Depuis le temps que la blogosphère attendait la grande confrontation entre Obama et ses adversaires républicains lors du sommet sur la réforme du système de santé ! Jeudi était enfin le grand jour…  


Le sommet


Le sommet lui-même a été un grand évènement dans l’histoire d’Internet. La Maison Blanche l’a retransmis en direct sur son site et, sur l’ensemble de la journée, 3,9 millions de personnes se sont connectées. Ce qui ne veut pas dire que la blogosphère a pour autant été emballée. A gauche, les blogueurs se refusent à considérer cette rencontre comme un vrai débat puisque les républicains ont, selon eux, continué leur obstructionnisme systématique: "The Republicans still insist upon starting over […]. It was as frustrating to watch as anticipated, because the Republicans would not veer from their talking points [les républicains n’ont pas dévié de leurs slogans creux]”. Ou, comme le résume Jonathan Chait sur le site de The New Republic : “You're debating a brick wall ”.

Les républicains osent tout…

A gauche, les blogueurs soulignent l’incompétence, voire l’ignorance, des républicains à propos du système de santé face à un Obama qui maîtrise parfaitement le sujet. L’un des blogueurs qui suit cette question depuis le plus longtemps, Jonathan Chait, s’extasie ainsi : "the Republicans seem to be divided between those who have no data at their disposal [pas d’information à leur disposition] and those who have incorrect data [des infos erronées]. It is therefore difficult for President Obama to engage with those Republicans without somewhat projecting condescension [il est par conséquent difficile pour Obama de ne pas paraître condescendant.]”. Comme souvent, la blogosphère libérale (c’est-à-dire à gauche, dans le vocabulaire politique américain) est estomaquée, voire même admirative, face à la mauvaise foi des républicains qui peuvent défendre une chose et son contraire sans que les médias traditionnels ne s’en offusquent. Josh Marshall rappelle, sur TPM (Talking Points Memo), la schizophrénie des républicains quant à l’intervention du gouvernement fédéral dans le système de santé. Ils présentent le programme Medicare (la sécurité sociale pour les Seniors de plus de 65 ans) comme la première marche vers l’apocalypse socialiste tout en promettant de ne jamais y toucher pour satisfaire leur électorat très vieillissant: “I find it incongruous that Republicans are simultaneously proposing to abolish Medicare […] and also claim that they're opposing Health Care Reform to save Medicare". Quant à Matthew Yglesias, il souligne l’hypocrisie des républicains qui soutiennent la création d’une assurance santé pour les évènements catastrophiques (universal catastrophic insurance) alors que, quand John Kerry a proposé la même idée en 2004, les républicains l’avaient présenté comme un crypto-communiste. D’ailleurs, cette question a aussi permis aux principaux blogueurs de gauche de retrouver un peu de foi en Obama, salué par nombre d’entre eux comme ayant magistralement contré les attaques républicaines. En rappelant les immenses difficultés rencontrées par la middle-class, il a cloué le bec à l’un des Sénateurs républicains, John Barrasso, qui prônait cette universal catastrophic insurance.

Le fighting spirit d’Obama

C’est surtout la conclusion combative du président qui a plu à gauche. Après des mois et des mois où Obama a rendu la blogosphère libérale folle de rage en ne cessant de tendre la main aux républicains, il a donné l’impression à la fin du sommet d’avoir épuisé ses réserves de patience. Il a ainsi lancé un ultimatum aux républicains. S’ils n’arrêtent pas leur obstructionnisme acharné, les démocrates feront la réforme tout seul, et que le meilleur parti gagne les élections de novembre : " Is there enough serious effort that […] we could actually resolve something [allez-vous faire l’effort de trouver une solution]? And if we can't, then I think we've got to go ahead and make decisions, and then that's what elections are for.

Le sommet est donc présenté comme une grande victoire pour Obama, dont la maîtrise des faits et le charisme lui ont permis de démontrer en direct à la télévision l’incompétence de ses contradicteurs. Pour Ezra Klein sur le site du Wahsington Post : "I imagine that this will be the last bipartisan summit we see for awhile. The format is simply too kind to the president, and he takes advantage of it ruthlessly [il exploite ce format avec cruauté]. […] You could almost see Republicans wondering why they'd accepted the invitation.Jonathan Chait est également très admiratif : “President Obama is so much smarter and a better communicator than members of Congress in either party. The contrast, side by side, is almost ridiculous. […] Most the time, this is like watching Lebron James [une star de la NBA] play basketball with a bunch of kids who got cut from the 7th grade basketball team [des joueurs trop mauvais pour être sélectionnés dans l’équipe de l’école primaire]...”.

