras de surveillance, mais bien aussi, un code de la route, des normes d’organisation des espaces publics, une gestion des flux de marchandises et de personnes. De nouvelles modalités de cette organisation des déplacements apparaissent, plus que cette organisation elle-même.

 

Ouvrage stimulant, cet essai conduit à penser autrement la question de la sécurité, ouvre des pistes aux concepteurs, urbanistes et architectes, et invite à revisiter l’histoire des espaces publics à l’aune de la gestion par les villes des risques engendrés par leur propre population