Une histoire de la mafia corleonaise, de Navarra à Provenzano.

Les parrains de Corleone (Denoël, 2010), c’est l’histoire de l’ascension, l’apogée et la chute de l’un des clans les plus célèbres de la Cosa Nostra sicilienne, celui de Corleone.

Car avant de devenir un mythe hollywoodien, grâce à Francis Ford Coppola et Marlon Brando, Corleone c’est d’abord une petite ville de Sicile dans laquelle les pauvres ne connaissaient depuis des siècles qu’une loi, celle des riches bourgeois, les Borghesi. Entre les deux, les Fratuzzi, hommes de main des propriétaires et ancêtres des mafieux, appliquaient la loi du maître, à défaut de celle de Rome.

John Follain remonte jusqu’au docteur Michele Navarra qui lança la dynastie corleonaise à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de l’invasion de l’île par les troupes alliées. Médecin des pauvres d’un côté, chef mafieux sans pitié de l’autre, il pouvait aussi guérir qu’achever, décider de la vie ou de la mort. Ce qui peut expliquer pourquoi on lui donna le surnom de « U Patri Nostru » (Notre Père).

Ce surnom ne réussit pas à l’épargner. Car dans la mafia, sans doute plus qu’ailleurs, il est bien plus difficile de conserver le pouvoir que de le prendre. En 1958, au sommet de sa puissance, Navarra est assassiné au volant de son Alfa Romeo par un de ses plus fidèles lieutenants, Luciano "Graine de feu" Liggio.

Avec le règne de Liggio, le clan corleonais allait connaître un développement extraordinaire au sein de la Cosa Nostra sicilienne, faisant d’une modeste bourgade l'un des épicentres du crime organisé italien.

Avec un Etat qui regarde ailleurs et une population soumise à la loi du silence, les mafieux deviennent des Intouchables pour qui l’impunité va de soi. Pourtant, comme dans toutes les histoires, alors que tout le monde baisse les bras, quelques-uns redressent la tête. Ce seront ce que les mafieux appellent des cadaveri eccellenti : des vrais serviteurs de l’Etat, souvent abandonnés ou même dénigrés par leur hiérarchie. La liste est longue de ceux qui tomberont sous les balles de la mafia… Mais c’est l’assassinat en 1992 du juge palermitain Giovanni Falcone qui marque un tournant dans ce que John Follain appelle le "terrorisme de la mafia". Cet assassinat commandité par le nouvel homme fort du clan, Salvatore Riina, choque toute l’Italie et oblige les autorités à prendre enfin les choses en main.

Face à eux, Riina est un parrain d’un nouveau type qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, n’hésite pas à se lancer dans une guerre ouverte contre les autorités… et contre tous ceux qui dans l’organisation ne lui prêtent pas une allégeance totale. La brutalité ne connaît plus de limite : on tue en plein jour en toute impunité avant de dissoudre dans de l’acide ou de brûler le corps des victimes. Les morts se succèdent mais la violence ne faiblit pas – et ce malgré l’arrestation de Riina, allant jusqu’à l’enlèvement et à la séquestration pendant deux ans dans une prison souterraine du petit Guiseppe Di Matteo, fils d’un repenti, avant d’être finalement étranglé et dissous dans de l’acide.

 

Avec ce crime, l’Italie est de nouveau sous le choc et les repentis continuent à se rendre à la justice. Ce phénomène sans précédent touche la mafia au cœur. En brisant la loi du silence, les juges découvrent la mafia de l’intérieur. La démarche des repentis n’est pas sans risques : se rendre à la police était non seulement la garantie d’une mort assurée si la mafia parvenait à mettre la main sur le repenti. C’était aussi une grave menace pour les proches du repenti, la mafia n’hésitant pas à les liquider. Pourtant c’est paradoxalement cette intransigeance qui poussa le plus célèbre des repentis, Tommaso Buscetta, à se livrer à la justice italienne ; les corléonais ayant fait disparaître ses deux fils.

Les coups portés par la justice et la violence tous azimuts commencent à ébranler dangereusement la Cosa Nostra. C’est alors que Bernardo Provenzano, ancien acolyte de Riina et nouvel homme fort de l’organisation, décide de "revenir aux fondamentaux" en cessant de provoquer l’Etat et la société et en se faisant discret pour mieux se concentrer sur ses activités criminelles. Pour John Follain "la mafia devient silencieuse."

Provenzano, à la tête d’une fortune considérable, sera finalement arrêté en 2008 à quelques kilomètres de Corleone, dans la cabane d’un berger réputé pour sa Ricotta. Bien loin des personnages de Vito Corleone ou de Tony Montana, Provenzano dormait dans un sac de couchage et cuisinait sur un réchaud de camping, entouré de quatre-vingt-trois images pieuses.

Son arrestation signe la fin d’une génération : celle des patriarches de la mafia sicilienne. Dans Les parrains de Corleone, les mafieux ont encore de la terre sous leurs chaussures, ils sont bien loin de la nouvelle génération globalisée décrite dans Gomorra, l’ouvrage de Roberto Saviano. Pourtant anciens comme nouveaux partagent tous le même cynisme, la même soif de pouvoir sans limite et la même haine de l’Etat et de sa justice. Le combat continue

 

 

* À lire également sur Nonfiction.fr :

- Roberto Saviano, Gomorra. Dans l'empire de la Camorra (Gallimard), par Antoine Aubert.