En 1993, Clinton avait échoué quand il avait essayé de réformer le système de santé car il avait confié le texte à sa femme Hillary qui avait centralisé toute la réflexion à la Maison Blanche, sans inclure le Congrès. L’Administration Obama avait de toute évidence ce précédent en tête quand, l’année dernière, elle a lancé le débat sur la réforme du système de santé en en confiant l’entière responsabilité au Congrès. Un an plus tard, la réforme est complètement enlisée, le Congrès ayant de nouveau fait la démonstration que son fonctionnement interne l’amène au blocage (ce n’est pas pour rien que les politologues Thomas E. Mann et Norman J. Orstein l’ont baptisé "the broken branch "). Alors, Obama finit là où Clinton avait commencé : si la Maison Blanche n’intervient pas, rien ne se fera. Obama a donné sa chance au Congrès qui à l’évidence ne l’a pas saisie: " That willingness to put himself above Congress […] allowed Obama to fully dominate the proceedings [Obama a dominé pleinement la séance], and he used the opportunity to firmly assert ownership [prendre fermement possession] over the health-care bill. This is now his legislation.  .
L’optimisme pointe donc un peu, et la blogosphère libérale veut maintenant en finir le plus vite possible. Pour DailyKos, le site libéral le plus lu : " There's some real momentum [un mouvement dynamique] for the process among Dems now, they need to keep pushing hard [il faut continuer à pousser à fond].”


Pendant ce temps, dans l’univers républicain…


Bien sûr, vu l’extrême polarisation de la blogosphère américaine, les blogs conservateurs semblent avoir assisté à un évènement entièrement différent. Ed Morrissey est ravi que les arguments conservateurs aient pu être expliqués en détail et en direct à la télévision. Pour la blogosphère conservatrice, le sommet a surtout permis à une nouvelle star républicaine de crever l’écran, Paul Ryan (que les sites libéraux mentionnent à peine). Pour Matthew Continetti, sur le site du magazine le Weekly Standard : " Rep. Paul Ryan, Republican of Wisconsin, just launched a full-bore assault [un assaut frontal] on the faulty assumptions [les présomptions erronées] behind the claim that the Obama health care plan will reduce the deficit. […] The expression on the president's face as Ryan made his case was absolutely priceless. Simply put, he looked like someone who realizes he's met his match [il ressemblait à quelqu’un qui réalise qu’il a rencontré un adversaire à sa mesure].”


De nombreux blogueurs conservateurs partagent cet enthousiasme et sont convaincus qu’Obama est sorti très affaibli du sommet. Sur le célèbre blog The Corner, sur le site du magazine The National Review, Yuval Levin pense que les démocrates ont prouvé qu’ils n’avaient aucun plan précis à proposer tandis que les républicains ont clairement exposé leurs idées : " the Democrats appear to have no particular purpose [pas d’objectif particulier] in mind for this event […] while Republicans clearly want to get across the point that we should scrap the current bills and start over in pursuit of a few incremental steps [on devrait jeter le texte actuel à la poubelle et recommencer sur la base de petits pas progressifs]. […] Republicans certainly won." Pire, Obama s’est fortement discrédité : "this format is not working for him. […] he doesn’t seem like the President of the United States—more like a slightly cranky committee chairman [il ressemble plus à un president de commission grincheux] or a patronizing professor [un universitaire hautain].”

Nombreux sont les blogueurs conservateurs qui soulignent ainsi l’attitude hautaine d’Obama. Comme Jonah Goldberg : " I wasn't alone in finding Obama increasingly un-charming … I think one of the great explanations for the mess the Obama administration is in is […] that he, his advisers and many of his fans in the press cannot fully grasp or appreciate the fact that he is not as charming to everyone else as he is to them (or himself) [il n’est pas aussi charmant aux yeux de tous qu’il ne l’est pour ses conseillers ou pour lui-même]. Hence, they think that the more he talks, the more persuasive he will be. […] The Obama White House strategy is almost the rhetorical version of its Keynesianism, the more you spend, the bigger the payoff [la version rhétorique de son keynésianisme: plus on dépense, plus on gagne]”, qui propose l’une des rares critiques à essayer de combiner le fond et la forme…