La philosophie de la connaissance reste à la fois très vivace et d'actualité comme le montre et le démontre ce recueil de Maurice Boudot .
Inconnu du grand public, Maurice Boudot (1931-2003) fut professeur à l'université Paris-Sorbonne où il enseignait la logique et la philosophie des sciences. L'auteur de Logique inductive et probabilités a laissé un certain nombre de réflexions éparpillées dans des revues et des annales de congrès où elles sont restées confinées dans ce domaine restreint que forme la bulle de la philosophie de la connaissance. Afin de rendre plus accessible son travail et en même temps de lui rendre un hommage appuyé, les éditions des Presses de l'université Paris-Sorbonne viennent de publier un recueil de ses textes les plus représentatifs, jusque là connus des seuls initiés.
Logique
Le lecteur habitué aux problématiques de logiques inductives, modales ou temporelles, trouvera dans la première partie de cet ouvrage quatre textes de haut niveau dont la lecture nécessite un solide bagage mathématique. Son objectif est d'examiner précisément et d'éprouver les systèmes formels avec rigueur.
On commencera cette série de textes par la question portant sur la probabilité et la logique de l'argumentation selon Jacques Bernouilli , où "l'épistémologie du calcul des probabilités est dominée par une question fondamentale : le probable est-il une modalité de re ou de dicto ?" , introduisant logiquement le problème de l'application de la logique inductive dont Maurice Boudot sera "porté à douter de l'indépendance […] par rapport à ces applications" en mettant en question l'existence même d'une telle logique. Maurice Boudot abordera par la suite la logique chronologique, qui "étudie l'impact des déterminations temporelles du langage (temps verbaux, adverbe ou conjonctions temporelles, dates, etc.) sur la vérité des phrases" en prenant appui sur l'ouvrage de L. Aqvist et F. Guenthner, Tense Logic . Enfin à la question "les doctrines de la vraisemblance sont-elles un substitut viable de la logique inductive ? », Maurice Boudot conclura que "l'adhésion au réalisme est le seul motif pour accorder une préférence décisive au concept de vraisemblance" .
Formalisme
La seconde partie accordera une grande place aux rapport entre les formalismes logiques et la philosophie, à l'utilisation des formalismes pour mieux formuler les problèmes philosophiques, au travers des problématiques comme celles du temps, de la nécessité (du nécessitarisme dans un contexte logique) et de la prédétermination, aboutissant à cette affirmation directe "que la nécessité du passé n'interdit pas de concilier la contingence avec la prédétermination logique ou l'omnitemporalité du vrai" . Pour ce faire, Maurice Boudot analysera l'argument dominateur de Diore Cronos et le temps cyclique en prenant appui sur les trois propositions "Toute vérité au sujet du passé est nécessaire", "Du possible ne suit pas l'impossible ", "Est possible ce qui n'est pas vrai, ni ne le sera". Cette réflexion sur le temps est complétée par des paragraphes portant sur l'espace selon Bergson et sur la géométrie (via Comte).
L'identité des possibles ou la question des entités et des identités trouvera – via l'ontologie de Quine – la signification "qu'un terme singulier ne dénote une entité d'un type déterminé, à laquelle on attribuera un certain mode d'existence, que si ce terme peut figurer dans des énoncés d'identité sans produire de non-sens" . Est-ce que l'individuation serait un vrai ou un faux problème ? Pour Maurice Boudot, ceci n'est nullement une pseudo-question, mais cela demande de "déterminer sous quelles formes et dans quelles conditions ceux qui entendent appliquer en philosophie les méthodes d'analyse logique rencontrent ce problème" , comme pour la sémantique kripkéenne "relative à un langage dont l'alphabet est celui des langages des prédicats" et les doctrines logiques de Leibniz. On notera une belle réflexion intitulée "Le nominalisme aujourd'hui", datée de 1978, qui est bien loin de l'utilisation méta-politique du nominalisme que fera la Nouvelle Droite un an après .
Science
Terminant l'ouvrage, l'homme et le philosophe des sciences trouveront un ensemble de réflexions sur les critères du progrès scientifique, le rôle de l'histoire des sciences (selon Pierre Duhem) et le rationalisme critique en sociologie. Pour Maurice Boudot, "la science progresse, mais nous ne savons pas exactement ce qu'il faut entendre par là" . Serait-ce une démonstration que la logique ne saurait pas expliquer le progrès ? Ou que le progrès ne serait pas logique ?