Le récit brillant d’une odyssée scientifique, la découverte des bases neurobiologiques de l’agir humain, qui permet aussi de toucher du doigt une limite-clé du projet des sciences cognitives.

Avec Le cerveau volontaire, le physiologiste Marc Jeannerod, un des plus éminents représentants de l’école française des sciences cognitives   , livre le résumé des recherches d’une vie consacrée à la compréhension des mécanismes cérébraux de l’action humaine. Disons-le tout net, par son extrême clarté pédagogique, et par le développement extraordinaire de l’analyse scientifique de l’action, de ses prémisses au niveau neuronal jusqu’à son incorporation à la vie de relation et à son expression complète sous forme d’action volontaire, l’étude qu’il nous livre est son chef-d’œuvre philosophique. Elle parachève, en lui montrant une étonnante fidélité, une entreprise commencée il y a plus de vingt-cinq ans, dans le livre par lequel il s’est fait connaître du public cultivé, bien avant la vogue des neurosciences, Le cerveau-machine   . Grâce à ce livre, le public francophone peut prendre connaissance d’une recherche présentée un peu différemment en anglais, dans cet ouvrage classique qu’est devenu Motor Cognition : What Actions Tell the Self   . La version française, peut-être plus directe, est destinée à un public de non-spécialistes, ce qui n’est pas tout à fait le cas de sa version oxonienne.

Marc Jeannerod est un partisan de la thèse fondamentale de la philosophie de l’esprit naturaliste qui sert aujourd’hui de langage à l’ensemble des sciences cognitives. Cette thèse énonce que l’intentionnalité en général, que ce soit celle qui renvoie la conscience à ses objets, ou les mots du langage à ce qu’il désigne, ou encore les actions des êtres humains à leur but, bref tout ce qui fonde l’adéquation de "l’esprit" au monde, tout cela peut-être intégralement, ou presque, réduit à des mécanismes causaux sous-jacents. Bien sûr, ces mécanismes causaux sont de nature neurophysiologique, et les lois biologiques générales auxquelles les organismes qui les hébergent sont soumis sont ultimement commandées par les principes darwiniens de l’évolution. C’est au sein de cette vaste construction théorique que ce que l’on appelle d’habitude "esprit" se réduit, pour finir, au fonctionnement adaptatif du cerveau à son environnement, avec toute la plasticité et les capacités d’innovation que ce fonctionnement réclame. Marc Jeannerod a d’ailleurs consacré un précédent livre à cette thèse, intitulé justement La Nature de l’esprit   . On comprend bien que sur cette base, il n’est aucun domaine humain qui échappe en dernière analyse à la législation des neurosciences : il s’agissait bien sûr de la perception, notamment visuelle   , mais aussi bien à l’autre bout de la chaîne de l’éducation des enfants   , du soin des malades blessés au cerveau, ou ceux qu’on dit encore "mentaux"   et pas davantage des interactions individuelles, on devrait même dire "inter-cérébrales", que nous décrit aujourd’hui, par exemple, l’éthologie cognitive ou la neuro-économie.

Simplement, les sceptiques font facilement valoir que cette thèse philosophique est en réalité une thèse métaphysique, qui repose sur un postulat tout simple : c’est en effet une propriété logique ou conceptuelle de la nature que d’être une. Du coup, il est évident que la philosophie naturaliste de l’esprit est en lutte constante contre toutes les formes de dualisme, et, en particulier, contre le dualisme de l’esprit et du corps. Il doit donc y avoir un continuum tout à fait rigoureux et indéchirable entre l’activité neuronale et ce que l’on appelle dans le langage ordinaire, non scientifique, "la vie de l’esprit". L’intentionnalité bien comprise, serait-ce celle des systèmes sociaux, moraux, ou psychologiques les plus sophistiqués, doit se décrire dans les termes scientifiques de la biologie, de la robotique, de la théorie générale de l’information, et s’articuler finement tant à la biologie moléculaire qu’aux principes de la sélection naturelle. Partant de ce postulat, beaucoup de travaux inspirés des sciences cognitives considèrent en somme que si nous n’arrivons pas tout à fait à construire pas à pas les états ou les stades de ce passage continu du neuronal au mental, ou même au social, peu importe. Car, par principe, on jettera un jour des ponts par-dessus ces abîmes, et les difficultés de détail sont contournées par l’invocation du futur riant qui nous livrera les solutions, à grand renfort de progrès techniques (par exemple, ceux de l’imagerie cérébrale), ou de rationalisation conceptuelle de ce qui a l’air pour le moment d’échapper aux griffes du projet naturaliste. Car qui, aujourd’hui, ne se sentirait pas ridicule à défendre un point de vue dualiste, et voudrait croire à l’indépendance de l’âme — sinon pour des motifs religieux ?

