Le récit du règne de Constantin à travers les sources contemporaines.

Après Théodose   , Pierre Maraval s’atelle à la biographie d’un autre empereur chrétien, Constantin, lui aussi souvent qualifié de l’adjectif "grand". Ce ne sont pas les seuls rapprochements que l’on peut faire entre Constantin et Théodose : ils sont tous deux parvenus à concentrer un pouvoir impérial divisé et à fonder leur dynastie, à pacifier tant bien que mal un empire attaqué par les barbares, et ils ont surtout joué un rôle essentiel bien que controversé dans l’essor du christianisme. Enfin, les sources les concernant sont très subjectives, partagées bien souvent entre les apologies des chrétiens et les critiques, parfois violentes, des auteurs païens – même s’il faut se garder de généralisations abusives. Cependant, le travail présenté ici sur Constantin est très différent puisqu’il paraît dans la collection de poche "La Véritable Histoire de…" des Belles Lettres, dont le concept est de présenter le portrait d’un personnage de l’Antiquité à travers les sources contemporaines ou immédiates   . Cette recette aboutit selon l’éditeur à une "biographie brute", mais qui n’est pour autant pas toujours aussi "authentique" ou "véritable" que l’on pourrait le penser de prime abord, en particulier lorsque les sources en question sont nourries des opinions de leurs auteurs et non pas seulement de leur travail d’investigation. Toutefois, ces digressions subjectives ont elles aussi leur utilité en ce qu’elles permettent de restituer une atmosphère et les sentiments que le personnage décrit pouvait susciter à son époque.

La Véritable histoire de Constantin s’adresse au grand public et constitue une première approche du règne de cet empereur, mais pourra également être un outil commode pour les spécialistes, en tant que corpus des principales sources. Pour les premiers, qui n’ont de connaissances que générales sur la question, il sera utile de commencer la lecture de l’ouvrage… par la fin, où se trouve une chronologie sommaire du règne de Constantin, une généalogie et une bibliographie des éditions de référence des sources citées. On s’y attardera surtout sur la liste des auteurs et des œuvres utilisées, précieuse grille de lecture pour rester critique face aux textes. Sur ce point, deux "camps" se dégagent : les chrétiens d’une part – représentés essentiellement par Eusèbe de Césarée et Lactance – les païens d’autre part – avec Ammien Marcellin, Libanios ou Zosime – plus ou moins critiques sur le personnage de Constantin. Muni de cette postface aux allures de prolégomènes, le lecteur peut ensuite se plonger dans le corps de l’ouvrage, où chapitres et textes sont introduits individuellement par les notes aussi succinctes qu’éclairantes de l’historien.

Maraval a classé les textes selon seize thèmes présentés chronologiquement. Deux séquences sortent particulièrement du lot, abordant les événements les plus marquants du règne de Constantin : sa prise de pouvoir et sa politique religieuse (tant envers les païens, que les juifs et les chrétiens).

