L’ouvrage “La bioéthique” de Bertrand Mathieu, professeur de droit public, est un outil précieux pour comprendre ce qu’est le droit de la bioéthique aujourd’hui. 

 

L’ouvrage intitulé “La bioéthique” a pour objet l’étude des rapports entre bioéthique et droit. 

 

L’auteur adopte une définition étroite de la bioéthique, qui “renvoie essentiellement aux rapports entre les sciences et techniques médicales et la protection de l’homme tant dans leurs aspects philosophiques que juridiques”.   Il la cantonne donc à la biomédecine. On pourrait lui objecter que ce choix occulte une partie des questions éthiques posées par d’autres pratiques. L’auteur le reconnaît d’ailleurs à la page 22 puisqu’il admet que “les normes communautaires intervenant dans le champ de la bioéthique, directement ou indirectement, trouvent aujourd’hui à s’exprimer essentiellement dans les domaines de l’alimentation et des médicaments, de la recherche biomédicale des brevets et de la propriété industrielle”.

 

Bertrand Mathieu justifie d’emblée l’intervention du droit, même si d’autres systèmes normatifs le concurrencent. Il considère que, si le parti de la science est celui du progrès, si le rôle de la philosophie est de rechercher ce qui est moralement bon pour l’homme, l’objet du droit est triple : écrire les lois et règlements qui régulent les pratiques, établir des procédures et veiller à la cohérence entre les réglementations et les principes fondateurs inscrits dans les textes constitutionnels et internationaux.

 

Loin d’adopter une vision pro ou anti-science, l’auteur entend choisir une voie intermédiaire qui consiste à “tenter d’observer avec perspicacité les logiques à l’œuvre dans le domaine biomédical”.   Son ouvrage construit en trois chapitres s’intéresse d’abord au système normatif de la bioéthique, puis aux principes applicables en matière de bioéthique et enfin aux questions de bioéthique. Notons dès à présent que, loin de négliger la question de la révision de la loi bioéthique de 2004, elle ne constitue pas cependant son axe principal.

 

Dans le premier chapitre consacré au système normatif, Bertrand Mathieu aborde la matière de manière chronologique. Il part des origines de la bioéthique, notamment sa construction, d’abord non juridique, puis juridique (Tribunal de Nuremberg, Code de Nuremberg, émergence d’un droit mou, conventions internationales). Il explique l’importance des comités d’éthique et de l’intermédiaire qu’ils constituent entre la légitimité scientifique et la légitimité politique. Ce sont donc les découvertes de pratiques biomédicales et les enjeux qu’elles portent qui justifient l’intervention du droit. Sans nier la spécificité des questions, les intérêts industriels et commerciaux, l’auteur estime que la légitimité du droit doit être affirmée et repose “essentiellement” sur sa vocation à traduire et à faire respecter un système de valeurs autour duquel une société humaine s’est construite. L’auteur répond à nombre de questions : A quoi sert le droit ? Le droit doit-il réguler la bioéthique ? Quel échelon est le plus pertinent ? Quelle norme juridique doit être privilégiée en droit national (Constitution, loi, jurisprudence) ? Le droit doit-il être révisable au risque de s’adapter au fait médico-scientifique ? Par ailleurs, il propose une présentation succincte de chaque système juridique (droit national constitutionnel, droit international, droit européen et de l’Union) estimant que les principes encadrant les activités biomédicales existent au niveau constitutionnel et international. Pourtant l’auteur considère qu’aujourd’hui “le droit régule plus qu’il ne fonde”, de nombreuses dérogations législatives étant apportées aux principes applicables à la bioéthique. 

 

 

Bertrand Mathieu consacre d’ailleurs son deuxième chapitre aux principes applicables en matière de bioéthique. Après avoir pris le temps d’expliquer le lien “bioéthique et droits de l'homme” et ses limites, il expose lesdits principes, à savoir le principe de dignité (principe indérogeable et droit objectif), le principe de liberté (liberté de recherche sous conditions, le consentement de la personne et la vie privée) et le principe de précaution. On peut s’étonner de l’absence de certains principes comme le principe de non-patrimonialité du corps humain. Reconnaissant l’utilité du droit pour encadrer les techniques biomédicales, l’auteur regrette toutefois que les principes posés pour protéger la personne soient soumis à des dérogations qui conduisent à une instrumentalisation de l’homme.  

