La correspondance d’Apollinaire avec les artistes nous ouvre les portes des ateliers parisiens de la Belle Époque.

La parution de la Correspondance avec les artistes de Guillaume Apollinaire offre une occasion unique de découvrir la Belle Époque dans l’intimité des peintres, graveurs et autres sculpteurs. Miroir d’une génération cosmopolite exaltée, ces lettres écrites entre 1903 et 1918 racontent les espoirs et les craintes des plus grands artistes de l’avant-guerre. Près de cent vingt artistes s’adressent à Guillaume Apollinaire durant cette période et il nous faut, sur ce point, saluer le travail éditorial de Laurence Campa et de Peter Raid qui propose au lecteur de courtes présentations de chacun de ces artistes ainsi que de riches notes en fin de section. Ajoutons que l’index des noms en fin de volume permet une circulation originale à l’intérieur de cette constellation épistolaire. La correspondance d’Apollinaire s’étend sur quelques quinze années, le temps d’une vie brève et intense passée à guider les artistes de son époque et à défendre la patrie française. Ces deux périodes, cette double préoccupation se retrouvent dans sa correspondance.


En ouvrant au hasard cet imposant recueil de lettres, on est frappé par l’humeur gaie et joviale d’un grand nombre de billets, cartons ou petits bleus. “Voulez-vous venir un de ces soirs, causer de ce qui nous intéresse, en humant une calebasse de maté !” écrit Paul Signac à Apollinaire le 8 février 1911   . De nombreuses lettres se lisent ainsi comme de libres invitations à la belle vie, une existence passée à deviser dans les galeries parisiennes, autour de Montmartre ou dans les ateliers des artistes qu’il admire. Des témoignages de franche amitié et d’affection sincère sont adressés à Guillaume Apollinaire qui semble alors cristalliser l’attention des artistes parisiens. Parmi la centaine de destinataires, certains se détachent à l’instar de Max Jacob, grand admirateur d’Apollinaire, qui crie au génie en recevant un petit volume intitulé Alcools : “Je ne connais rien de pareil, rien de si grand, de si beau, de si orgueilleusement jeune. Pas même Shakespeare !”   . André Rouveyre, lithographe ami du poète n’hésite pas, quant à lui, à écrire : “[ta poésie] est dans une poche de ma ceinture comme un talisman affectueux, une chose qui me donne un bonheur de l’esprit et du cœur”   .


Comme le rappelle Laurence Campa dans sa préface, Guillaume Apollinaire devient, à partir de 1910 la figure de proue du milieu artistique parisien. En devenant chroniqueur du quotidien L’Intransigeant, il change de statut et devient un critique d’art très prisé. Les peintres le savent et sollicitent son soutien et sa bienveillance. Certaines lettres de la Correspondance avec les artistes perdent ainsi de leur intérêt : Apollinaire se trouve très souvent flatté, encensé par une avant-garde avide de gloire et de succès. Le jeune Giorgio de Chirico ne s’y trompe pas lorsqu’il écrit en 1914 : “J’ai la ferme certitude que votre amitié me sera précieuse dans la vie ; parmi tous les hommes que j’ai connus ici à Paris, comme en Italie et en Allemagne vous êtes le plus intelligent”   . Bien entendu, on ne peut réduire les relations d’Apollinaire et de la jeune avant-garde à un rapport d’intérêt. De nombreux artistes sont restés proches de lui sans autre motif que le plaisir d’échanger avec le poète. André Rouveyre, Max Jacob, le Douanier Rousseau, autant de grands noms qui ont partagé l’intimité d’Apollinaire. Cette correspondance retrace le quotidien de ces fidèles amis qui ont su demeurer proche du poète durant une quinzaine d’années, de la Belle Époque à la première guerre mondiale.


La guerre est à ce titre un des motifs récurrents des lettres reçues et envoyées par Apollinaire. Le poète, on le sait, s’est engagé volontairement dès le début des hostilités. Plus précisément, sa demande d’engagement, assortie d’un dossier de naturalisation, se trouve dans un premier temps rejeté par le bureau de recrutement de la revue Les Marches de l’Est. Il faudra attendre le mois de décembre 1914 pour que le jeune Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky endosse l’uniforme   . Dans de nombreuses lettres, Apollinaire donne son point de vue sur le conflit en insistant sur son caractère extraordinaire : “La guerre est dangereuse et fastidieuse mais personnellement je ne m’y ennuie pas ou du moins l’ennui est tellement fort qu’il devient un art, un plaisir.”   . Loin d’être définie comme une boucherie sans nom, la guerre devient pour Apollinaire une expérience existentielle : “Je voudrais à vous [André Derain] plus qu’à quiconque faire part des splendides émotions que m’a procurées déjà cette guerre”   . Le “tragique journalier” fascine le poète qui exprime néanmoins son ennui, évoquant ces heures perdues à attendre l’ennemi. Les lettres écrites entre 1914 et 1918 permettent à Apollinaire de décrire son environnement. Le style est alors lapidaire : “Moi je suis sur le front depuis la veille de Pâques. […] J’habite un trou dans une région sans village, sans verdure, sans habitant, sans eau. Il n’y a que des rats, des mouches et des Boches devant nous.”   . En définitive, ces lettres du front sont la meilleure part de cette correspondance réduite sinon à des échanges superficiels – sorte de Service des Messages Succincts de l’époque. Apollinaire n’évoque que très rarement son travail d’écrivain, sinon dans ses échanges avec ses plus proches amis et le lecteur qui compterait trouver dans cette Correspondance avec les artistes une sorte d’écho de l’œuvre poétique d’Apollinaire ne peut qu’être déçu