Face au besoin contemporain d’objectivité en écologie, l’histoire montre que toute représentation de la nature relève de l’interprétation.

Si la nature est une trame omniprésente dans l’histoire des images, le statut de sa représentation en est également une constante. Celle-ci résulte toujours d’une interprétation, qui la fait osciller entre enfer et paradis, sans parvenir à restituer l’observation hors du filtre de conceptions culturelles qui lui sont exogènes. Pourtant, l’enjeu collectif que représentent les grandes crises écologiques contemporaines (changement climatique et érosion de la biodiversité) exige d’asseoir les politiques et les changements de comportement des individus sur une conception objective de la nature. L’analyse historique d’un vaste panel de types d’images menée par Laurent Gervereau montre combien cet exercice est difficile.


Omniprésence de la représentation de la nature

Cette rétrospective indique que la nature est un motif omniprésent dans les représentations, repris dans des projets ou par des idéologies contradictoires. Que ce soit dans l’histoire de l’art ou celle des sciences, que ce soit dans la propagande politique, ou même dans la publicité avec des produits plus ou moins respectueux de l’environnement, toutes les images représentent la nature de manière à faire ressortir soit la conception d’un cosmos structurant et apaisant, soit un univers dangereux et terrifiant. Ainsi, les représentations de la nature se limitent à deux types : soit elle est idéalisée en une sorte de paradis perdu que nous cherchons à retrouver, soit au contraire elle est représentée comme hostile aux entreprises humaines et doit être maîtrisée.


Mystifications transhistoriques

En choisissant un corpus qui couvre une vaste période historique (de la Renaissance à nos jours), Laurent Gervereau montre que ces représentations ne sont pas une construction historique récente mais qu’elles se situent en arrière plan de notre relation à la nature, et ce de manière transhistorique. Au fondement ou en support des plus grands développements idéologiques de l’histoire moderne, la représentation de la nature idéalisée et du pastoralisme aura servi aussi bien le Front populaire que l’État français, alors que la nature hostile et dangereuse servira les arguments de la mécanisation agricole comme celle des militants écologistes.

Le manichéisme des représentations de la nature est un outil de communication, une simplification dont les deux pôles sont utilisés par tous les types d’images. Pour la vulgarisation scientifique par exemple, la diabolisation de la nature avec ses prédateurs ou les espèces que le sens communs considère comme répugnantes joue sur l’aspect choquant ou surprenant des objets naturels pour retenir l’intérêt du public. La mise en avant des qualités homéostatiques des écosystèmes, pour assoir une vision harmonieuse de la nature, a en dernière analyse la même fonction.


À l’heure des choix ?

Laurent Gervereau montre bien que la période de sensibilisation aux problématiques environnementales relève encore de cette dualité des représentations de la nature. Ainsi les écologistes peuvent montrer la nature sous son jour terrifiant avec les scénarios cataclysmiques de déluge ou d’extinction de la biodiversité, ou à l’inverse, idéaliser la nature comme le référent pour une gestion raisonnée de ses ressources en reprenant par exemple les images traditionnelles et pastorales de la vie paysanne.

Si l’idéalisation comme la diabolisation de la nature ont servi des idéologies politiques diverses, ces représentations n’étaient que des supports et non les sujets des choix politiques en question. À l'heure des combats pour la biodiversité ou contre le réchauffement climatique, les représentations de la nature deviennent le sujet même des choix politiques. Maintenant que les politiques semblent s’engager dans la voie de l’action et que les médias considèrent la prise de conscience par le grand public comme effectuée, on peut se demander si les représentations de la nature qu’ils véhiculent s’affranchiront des modèles culturels préexistant pour une plus grande objectivité.