En croisant les analyses juridiques et politiques, Arnaud Coutant offre une lecture stimulante d’un régime que sa brièveté (1848-1851) a souvent condamné.

Le nouvel opus au titre évocateur d’Arnaud Coutant consacré à la Deuxième République tend à expliquer l’échec du régime par l’antinomie qu’il consacre entre démocratie et république. Fondée sur une approche juridique et politique, l’analyse jette un éclairage précieux sur un régime généralement peu considéré du fait de sa brièveté, alors même qu’il constitue " l’un des exemples les plus marquants de l’idéal républicain au XIXe siècle ".

L’ouvrage est d’une lecture agréable et l’on suit bien le propos de l’auteur. A cet égard, le plan très précis séduira les juristes, habitués à ce genre de démonstration, mais il déroutera éventuellement les autres lecteurs, y compris les spécialistes de la période, qui s’étonneront parfois de voir dissociées des questions qui furent traitées d’un même mouvement par les acteurs de la révolution de Février. L’ensemble est bien documenté (bon travail sur les sources) et livre des perspectives intéressantes, tant sur les influences des rédacteurs de la constitution que sur l’impact des événements sur les travaux juridiques en cours (excellente restitution des travaux des comités).

On pourra sans doute trouver que dans l’analyse des propositions politiques, les lectures de l’auteur sont un peu unilatérales – sans doute du fait de son intérêt pour Tocqueville et les libéraux   . Les opinions des socialistes sont trop largement sous-exploitées, Arnaud Coutant faisant sans doute siens les propos d’un Paul Bastid, qui affirmait que les problèmes de droit les laissaient indifférents. Ils sont certes très occupés à se battre les uns contre les autres pour imposer leur propre définition du socialisme, mais on se permettra de rappeler que les recherches menées depuis quelques années tendent à prouver que les questions juridiques les ont au contraire passionnés   . L’absence de vraie considération pour le point de vue des socialistes manque singulièrement quand il est question de la dimension sociale de la révolution de Février, alors même que pour nombre de ses acteurs, la république est associée à la reconnaissance de droits sociaux (le droit au travail), contrairement à la démocratie qui est une question purement politique.

La thèse centrale de l’ouvrage repose sur l’hostilité du corps électoral à la République. On nuancera en rappelant tout d’abord que la plupart des contemporains ne sait pas exactement quoi mettre sous ce terme de " république ". Quant aux résultats des différents scrutins, des variations significatives devaient être mieux soulignées. Certes, quand il est d’abord sollicité pour élire les membres de la Constituante, le peuple non éduqué politiquement se tourne vers ceux qu’il considère en quelque sorte comme les représentants naturels de ses intérêts (dans Le vote et la vertu Alain Garrigou a bien montré comment le suffrage universel a donné aux notables la légitimité urnes). Le trouble des journées de Juin pèse encore sur les élections présidentielles (encore que Louis Napoléon Bonaparte affiche son intérêt pour la question ouvrière, en faisant rééditer son Extinction du paupérisme pendant l’été 1848). Les choses ne sont pourtant pas figées si l’on en juge par les résultats des élections législatives de 1849 et des élections complémentaires de 1850. Même s’ils sont minoritaires, les résultats des socialistes font craindre à la majorité une évolution possible du corps électoral vers le socialisme. On sait que cette crainte, adroitement exploitée, est directement responsable des grandes lois conservatrices votées par l’Assemblée législative, en particulier la loi électorale du 31 mai 1850 qui exclut trois millions de personnes du droit de suffrage, soit un tiers des électeurs. De façon significative, c’est la population dite " instable " et sensible aux idées révolutionnaires qui est évincée du corps électoral en soumettant le suffrage à une condition de trois ans de résidence.

Or on retrouve ici l’intérêt qu’aurait présenté une étude des réactions socialistes à la loi électorale. Une telle analyse aurait d’ailleurs renforcé le projet scientifique de l’auteur, soucieux d’insister sur l’actualité de certains thèmes développés au cours de la Deuxième République. Car les interrogations sur la riposte à opposer à un choix démocratique non républicain se sont prolongées dans un débat passionnant sur la souveraineté directe, qui offre un écho historique saisissant aux critiques récurrentes de la représentation et aux propositions en faveur de la démocratie participative.

On n’oublie pas en outre que l’exclusion de près de trois millions de citoyens hors du corps électoral est un élément essentiel d’explication de l’indifférence d’une partie du peuple (à ne plus confondre désormais avec le corps électoral) au destin de la République – indifférence particulièrement visible au moment du coup d’Etat. Comme l’expliquait parfaitement Georges Weil   , " le désarmement fait après les journées de juin enlevait aux prolétaires les moyens matériels de résister ; ils n’en avaient pas non plus le désir ".

Quant à la nature du régime, l’auteur fait l’hypothèse qu’elle est incontestablement parlementaire, mais que les circonstances ont créé une situation contraire à l’application durable du texte – et la première circonstance c’est encore l’hostilité du corps électoral à la république. Si l’on suit parfaitement l’auteur dans son travail de réexamen des notions juridiques en tenant compte de leur signification contextuelle   , il semble nécessaire de rappeler que tous les constituants étaient loin d’avoir une conception précise des implications du régime parlementaire   . Et si les principes furent si aisément détournés par la vie politique et les rapports entre les pouvoirs, c’est sans doute aussi parce que, contrairement à ce qu’affirme Arnaud Coutant   , le régime parlementaire était loin d’être établi ! Ce décalage entre la vie politique et la constitution rend même passionnante l’étude de ce régime, où les choix politiques débordent systématiquement le cadre juridique dans lequel les constitutionnalistes voudraient les faire entrer. En définitive, l’ouvrage d’Arnaud Coutant apporte une dimension juridique tout à fait nécessaire à l’étude de cette période décidément essentielle, puisque comme le rappelle bien l’auteur, pour la première fois les implications de la question démocratique et des difficultés liées à la gestion politique du plus grand nombre furent envisagées dans toute leur complexité.

Et si à la lecture de l’ouvrage de ce constitutionnaliste féru d’histoire, l’historien du droit est un peu frustré de ne trouver que très peu de références aux travaux de ses collègues   peut-être faut-il voir aussi dans cette légère frustration une opportune piqûre de rappel : il faut proposer davantage de recherches d’histoire du droit (public) sur le XIXème siècle, et profiter de la création de ce nouveau pôle sur nonfiction.fr pour assurer une plus grande diffusion aux travaux des historiens du droit