Il n’en reste pas moins, argumentent les sceptiques (dont je suis), que l’invocation rituelle du postulat de l’unité substantielle de la nature ne peut pas dispenser de se confronter aux nombreux trous, voire aux failles actuellement incomblées qui brisent à des endroits bien précis le continuum neuronal-mental-social. La nature essentiellement programmatique, et ce depuis plus de trente ans, de la nouvelle métaphysique scientifique dite "naturaliste", a plus que tout autre chose contribué à changer radicalement notre idée de ce qu’est la rationalité. Il n’en reste pas moins que les promesses de mettre sur les voies sûres de la science aussi bien la psychiatrie, que les sciences de l’éducation, l’économie ou quantité d’autres domaines traditionnels du savoir ont fait long feu. Plus on en sait sur le cerveau, et plus recule l’horizon de la guérison prochaine de l’autisme ou de la schizophrénie, par exemple. Et dans d’autres cas, les résultats les plus spectaculaires des neurosciences ne font que recouper des intuitions validées en pratique depuis fort longtemps sur la base de ce que nous avaient appris les sciences humaines et sociales classiques, comme on le voit très bien en économie ou en matière d’éducation et de développement des enfants. Une certaine impatience monte ainsi, touchant ce programme qui reste éternellement un programme, surtout lorsque sur la base d’une petite poignée de résultats empiriques, mais armé de prétentions épistémologiques qui confinent parfois à la revendication de détenir la vérité ultime sur la Science et la Raison, un certain nombre de cognitivistes, et non des moindres, empiètent sur les plates-bandes de leurs collègues sociologues, anthropologues, spécialistes de science politique, mais aussi bien sur les pratiques de base des éducateurs, des psychologues et des psychiatres, voire des magistrats.
Cette longue entrée en matière vise à mettre tout à fait à part le remarquable travail de Marc Jeannerod. Car Le Cerveau volontaire échappe de façon remarquable à presque toutes les objections que je viens d’énumérer — sauf une.

Il nous livre en effet point par point et transition par transition le cheminement de l’analyse scientifique de l’action intentionnelle, puis volontaire, en prenant pour paradigme le geste, mais en l’étendant à l’occasion vers cette autre forme d'action motrice essentielle aux êtres humains qui est la parole articulée. Le continuum est ainsi décrit sans faille, et le lecteur découvrira avec étonnement non seulement l’audace des hypothèses neurophysiologiques qui ont finalement été vérifiées, mais les moyens expérimentaux incroyablement ingénieux qui furent mis en œuvre depuis plus d’un siècle pour tester ses hypothèses. Marc Jeannerod fait preuve d'un talent tout particulier dans l’exposé historique de la transformation des problèmes, et il raconte avec une plume réjouissante les impasses et les progrès de la physiologie cérébrale de l’action depuis la fin du XIXè siècle jusqu’à nous. Ce qui rend cette histoire particulièrement belle, c’est la superposition de nombreuses couches de rationalité, qui, dans un glissement continu et fluide, fournissent successivement les solutions aux problèmes que chacune des disciplines scientifiques convoquées dans ce projet ne pouvait résoudre seule. D'abord, la façon dont la théorie de la relativité d’Einstein joue un rôle essentiel dans la compréhension de certaines réponses réflexes décisives dans l’argument ; plus loin, il est impossible de disjoindre l’analyse correcte de l’agentivité de la prise en compte des émotions ; seule la découverte des contraintes physico-mathématiques qui pèsent sur l’information que doit traiter un robot ou un système cybernétique a pu permettre de s’orienter au milieu des possibles. Et je ne mentionne là que quelques cas spectaculaires, pour donner au lecteur juste une idée du sentiment d’immersion profonde au cœur de la vie scientifique la plus riche qui est la tonalité générale de l’ouvrage.