La prise du pouvoir

À la fin du IVe siècle, sous l’impulsion de l’empereur Dioclétien, se met en place dans l’Empire romain le système de la Tétrarchie : deux empereurs principaux – ayant le titre d’augustus – dirigent l’État, épaulés chacun par un empereur secondaire – avec le titre de caesar. Constance Chlore, le père de Constantin, était le César de Maximien et Galère celui de Dioclétien. Lorsque les deux Augustes décident d’abdiquer le pouvoir en 305, les deux Césars deviennent Augustes à leur tour, mais le choix de leurs seconds respectifs pose alors problème. C’est l’objet du texte par lequel commence l’ouvrage, extrait de La mort des persécuteurs de Lactance. On y lit que Constantin aurait été écarté du pouvoir suprême en 305 par Galère – "homme à l’esprit malfaisant et pervers" – alors que Constantin avait "tout pour plaire" aux dires mêmes de Dioclétien. L’injustice est réparée – si l’on peut dire – par la suite, puisque Constantin, doté d’incontestables qualités militaires et aimé de son armée (dont le noyau originel est formé par les troupes bretonnes de son père), élimine tous ses concurrents un à un : Maximien en 310, Maxence en 312 – lors de la célèbre bataille du pont Milvius –, Licinius enfin en 324. Zosime ajoute aux raisons du succès de Constantin son ambition " démesurée" et son non-respect de la fides donnée   . Cette marche au pouvoir ne se fait cependant pas sans heurts – et l’on aperçoit au détour des pages l’image moins connue d’un Constantin parfois cruel : exécution de Licinius son beau-frère, en dépit des supplications de sa sœur Constantia, exécution de son premier né Crispus et de sa femme Fausta, soupçonnés d’adultère. Selon Julien, neveu de Constantin, et Zosime – deux voix anti-chrétiennes – ce serait à ce moment-là que l’empereur, rongé par la culpabilité, se convertit au christianisme, religion qui offrait la possibilité d’un pardon entier et libérateur. Comme on le sait, ce choix entraîna bien des bouleversements dans l’Empire romain.

La politique religieuse.

Contrairement à une opinion répandue aujourd’hui, l’"édit de Milan"   de 313 n’est pas le premier texte à mettre fin à la persécution générale lancée en 303 notamment contre les chrétiens. Galère, l’un des instigateurs de cette même persécution, avait déjà émis un édit de tolérance en 311, après avoir constaté l’échec des mesures adoptées en 303. Cependant, l’élément nouveau apporté par Constantin en 313 réside dans le traitement accordé à l’Église, qui bénéficie de plus en plus de privilèges tant dans le domaine financier – les prêtres sont exemptés des charges municipales – que judiciaire – mise en place d’une justice assurée par les évêques, ou même civil – reconnaissance du dimanche comme jour férié   . Simultanément, certaines pratiques païennes sont interdites comme l’haruspicine privée ou la magie noire – condamnées par les philosophes et intellectuels païens eux-mêmes. Il en va autrement des pratiques destinées à s’attirer la bienveillance des dieux (pour être en bonne santé ou avoir des récoltes abondantes par exemple), qui ne sont pas quant à elles proscrites. Cependant, Constantin ne rompt pas complètement avec la tradition païenne : il garde ainsi le titre de Pontifex maximus, qui fait de l’empereur le chef des cultes et lors de la fête de l’inauguration de Constantinople, certains rites païens sont accomplis. Chef des cultes païens, Constantin entend jouer de la même manière un rôle important dans l’Église en tant qu’"évêque des affaires extérieures"   , une Église dont l’unité symboliserait celle de son Empire. Celle-ci est justement en proie à de multiples divisions, auxquelles Constantin entend mettre un terme – parfois de façon autoritaire. Il pense résoudre la crise arienne avec le concile de Nicée, et, à lire Eusèbe de Césarée, il y serait parvenu : "En les poussant tous à s’accorder, [Constantin] les rendit tous du même avis et d’opinion identique sur tous les points en discussion, de sorte que la foi fut fortifiée d’une seule voix   ". Dans la réalité, il n’en est rien : les ariens continuent de représenter une voie dissidente face aux nicéens pendant encore plusieurs dizaines d’années, et dès 326-8, ils réussissent à lever les peines d’exils qui leur avaient été infligées à Nicée.

On ne peut bien sûr réduire l’œuvre immense du règne de Constantin aux quelques faits abordés sommairement dans ce compte-rendu. Parmi tant d’autres, citons la fondation de Constantinople, l’invention de la Croix, la construction du Saint-Sépulcre, tous thèmes eux aussi abordés dans cette Véritable Histoire de Constantin. On ne peut maintenant qu’espérer la sortie d’une "véritable" biographie de Constantin au sens habituel du terme, qui ferait la synthèse nouvelle des sources ici rassemblées avec les plus récents apports de la recherche universitaire, afin d’approfondir de manière plus systématique notre connaissance du premier empereur chrétien