Le deuxième débat de La Cité des Livres, organisé par la Fondation Jean-Jaurès et nonfiction.fr le lundi 8 mars 2010, a été l’occasion pour le journaliste François Bazin de venir présenter son livre "Le sorcier de l’Elysée. L’histoire secrète de Jacques Pilhan" et de parler de ce personnage mystérieux, "artisan" de la communication de François Mitterrand et Jacques Chirac. Le débat était animé par Frédéric Martel, rédacteur en chef de nonfiction.fr, et Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès. Pendant près de deux heures, le public a pu écouter avec intérêt François Bazin évoquant le destin original d’un homme de l’ombre.


Un écran "Pilhan"

François Bazin commence par parler de cet homme mystérieux qu’il a connu au début des années 1990. "Ce que je n’imaginais pas, dit Bazin en introduction, c’est que cet homme aussi mystérieux pourrait laisser finalement autant de traces." Quels sont donc "ces traces" qui nous permettent aujourd’hui de retracer la vie de Jacques Pilhan. D’abord, il faut noter que ce conseiller en communication a imposé un style à la télévision. François Bazin parle d’un "écran Pilhan". Des petites "découvertes" qui sont devenues aujourd’hui, banales. Ainsi, c’est sur une idée de Pilhan qu’un drapeau français est placé derrière le président de la République lors d’une allocution télévisuelle, ce qui, au début des années 1980, avait soulevé un émoi. C’est aussi, poursuit Bazin, un "éclairage différent" qui fait du président de la République, un "beau Mitterrand". Jacques Pilhan est aussi l’inventeur du "Plan média", c’est-à-dire d’une volonté dans la communication présidentielle d’imposer aux médias son agenda et sa temporalité… une "écriture médiatique" qui s’est là aussi banalisée aujourd’hui, mais dont Pilhan fut un pionnier.

Jacques Pilhan détestait les journalistes, rappelle François Bazin. "Ce qui l’intéressait particulièrement, c’était la communication présidentielle." Il  avait d’ailleurs couché sur une simple feuille A4, les 15 points fondamentaux pour réussir une communication présidentielle, avec, entre autres, des idées comme "tout tourne autour du président", un nécessaire investissement de la sphère télévisuelle et la "gestion du désir". Jacques Pilhan avait compris l’importance de la mémoire télévisuelle, et notamment l’influence des images du 20 heures sur les souvenirs des gens.


Collaboration avec Mitterrand

La relation de Jacques Pilhan avec François Mitterrand est tardive. Il arrive dans son équipe en pleine campagne présidentielle de 1981. Il a alors 38 ans et n’est pas mitterrandiste. "C’était plutôt Rocard qui l’intéressait." Il n’appréciait pas à l’origine François Mitterrand et c’était réciproque : François Bazin rappelle que "François Mitterrand était le président de la République le moins prédisposé à comprendre ses techniques de communication modernes". Et pourtant, avec les années, une "forte complicité va naître entre les deux hommes" et celle-ci trouvera son point d’orgue avec les élections présidentielles de 1988. Une de ses influences en communication politique est la campagne de Ronald Reagan en 1984. Il se demande alors "comment on peut faire du si jeune et du si fort, avec du si vieux et du si con". Cette campagne l'inspirera pour construire celle de Mitterrand en 1988.


C’est par le biais de Jacques Séguéla que Jacques Pilhan a été introduit dans l’équipe de campagne de François Mitterrand. François Bazin raconte, avec malice, la véritable rencontre entre François Miterrand et Jacques Pilhan en 1984: "Ca se passe à 8000 mètres d’altitude, dans un avion. Jacques Séguéla est en train de casser les pieds à Mitterrand – qui lit Zola – en lui disant ‘président, les jeunes… Il faut virer Pierre Mauroy’. Mitterrand se retourne alors vers Pilhan, qui les accompagne  ‘Vous, vous pensez que je peux m’en sortir ?’ Il répond ‘oui’. Mitterrand lui dit alors : ‘Et bien, venez me voir demain à mon bureau.’"

