Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution sur la réforme des collectivités territoriales.

 

Est-il bienvenu ou convenu de parler des régionales au lendemain du second tour de scrutin ?
La question n’appelant pas de réponse tranchée, une fois n’est pas coutume, prenons la diagonale. Parlons des régionales – et des régions – mais sans directement commenter les résultats d’hier, déjà amplement examinés, analysés, décortiqués. Ne spéculons pas sur les intentions de vote de ceux qui ne sont pas allés voter. Ne vantons pas le renouveau de la gauche, la déroute de la droite au pouvoir. Et évitons ainsi les pièges d’une satisfaction trop rapide : certes, nous avions souhaité, dans nos vœux de janvier dernier, voir vingt-deux présidents de région de gauche à la fin du mois de mars, mais nous savons aussi que la route de la solidarité à gauche et de la construction d’un programme est encore longue jusqu’à l’élection présidentielle de 2012.

Parlons donc régions et système électoral. Dans Le Monde en date du 15 mars, Gérard Courtois s’est livré à un intéressant exercice de politique fiction, 'Mars 2014 : miracle à l’UMP'. Appliqué aux résultats du premier tour de l’élection régionale de 2010, le mode de scrutin défendu par la droite dans son projet de réforme territoriale – et adopté en conseil des ministres le 21 octobre 2009 – aurait donné… une large victoire à la majorité présidentielle ! 29,5% des voix pour le PS, 50,5% pour l’ensemble de la gauche, 26,18% pour l’UMP – le pire score de la droite dans toute l’histoire de la Ve République –, en tête dans seulement neuf régions métropolitaines sur vingt-deux et pourtant… Et pourtant, avec le nouveau mode de scrutin, les régions tombent dans l’escarcelle de la majorité présidentielle : Alsace et Corse, Ile-de-France et Rhône-Alpes, Auvergne et Franche-Comté, Champagne-Ardenne et Provence-Alpes-Côte d’Azur... Arrêtons là les frais. On connaissait Nicolas Sarkozy grand manitou, le voilà désormais grand magicien. L’arnaque était presque parfaite…
L’instrument de cette arnaque, une réforme territoriale aux allures de grand bond en arrière, qui mérite une petite explication de texte : les conseillers généraux et les conseillers régionaux (aujourd’hui en majorité de gauche) seront fondus dans un nouveau type d’élus, les conseillers territoriaux. 80% des conseillers territoriaux seront élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans le cadre du canton et 20% à la proportionnelle en fonction des suffrages obtenus par les candidats affiliés à des listes départementales. Voilà une réforme dont la complexité sera sans aucun doute d’une efficacité redoutable pour faire revenir les abstentionnistes aux urnes… Mais le gouvernement est-il encore conscient que les Français ne sont pas des lapins que l’on peut enfumer – et ce sans conséquence – pour les faire sortir de leur terrier ?
Non seulement cette réforme, si elle est adoptée sans changement majeur par le Parlement et non censurée par le Conseil constitutionnel – que les députés de gauche ne pourront que saisir –, relèvera de la mystification électorale. Mais elle constituera également une atteinte profonde au processus de décentralisation conduit en France depuis près de trente ans, objet d’un consensus national et inscrit dans le marbre de la Constitution par la réforme de 2003. Processus de décentralisation qui donne au goût du gouvernement trop de pouvoir à des élus de terrain de gauche, proches des Français et de leurs préoccupations quotidiennes, boucliers – à leur niveau – face à la multiplication des attaques économiques et sociales contre les plus démunis mais aussi contre les classes moyennes. Après les médias, les collectivités locales sont la nouvelle cible de la tentation gouvernementale de museler l’ensemble des contre-pouvoirs. Tous les moyens – mis à part un programme socialement juste et économiquement efficace – sont apparemment bons pour tenter de remporter une élection.
Bien sûr, cette recentralisation, qui a été précédée par la suppression de la taxe professionnelle, dédiée à asphyxier financièrement les collectivités locales – et ce au seul profit des entreprises –, n’ose pas encore dire son nom. Mais une chose est sûre. Après avoir fait adopter un redécoupage électoral en vue des législatives de 2012 qui supprime plus de circonscriptions de gauche que de droite, qui appliqué aux résultats des législatives de 2007 aurait donné trente sièges supplémentaires à l’UMP et qui obligera la gauche à obtenir plus de 51% des suffrages exprimés pour disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, la droite au pouvoir s’adonne à nouveau – et c’est au tour des régionales et des cantonales d’en faire les frais – à son sport favori : la manipulation électorale. Certes le Conseil constitutionnel a validé le redécoupage électoral – en grande partie d’ailleurs parce qu’il ne pouvait pas l’invalider partiellement –, mais rappelons tout de même qu’il a souligné dans son communiqué "le caractère discutable des motifs d’intérêt général invoqués pour justifier la délimitation de plusieurs circonscriptions". Et les "Sages" pèsent généralement chacun de leurs mots.

Si le regain électoral du Front National et l’explosion du nombre d’abstentionnistes donnent à réfléchir sur les difficultés de notre démocratie, soyons bien conscients que le comportement actuel des plus hautes sphères du pouvoir n’est pas étranger à ces difficultés. En ne respectant pas les électeurs, en tentant de manipuler leurs votes, ce n’est pas seulement sa crédibilité et sa légitimité que la majorité présidentielle met en jeu. C’est à la démocratie française elle-même qu’elle est en train de porter l’estocade