Du coup, on ne se heurte jamais à ce que je dénonçais comme l’invocation rituelle de l’unicité de la nature (ce qu’on appelle en métaphysique un monisme), et nul n’est obligé de fermer pudiquement les yeux, ou pire, d’accompagner l’auteur dans son saut périlleux par-dessus les failles criantes du continuum postulé, neuronal-mental-social. Bien au contraire, la démonstration de Marc Jeannerod reconstitue pas à pas ce que doit être une action au sens fort, autrement dit : 1. une action qui anticipe ses effets dans un environnement mouvant, 2. une action qui dans un organisme particulier doit pouvoir se régler sur les actions auxquelles pensent les autres membres de l’espèce à laquelle j’appartiens, mais aussi les autres êtres vivants qui m’entourent (proies ou prédateurs, par exemple), 3. une action dont je dois être capable de lire les intentions avant qu’elles ne se réalisent, 4. une action dont je dois pouvoir me représenter l’intention en tant qu’intention, pour pouvoir agir sur ces intentions avant d’agir sur le monde, ce qui n’est rien d’autre que de distinguer en moi vouloir faire et faire, et comment, pour finir, 5. de l’intégration systématique de toutes ces dimensions dans mon cerveau résulte le sentiment d’être non seulement l’agent intentionnel de mes actions (celui qui les fait), mais aussi le sentiment d’en être l’auteur (d’être celui qui en a planifié l’occurrence dans une narration qui se déroule dans mon "esprit", et d’en avoir intégré le scénario dans ce que je voulais).

Et c’est là que la spéculation proprement philosophique commence. En effet, le paradigme de l’action qui est proposé ne se contente pas de prendre le geste moteur de l’organisme individuel pour référence constante. Il lui applique à la fin du parcours une détermination dont il est impossible d’évacuer les sous-entendus moraux, voire politiques : ce que le cerveau volontaire produit, ce sont des actions autonomes, autrement dit, les actions d’un auteur "libre". Comment retrouver au bout du compte en partant de postulats rigoureusement déterministes (les mécanismes neurophysiologiques de l’agir) l’expérience vécue de l’initiative et du contrôle de l’action ? Voilà le défi. Et c’est en relevant ce défi que Marc Jeannerod aborde la difficile question de la destruction neurobiologique du sentiment de l’agentivité, le sentiment que l’on est le maître de ses actions ou que ce n’est qu’un autre qui agit à notre place, ou bien, inversement, que nous pouvons agir les actions des autres — et qu’il précise sa théorie extrêmement impressionnante du sentiment d’influence chez les schizophrènes. Son idée, en peu de mots, est que ce symptôme frappant de la schizophrénie valide a contrario sa thèse sur la construction du sentiment d’être soi, autrement dit être l’agent mais aussi et surtout "l’auteur causal" de ses propres actions. En somme, ç’en est l’épreuve pathologique. Qu’on puisse induire au moins à titre d’illusions chez des sujets d’expérience le sentiment de la perte du contrôle ultime de leurs actions est tout à fait troublant ; pas moins troublant cependant, à mon avis, que le calme avec lequel Marc Jeannerod et tous les théoriciens cognitivistes et de la schizophrénie pensent que cette illusion est une composante réelle, voir l’essence même du délire schizophrénique.