Jacques Pilhan devient alors un conseiller incontournable de François Mitterrand. Il quitte Jacques Séguéla et crée, avec l’accord du président de la République, sa propre agence de publicité, "Temps public". Son ambition à cette époque-là, "c’est de recréer, en fait, une petite agence qui ressemblait à la RSCG, rapporte François Bazin, avec un client principal qui était le président, avec autour des corporate, des budgets annexes pour faire bouillir la marmite."
Mais Jacques Pilhan, malgré ce succès dans la communication élyséenne, tient à rester un homme de l’ombre et "s’entoure de silence et de mystère". Il ne donnera qu’une seule interview, en 1995, pour la revue Le Débat.


Relations avec Fabius, Jospin et Rocard.


Avec Laurent Fabius, la relation est claire. Entre eux, ce fut la "détestation immédiate". Fabius avait le sentiment qu’en termes de communication, "il n’avait rien à apprendre de Pilhan". On imagine que la relation avec Lionel Jospin n’était guère meilleure, et pourtant il n’en est rien. Loin de l’image "prude" qu’on prête parfois à l’ancien Premier ministre, François Bazin explique qu’il a utilisé les conseillers en communication "de manière forte" et que la collaboration remonte aux législatives partielles de 1986 à Toulouse, où Jospin avait été parachuté. A l’époque, Pilhan lui proposa une affiche "Lionel Jospin : un homme, un vrai !", qu’il refusa. Quant à la relation avec Michel Rocard, elle fut cordiale, jusqu’au jour où Pilhan décida de "licencier", par courrier, son propre client.


Pourquoi Jacques Chirac ?

En 1995, François Mitterrand quitte l’Elysée, Jacques Chirac arrive, et Jacques Pilhan reste. François Bazin tente d’expliquer cette attitude. Pour lui, l’élément fondateur, c’est la montée du non au référendum de Maastricht en 1992, "il a vu quelque chose de nouveau apparaître". Jacques Pilhan comprend alors le fossé qui est en train de se creuser entre les "élites" et la France d’en bas. Il pense à partir de ce moment-là, que le successeur à Mitterrand sera un "anti-maastricht", un candidat "antibourgeois" et "populiste". Et ce candidat, pour lui, c'est Jacques Chirac.



Pilhan et les journalistes

Suite à la présentation de l’ouvrage de François Bazin, animée par Frédéric Martel et Gilles Finchelstein, une personne dans le public demande quelle a été la réaction des journalistes à la publication de ce livre. Il faut savoir que Bazin décrit dans son livre, les relations qu’entretenaient certains journalistes avec le pouvoir. François Bazin se contente de répondre que "ceux qui étaient mécontents ne l’ont pas dit."

La relation de Jacques Pilhan avec les journalistes était faite de beaucoup de mépris. Quand Pilhan parlait des journalistes, il demandait: "Qu’est-ce qu’on a en magasin ?". L’important pour Jacques Pilhan, en bon situationniste, n’est pas forcément d’avoir des journalistes obéissants mais des journalistes prêts à jouer leur rôle dans son spectacle. "Il prenait des acteurs, mais c’était lui le metteur en scène", rappelle François Bazin.


Pilhan et les femmes

Une autre question est posée sur les relations de Jacques Pilhan avec Claude Chirac. Pilhan connaissait bien la fille de Jacques Chirac, par qui le contact s’était fait. Mais Pilhan "n’aimait pas les femmes, il était un peu misogyne". "Et s’il avait été encore vivant en 2007, aurait-il soutenu Ségolène Royal ? demande une autre personne dans le public." La réponse de François Bazin est catégorique : "S’il avait travaillé pour un homme, ce serait certainement pour Sarkozy".


Pilhan, un personnage compliqué

Henri Nallet   , intervient pour évoquer, à son tour, ses souvenirs de Jacques Pilhan. Il remercie François Bazin pour être "arrivé à rendre compte de ce personnage qui était très intelligent, à mon avis très compliqué, et extraordinairement secret." Et il rappelle que la comparaison entre les deux Jacques, Pilhan et Séguéla ne se justifie pas : "Autant Séguéla est un saltimbanque, creux et comme bloqué sur son image ; autant Pilhan est un homme réfléchi, construit, avec des convictions, avec un contenu politique. Oui, il y a un contenu politique chez Pilhan."

 

A lire sur nonfiction.fr :

- 'Lionel Jospin à la Cité des Livres', par Pierre Testard.