Seize ans après les premières élections libres en Afrique du Sud, en avril 1994, et la fin de l’apartheid, le pays reste très contrasté. C’est aujourd’hui l’Etat le plus riche du continent, mais une forte majorité vit encore dans une situation d’extrême pauvreté, dans un pays où le taux de chômage est de près de 25%. Les Blancs et les Noirs sont aujourd’hui politiquement égaux, mais les premiers conservent encore la majorité du pouvoir économique. Une classe moyenne noire a cependant émergé ces dernières années, notamment grâce au Black Economic Empowerment (BEE), programme mis en place par le gouvernement de Nelson Mandela en 1994 pour favoriser l’emploi pour la majorité noire. La santé, et le sida en particulier, représente l'un des défis que l'Afrique du Sud doit relever aujourd'hui avec une forte opposition entre des hôpitaux ultra-modernes et des dispensaires vétustes.
L’Afrique du Sud semble loin du rêve de Nelson Mandela, même si le passage de la société raciste et inégalitaire de l’apartheid à une vraie démocratie s’est déroulé relativement en paix. Aujourd’hui, le président Jacob Zuma est fortement critiqué par des membres de son propre parti, l’ANC (Congrès National Africain) et par l’opposition.
Dans un dossier spécial, la revue Jeune Afrique présente un bilan de la situation en Afrique du Sud et de la première année de mandat du président.
Jacob Zuma, un président controversé
Un an après son élection à la tête de l’Afrique du Sud, Jacob Zuma doit faire face à de nombreuses oppositions. Elu président à la suite de Thabo Mbeki, Jacob Zuma est un ancien activiste de l’aile gauche de l’ANC. Il a combattu l’apartheid pendant de nombreuses années et a notamment été emprisonné pendant dix ans à Robben Island avec Nelson Mandela .
Après seulement quelques mois au pouvoir en 2009, les scandales de corruption et de clientélisme des membres de la classe dominante ont éclaté. Jacob Zuma, en cherchant à contenter trop de monde, Blancs, Noirs, pauvres et riches, a fini par exacerber l’opposition. La vie personnelle du président est également régulièrement attaquée, notamment sa polygamie.
Tensions raciales et sociales
Des émeutes ont éclaté dans de nombreux townships où la population se sent exclue du "miracle" sud-africain. Alors que l’Afrique du Sud domine l’économie africaine, c’est aussi l’un des pays les plus inégalitaires au monde, et de nombreux habitants de ces bidonvilles se sentent trahis par les dirigeants de l’ANC qui se sont enrichis mais n’ont pas amélioré la situation des quartiers et zones les plus pauvres des villes.
Dans les campagnes, la situation est considérée comme pire encore avec de fortes tensions raciales et inégalités entre les propriétaires, en majorité blancs, et les ouvriers, en majorité noirs. Le prix Nobel de littérature John Maxwell Coetzee a ainsi représenté cette haine raciale des campagnes dans son roman Disgrâce et le meurtre le 3 avril d’Eugène Terre’Blanche (fondateur de l'AWB, Mouvement de la résistance afrikaner) par deux de ses ouvriers noirs qui se plaignaient de ne pas être payés et d’être régulièrement battus a illustré ces tensions.
L’Afrique du Sud va être en juin au cœur des médias internationaux, puisque le pays accueille, pour la première fois sur le continent africain, la Coupe du monde de football. Evènement sportif majeur, son organisation n’a cependant pas eu les effets attendus sur le développement économique et la baisse du chômage. William Gumede, politologue et éditorialiste sud-africain exprime les risques de "l’après Coupe du monde" sur le moral économique des Sud-africains : "Mais il est également probable que la dépression post-partum soit intense quand tout le monde aura bien compris qu’être hôte de la Coupe du monde de football n’apporte ni nouveaux emplois, ni investissements de long terme, ni unité nationale – et pourrait, bien au contraire, se transformer en lourd fardeau financier, et accroître les tensions raciales, les dissensions au sein de l’ANC et la fronde populaire contre le chef de l’État. On sera alors loin, très loin de l’effet Coupe du monde 1995 !" .
Progrès dans la lutte contre le sida ?
Avec 5,7 millions de personnes infectées par le virus, l’Afrique du Sud est le pays le plus touché au monde par le sida. Le problème a cependant longtemps été minimisé par les gouvernants. Jacob Zuma lui-même a été au cœur d’un scandale à ce sujet : jugé pour viol en 2006, il avait affirmé "avoir pris une douche" pour réduire les risques d’infection après des rapports sexuels avec une femme séropositive . Thabo Mbeki, président de 1999 à 2008, avait également minimisé les risques et refusé de développer une campagne de traitements antirétroviraux, campagne jugée trop chère.
Zuma a changé aujourd’hui et a tourné la page du "déni du sida". Après avoir pris conscience du danger pour les Sud-Africains, il a annoncé dimanche 25 avril le lancement d’une importante campagne de dépistage. Il est prévu de dépister quinze millions de personnes d’ici 2011 et de sensibiliser la population. Ce programme va cependant soulever un autre problème, celui des infrastructures médicales du pays, héritées de la période de l’apartheid : si les Blancs et les riches bénéficient d’hôpitaux ultra-modernes, les pauvres, et donc la majorité des Noirs, ne peuvent compter que sur des initiatives ponctuelles ou le soutien des organisations humanitaires. La santé reste un privilège...
* Fabienne Pompey, "Jacob Zuma peut-il rebondir ?", Jeune Afrique.
Fabienne Pompey, "Touche pas à mon pays", Jeune Afrique.
William Gumede, "Des Springboks aux Bafana Bafana", Jeune Afrique.