Marc Jeannerod est tout à fait conscient qu’en allant des bases vers le sommet le plus mental de la physiologie de l’action, il ne pouvait que rencontrer la question de l’autonomie et donc de la liberté. Voici ce qu’il écrit au tout début de son enquête : "Les philosophes rejoignent les physiologistes dans une interrogation commune sur la frontière qui sépare l’espace d’autonomie que nous laisse notre fonctionnement biologique de l’espace de croyances à l’intérieur duquel se construisent notre liberté et notre responsabilité. Comment ces deux espaces communiquent-ils ? Faut-il chercher l’unité à tout prix ? Ou bien peut-on accepter l’idée de deux modalités distinctes de notre "être soi" qui n’auraient de commun que leur déterminisme cérébral ?"  

Qu’on se rassure : c’est l’unique endroit du livre où le postulat de l’unité naturelle de la série complète de l’agir est mis si peu que ce soit en question. Ce serait en effet ouvrir la boîte de Pandore que de creuser l’alternative : de laisser, justement, son autonomie logique à "l’espace de croyances" au sein duquel se déploient les mécanismes neurophysiologiques de l’action. Je m’explique. Tant qu’on considère que l’intentionnalité de l’agir, ce n’est en somme rien d’autre que le caractère fonctionnel, téléologique, autrement orienté vers une fin, de certains mécanismes du vivant contraints par la sélection naturelle et l’adaptation à l’environnement, tout va à peu près bien. Mais l’ennui, c’est que l’intentionnalité de l’agir, à l’autre bout de la chaîne, celui vers lequel remonte lentement toute l’analyse cognitiviste de l’action, cette intentionnalité-là est précisément l’objet de nos croyances les plus complexes, les plus sociales, les plus morales. C’est par une idéalisation bien particulière que nous donnons une valeur spéciale à l’autonomie de l’action individuelle, et que, en appliquant certaines normes, nous jugeons par exemple qu’un schizophrène , un déprimé ou un psychopathe est malade, parce qu’il est incapable de satisfaire, d’une manière ou d’une autre, aux exigences de l’agir en société.

Ceci, on le voit tout de suite, n’a strictement rien à voir avec une accusation relativiste, où l’on réduirait (en termes historiques ou sociologiques) le réductionnisme neurobiologique, en y montrant l’ignorance des présupposés normatifs qu’il véhicule. C’est infiniment plus simple, et même typographique : il faut suivre dans Le Cerveau volontaire l’introduction entre guillemets de la plupart des concepts intentionnels de très haut niveau ("désir", "volonté", "autonomie", "soi", etc.), et le moment où, une fois acquis un savoir consistant sur les mécanismes neurophysiologiques qui font ce que fait le désir, la volonté, l’autonomie ou le soi, ces guillemets prudents du début disparaissent subrepticement. Ce n’est pas un sophisme. C’est la rançon de l’idéalisation nécessaire au travail du physiologiste, qui doit bien découper pour le rendre traitable objectivement le phénomène psychosocial ou moral complexe qu’il se propose d’étudier. Mais tout cela crée une grande incertitude.

Pour la rendre manifeste je suggère qu’on se représente deux scènes. Dans la première, un des sujets d’expérience du neurophysiologiste de l’action se voit proposer une tâche qu’il peut accomplir en faisant un geste bien déterminé. On lui demande alors de "faire X". Il le fait, soumis à tous les appareils d’enregistrement que l’on veut. On lui demande ensuite à titre de contrôle de "faire X volontairement". Comment doit-il s’y prendre ? En faisant le même X en y pensant plus fort ? En le faisant plus vite ? En décomposant davantage le mouvement et en pensant à l’enchaînement successif de chacune de ces phases ? Ou bien le sujet devrait-il répondre qu’il ne voit pas la différence car il a déjà fait X volontairement ? et si le sujet, par exemple, un brin plus retors, interrogeait l’expérimentateur, en lui demandant s’il doit faire X "volontairement", "délibérément", "exprès", ou "juste intentionnellement" ? Que lui répondrait l’expérimentateur ? Mais ces mêmes nuances parfaitement comiques, en tout cas non quantifiables, tout à fait verbales et sans doute dérisoires dans l’enceinte du laboratoire de neurophysiologie, prennent un sens dramatique au tribunal. Car ce n’est pas du tout la même chose d’avoir fait X et d’avoir fait X intentionnellement, ou de l’avoir fait délibérément et exprès, quand il s’agit d’avoir renversé un passant en voiture, ou d’avoir plus ou moins malencontreusement trébuché un couteau à la main pendant une dispute conjugale. Et je me demande si les activations neuronales en cause dans chacune de ces situations seraient bien les mêmes. Quoi qu’il en soit, on voit bien que la souplesse et peut-être l’ambiguïté du vocabulaire de l’action ne devraient pas forcément être considérées comme la preuve de son imperfection, ni comme un appel à le remplacer par des formules plus objectives, au sens de l’objectivité expérimentale des sciences naturelles.


