Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution de Julia Cagé sur la place de la Croatie en Europe.

 

Qui n’a jamais rêvé de se retrouver bloqué tout un week-end avec son amant dans une capitale européenne pour cause d’aéroports fermés ? Il serait difficile de trouver meilleure excuse pour justifier un retour tardif à la vie professionnelle ou au foyer conjugal. Surtout lorsque les télévisions du monde entier sont là pour la relayer.

On se perd à imaginer Nicolas et Angela, bloqués dans un hôtel à Cracovie pour une lune de miel européenne, et les conséquences d’un tel tête à tête impromptu sur le sort de la capacité d’endettement grecque. Huis-clos romantique à finalité non tragique en quelque sorte, juste histoire de discuter gouvernance économique et politique européenne – en espérant seulement qu’il n’y ait pas un Dominique, tout au fond du placard, désireux de s’en mêler.

Votre dévouée vous écrit exceptionnellement cette semaine de Croatie, où elle a bien failli ne jamais arriver – si elle y reste bloquée ne vous en faites pas, vous en serez les premiers informés. Or la vue de ce pays - enfin de sa capitale - à la porte d’une Union européenne affaiblie lui inspire quelques réflexions qu’elle aimerait partager.

Mais quelques mots d’introduction tout d’abord pour tous ceux qui, restés bloqués dans les aéroports européens - Marseille, Munich, Paris ou Rome - ne découvriront pas de si tôt ce beau pays aux quatre millions et demi d’habitants. La Croatie, ex-pays sous domination ottomane, ex-province illyrienne, ex-république de l’ex-Yougoslavie. Un peu plus de quatre millions d’habitants donc, pour une superficie de 56 542 km2, quatre villes principales – Zagreb, Osijek, Rijeka et Dubrovnik – et 1185 îles (que les députés allemands – c’est étonnant ! – n’ont toujours pas proposé d’acheter pour faire face aux potentiels futurs dérapages budgétaires).

La Croatie – ou tout au moins sa capitale – et un nombre étonnant de drapeaux européens flottant au fronton du moindre de ses bâtiments officiels. Jamais de ma vie – même à Bruxelles ou à Strasbourg, ce n’est pas peu dire - je n’en avais vu une telle concentration. A croire que la Croatie est déjà membre de l’Union européenne. Et pourtant.

Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant…

La Croatie, reprenons, à la porte de l’Union européenne. Une porte qui apparaît aujourd’hui légèrement bloquée, malgré une entrée comme 28e Etat prévue fin 2012 (les Islandais et leur agaçant volcan pourront bien attendre quelques mois de plus) et une entrée dans la zone euro pour laquelle avancer la date de 2015 pourrait paraître un peu imprudent (ne soyons donc pas si impatients en ces temps perturbés).

La Croatie à la porte, donc, là est tout le problème. Une porte à 35 verrous – les 35 chapitres sur lesquels se déroulent les négociations d’adhésion – dont les deux derniers (correspondant aux dispositions finales et notamment aux détails des traités) ne se débloqueront qu’une fois les 33 autres fermés. Et c’est là que le bât blesse : 33 chapitres de négociation, mais seuls 30 chapitres ouverts, parmi lesquels 17 provisoirement fermés (pour ceux là, normalement, le compte est bon), et trois chapitres posant aujourd’hui de vrais problèmes. Enfin surtout 2 (le troisième dépendant avant tout de la bonne humeur du jour de nos camarades slovènes, petits voisins de la Croatie, membres de l’Union européenne depuis 2004 et cherchant toujours désespérément à exister) : le chapitre 8 portant sur la politique de la concurrence ; et le chapitre 23, portant sur la justice et les libertés fondamentales.

Commençons par le commencement, le chapitre 8. Il était une fois les chantiers navals croates… dont l’Union européenne veut imposer la liquidation en cas d’échec des privatisations, afin de répondre aux exigences communautaires relatives aux aides d’Etat, et ce au risque – pris en toute connaissance de cause – de supprimer des milliers d’emploi et d’affaiblir considérablement – voire de faire disparaître à terme – l’une des seules industries du pays. Que l’on ne vienne pas nous parler en suite de pays du Club Med’... Il était une fois les chantiers navals croates qui, confrontés à des difficultés, bénéficient d’aides d’Etat sous la forme d’effacement de dettes et d’aides au fonctionnement. Il était une fois des chantiers navals croates qui pourraient apparaître comme un concurrent important – le marché étant après tout assez limité – pour d’autres chantiers navals, par exemple ceux de Saint-Nazaire… Enfin ne voyons pas le mal partout. D’autres pays d’Europe ont une industrie navale développée et ne connaissent aucune difficulté pour intégrer l’Union européenne. La Turquie par exemple…

Quant au chapitre 23, il faut savoir être bref – et puis Zagreb demande à être connu autrement que derrière une vitre et devant un ordinateur – donc je ne m’y étendrai pas. Reconnaissons juste qu’il est certain que les Croates ont encore quelques efforts à faire en matière de lutte contre la corruption, d’impartialité de la justice et de formation des magistrats. Est-ce pour autant une raison de multiplier les tergiversations ? A force de repousser sans cesse les espérances, on risque de décourager jusqu’aux plus sincères attentes.

Quelques dates pour terminer : fin 2009, début 2010, mi-2010, fin 2010, début 2011. A quoi correspondent-elles ? Toutes à la même chose. La fin annoncée des négociations d’adhésion. Que l’on repousse sans fin.

Pour en revenir à nos hôtels européens – ou d’ailleurs –, on reste dieu merci à la merci d’une aventure. Celle-ci fut européenne. A quand la prochaine ?

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