Une présentation synthétique performante des théories classiques et actuelles de l'intégration européenne, avec pour but de normaliser les études européennes.

L'Union européenne est devenue depuis les années 1990 un objet d'étude de premier plan pour la science politique. Les EU studies ont le vent en poupe et cela se ressent en terme de publications d'ouvrages généraux sur le sujet. A la traîne par rapport aux publications anglo-saxonnes, la science politique française comble son retard depuis ces deux dernières années. D'abord l'ouvrage Science politique de l'Union européenne dirigé par Céline Bélot, Paul Magnette et Sabine Saurrugger (Economica, 2008), puis Politiques européennes dirigé par Renaud Dehousse (Presses de Sciences Po, 2009), et enfin le présent ouvrage Théories et concepts de l'intégration européenne de Sabine Saurugger (Presses de Sciences Po, 2009). Si le premier portait sur l'état actuel de la recherche française dans les divers sous-champs des études européennes et le deuxième sur les politiques publiques de l'Union européenne et son système de gouvernance, l'ouvrage de Sabine Sarugger expose les différentes approches théoriques de l'intégration européenne.

Car en effet, l'Union européenne constitue un met de premier choix pour les politistes en mal de construction théorique. A mi-chemin entre les Relations internationales et la politique comparée, l'intégration européenne défie les catégories classiques des organisations internationales. L' "objet politique non identifié" qu'est l'Union européenne s'est vu affublé d'un nombre incalculable de définitions, de concepts et autres terminologies : "organisation supranationale", "intégration intergouvernementale", "pacte fédératif", "policies without politics"... Fort d'un tel objet d'étude, les EU studies ont été tentées par l'autonomisation, voire l' "exceptionnalisme disciplinaire". Contre cette tendance, Sabine Saurrugger souhaite "normaliser" les études européennes : faire de l'Union européenne un objet d'étude comme les autres afin de sortir de l'ornière du sui generis   .

L'objectif de l'ouvrage de Sabine Saurugger, dans une démarche pédagogique mais aussi d'agenda de recherche, est de contribuer "à la compréhension de la production théorique des études européennes, en soulignant les forces, mais aussi les approfondissements possibles, des différentes théories, approches et cadres conceptuels". Il ne s'agit pas de "mesurer l'efficacité des approches susceptibles de prédire les développements de l'intégration européenne, exercice vain et inutile, car fondé sur des bases épistémologiques mouvantes"   .

L'histoire des théories de l'intégration européenne peut se découper en trois grandes périodes. Les premières approches théoriques se focalisaient sur la dynamique de création d'un système politique supranational : comment des Etats souverains en sont-ils venus à transférer certaines compétences à un niveau supranational ? Et Ernst Haas d'inventer la notion de "spillover" selon laquelle, dans une approche qualifiée de néofonctionnaliste, les compétences étatiques mais aussi les loyautés politiques glissent, sous l'action d'acteurs institutionnels et économiques principalement sub-étatiques (entreprises, groupes de pression, juridictions nationales) du national au supranational indépendamment des volontés étatiques. L'intégration juridique correspond à un "processus par lequel les acteurs politiques dans plusieurs ensembles nationaux sont persuadés de modifier leurs loyautés, leurs attentes et leurs activités politiques vers un nouveau centre, dont les institutions possèdent ou demandent autorité sur les Etats nationaux préexistants"   . L'intégration est alors vue comme une dynamique ascendante.

L'approche néofonctionnaliste se voit principalement opposée l'approche intergouvernementaliste de Stanley Hoffmann qui refuse de voir dans ces transferts de souveraineté un phénomène échappant au contrôle des Etats. Selon ce dernier, les gouvernements restent maîtres de l'intégration européenne, dans son rythme comme dans sa portée   .

Une deuxième période s'ouvrant à partir de la fin des années 1980 appréhende les Communautés européennes et plus tard l'Union européenne comme résultat ou point de départ et non plus comme un processus de construction. Il s'agira alors d'étudier le système politique de l'Union européenne, sa gouvernance, sa nature.

Enfin, la troisième période des études européennes commence à la fin des années 1990 lorsque les chercheurs s'interrogent sur les effets retours ou feedback du niveau européen sur le niveau national, processus connu sous le terme d' "européanisation".

Avec Théories et concepts de l'intégration européenne, Sabine Saurugger offre à la science politique française une synthèse complète et performante des différentes approches théoriques de l'intégration européenne, des approches classiques aux plus récentes comme le constructivisme, la gouvernance européenne et surtout la sociologie de l'intégration européenne. La bibliographie de plus de soixante-dix pages se révèle particulièrement utile et maniable. Un ouvrage à recommander à tous les praticiens et chercheurs de l'Union européenne, et au-delà à celles et ceux qui souhaitent appréhender l'intégration européenne avec une certaine profondeur