D’où l’idée suivante : la véritable limite d’une théorie cognitiviste de l’agir humain ne se trouve certainement pas dans le fait qu’il y ait deux substances, la Nature d’un côté, l’Esprit ou le Social de l’autre. Elle réside dans le langage ordinaire, celui dans lequel les sujets d’expérience communiquent avec les expérimentateurs dans un monde où il n’existe justement pas seulement des expériences de neurophysiologie, ou des déficit psychomoteurs, mais aussi des institutions, des intentions supposées chez autrui, un ordre et une hiérarchie des valeurs et des normes, entre autres petits détails périphériques. Examinés de près, ces petits détails sont en fait d’une redoutable complexité. Il n’est pas du tout certain qu’il existe quoi que ce soit comme "la" volonté, ou "l'" intentionnalité, ou "le" désir, si du moins on observe l’usage pratique de ces termes, comment ils font véritablement sens dans l’interaction concrète. Mais cela, encore une fois, ne doit donner lieu à aucun rejet relativiste de la science, ni surtout du projet cognitiviste. Il se pourrait bien, au contraire, que ce soit la voie vers une appréhension toujours plus fine de l’enracinement de nos pratiques sociales et verbales dans des régularités biologiques encore insoupçonnées   .
L’apparition et la disparition des guillemets autour de termes aussi cruciaux que "volonté" et "soi" ne doit donc pas nous induire en erreur. Il faut les évaluer en termes de coûts et de bénéfices conceptuels au service de la recherche rationnelle. Pour parler comme Wittgenstein, il ne s’agit absolument pas de dire que cet usage entre guillemets du vocabulaire de l’intentionnalité la plus riche est un non-sens. Ce n’est pas du tout un non-sens (un peu comme si les neuroscientifiques ne parlaient pas français, ou bien, par aveuglement scientiste et réductionniste, devenaient incapables de tenir compte de l’esprit ou de la subjectivité que "tout le monde" connaît). C’est le point où commence un nouveau jeu de langage, voire une nouvelle forme de vie : celle, si j’ose dire, de l’homme neurocognitif, un homme qui est en train d’ajouter de nouvelles attitudes à son répertoire, comme celle de se référer à lui-même comme à son cerveau (plutôt qu’à son "esprit", ou à son "inconscient", ou à sa "classe sociale", etc.). C’est pourquoi un ouvrage comme celui de Marc Jeannerod ne peut que passionner l’anthropologue : derrière les guillemets se profilent de nouvelles institutions sociales, de nouvelles façons de s’inventer comme soi, peut-être bien aussi de se sentir schizophrène ou dépressif, voire de demander non plus une psychothérapie mais une "neurothérapie", et (pourquoi pas ?) de se sentir autrement partie intégrante de la Nature.

Il faut donc lire le dernier livre de Marc Jeannerod, non seulement pour le plaisir de la découverte scientifique et épistémologique, mais parce que c’est l’œuvre d’un pionnier des neurosciences qui pouvait encore s’autoriser une vue synoptique sur l’essence de ce projet. Il n’est pas sûr, avec la spécialisation et la professionnalisation croissante des neurosciences cognitives, que nous disposerons, dans seulement dix ans, d’aperçus aussi profonds, ni qu’ils puissent, du moins, nous permettre de mesurer ce qui se passe, et qui n’est rien moins qu’une reconfiguration de notre idée de l’homme