Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution sur la concurrence entre fonction publique et emplois privés.

 

"War for talents" (la guerre pour les talents) est l’un des mots d’ordre des institutions de l’Union européenne. L’idée est tout simplement de recruter les meilleurs. Dans cette guerre, l’Union européenne estime être en concurrence non seulement avec les fonctions publiques nationales, mais également avec les entreprises, en particulier celles qui attirent le plus les jeunes diplômés. Pour mener à bien cet objectif, l’Union européenne a rendu son portail Internet de recrutement plus sexy ; elle offre également des salaires comparables à ceux que l’on peut espérer obtenir dans les entreprises les plus attractives à la sortie des grandes écoles. Pourquoi une telle guerre ?

D’une part, l’économie et la finance se sont complexifiées. D’autre part, la fonction publique a perdu de son prestige et de son attractivité, dans un monde gagné à l’idéologie libérale. Dans ce contexte défavorable, l’Etat-régulateur doit veiller à conserver en son sein des compétences pointues en économie, banque, finance et statistique, sans quoi il ne sera pas en mesure à terme d’assurer un contrôle efficace, pourtant si souhaitable dans le contexte de crise actuel. Au-delà des compétences strictement techniques nécessaires pour assurer le contrôle de l’économie et de ses acteurs, l’Etat a besoin de compétences de communication et de réflexion lui permettant de faire face aux revendications des institutions financières, lors des négociations relatives à la régulation et à la définition des règles prudentielles. Aux Etats-Unis, de nombreuses voix s’élèvent pour affirmer que le gendarme américain de la bourse, la SEC (Securities and Exchange Commission), n’est pas en mesure de contrôler Wall Street, faute de compétences. C’est-à-dire, faute d’attractivité.

La France ne doit pas tomber dans le travers d’une administration incapable de résister aux pressions d’entreprises qui maîtrisent mieux le secteur d’activité et ont recours à des cabinets spécialisés pour défendre leurs points de vue. Si les salaires du secteur public stagnent alors que ceux du secteur privé augmentent (du moins pour les personnels les plus qualifiés), le risque est grand de voir les vocations se tarir, surtout pour les compétences qui sont les plus "rentables" dans le secteur privé. La France a plus que jamais besoin d’attirer des statisticiens de talents à l’INSEE, des financiers avertis à l’Agence France-Trésor (qui optimise la gestion de la dette publique), des administrateurs compétents en économie dans les fonctions de contrôle des autorités et dans les bureaux du ministère de l’Economie et des finances. Pour cela, l’Etat pourrait réfléchir à adopter une politique salariale plus attractive, dans l’intérêt général. Il ne s’agit pas d’essayer d’imiter les banques en versant des salaires et des bonus outranciers, il s’agit simplement de ne pas dissuader ceux qui ont une vocation publique pour cause de restrictions budgétaires