 

Aussi, le troisième et dernier chapitre consacré aux questions de bioéthique, qui, s’il répond aux attentes légitimes, est néanmoins empreint de pessimisme. Une vision étroite de la bioéthique permet indéniablement une analyse ramassée du droit actuel et le découpage en plusieurs thèmes, “l’homme sélectionné”, “l’humain instrumentalisé” convainc. L’auteur y aborde toutes les thématiques actuelles : “l’homme sélectionné” (eugénisme, diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire, clonage reproductif, stérilisation, discriminations entre les être humains avec les tests génétiques et la question de l’euthanasie active qui varierait en fonction de l’état de santé de la personne), “l’humain instrumentalisé” (pratiques supposant la séparation de l’homme et de son corps telles que les recherche sur l’embryon, le don et le prélèvement d’organes sur personnes vivantes et décédées, les recherches sur les personnes, la gestation pour autrui). Le choix des intitulés semble traduire une perception négative de la régulation juridique de certaines avancées biomédicales, alors même que leur contenu n’est pas aussi catégorique. Contre toute attente, l’auteur admet par exemple que “rien ne semble justifier (…) une interdiction définitive du clonage reproductif humain”   . En outre, il reconnaît que les pratiques utilisant les éléments ou le corps humains traduisent un “janus biface”, c'est-à-dire une logique altruiste et une logique d’instrumentalisation de l’humain   . Pour autant, à titre prospectif, l’auteur pose la question des frontières de l’humanisme et anticipe les conséquences de nouvelles pratiques médicales encore à l’état de recherches. Dans le paragraphe intitulé l’ ”homme banalisé”, il regrette l’évolution des conceptions des rapports entre l’homme et l’animal (le premier n’étant plus aussi déterminant vis-à-vis du second), d’autant que s’ajoutent désormais des pratiques technologiques qui contribuent matériellement à déplacer les frontières entre espèces animale et humaine (chimères) et entre monde vivant et monde des objets. Dans le paragraphe “De l’homme réparé à l’homme recréé ?”, la formule interrogative atténuant le caractère science-fictionnel du propos, l’auteur expose deux techniques susceptibles de jouer un rôle dans la transformation voire la création de l’homme par l’homme, à savoir le développement des neurosciences via l’imagerie médicale et l’ectogenèse (ou la gestation en dehors du corps de la femme). Une fois encore, l’auteur redoute que cette dernière pratique éventuellement acceptable dans un but thérapeutique puisse devenir à terme une pratique de confort. Ces exemples volontairement “alarmants” lui permettent d’évoquer le courant dit “transhumaniste”, qui préconise le développement des technologies émergentes permettant d’accéder à la vie éternelle.

 

 

Abordant tous les enjeux des nouvelles techniques, l’auteur reste constamment circonspect face à la régulation juridique des nouvelles techniques biomédicales craignant une pratique (trop) permissive. Son constat est sévère  : "Aujourd’hui le droit s’est détaché d’une conception ontologique de l’homme. Il obéit essentiellement à une logique compassionnelle ou émotionnelle ou à une logique économique"   . Bertrand Mathieu conclut d’ailleurs son ouvrage en s’interrogeant sur un avenir qui obéirait à une autre logique que celle des droits fondamentaux. Ne trouvant pas de réponse convaincante, il revient tout simplement sur ce qui lui semble essentiel : la difficulté pour le droit à poser des interdits, alors même que la science ne porte pas en elle-même de valeurs. Autrement dit, il prône une intervention du droit dans le domaine de la bioéthique tout en critiquant sa substantialité actuelle sans proposer de nouvelles alternatives. En dépit de cette contradiction, l’ouvrage permet cependant aux juristes et aux non-juristes de comprendre pourquoi le droit, en appréhendant certains problèmes éthiques posés par les techniques biomédicales, peut susciter quelques critiques plus ou moins fondamentales