Dix ans après le crash du Concorde au-dessus d'un hôtel à Gonesse, le procès de cinq personnes, ainsi que de la compagnie aérienne américaine Continental Airlines s’est ouvert aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Pontoise (Val d'Oise). Thierry Libaert, auteur et enseignant en sciences de l'information et de la communication, nous livre son analyse de la communication de crise du groupe.

Le crash de Concorde c'était il y a 10 ans... Quel point fort gardez vous de la communication de crise d’Air France ?

Une grande réactivité. Les responsables de l’entreprise étaient sur place très rapidement. Il faut se projeter. Lorsqu’une crise éclate, les médias demandent immédiatement à l’entreprise de s’expliquer. Il s’en suit une montée en puissance émotionnelle face souvent à une entreprise incapable de donner des éléments précis. Air France a réussi a éviter cet écueil, en faisant taire toute suspicion.
 
Pensez vous que des leçons ont été tirées de cet événement tant du coté d’Air France que des pouvoirs publics ?

Ils ont bien géré. Mais ce n’est pas cette crise qui peut les renforcer. Pour une compagnie aérienne, le crash d’un avion est le risque qui est le plus étudié, analysé, répété. Ils ont eu à faire face à une crise qu’ils avaient forcément anticipée. Or, le plus délicat face à la crise, c’est l’incertitude, la crise imprévue.
 
Quelle est votre appréciation de la communication de crise d’Air France aujourd'hui  ?


Très professionnelle, très réactive. Ils ont bien compris qu’il y avait deux moments dans la crise. D’abord une prise en compte de l’émotion puis une prise en compte de la durée. Air France a tout de suite les mots justes : compassion, empathie, prise de responsabilité au plus haut niveau. Ils ont saisi la mécanique.
 
Confrontée à une crise, l'Entreprise est-elle capable de gérer la communication de façon optimale aujourd'hui ?


Non. Il y a une forte prise de conscience depuis 10 ans sur l’ampleur des crises . Toutes les grandes entreprises cotées en bourse ont des procédures de gestion des crises. Elles ont de bonnes veilles, de bonnes cellules de crise. Mais il faut prendre en compte l’aléatoire, le " hors cadre " comme le souligne Patrick Lagadec, spécialiste de la gestion des risques. On peut prévoir des crises qui n’arriveront pas et ne pas prévoir des crises qui surviendront. Les entreprises ont souvent les outils mais le croisement des données n’est pas toujours effectué.
 
Est-ce que la communication de crise s’est professionnalisée  ?   


Elle s’est professionnalisée dans le sens où l’on a compris que 95 % de la gestion de crise, c’est de la communication de crise. Sur la vache folle, sur l’Erika, sur Tchernobyl de quoi se souvient on ? De la communication. Prenez Tchernobyl, ce dont l’opinion se souvient, c’est que le nuage ne passerait pas par la France.
Cependant, il faut faire attention à cette professionnalisation. Si chaque dirigeant, chaque porte-parole délivre le même message, la même empathie, les mêmes mots, l’effet sera, à plus ou moins long terme, totalement contre-productif.
 
De façon générale, peut-on dire qu'une crise peut être anticipée ou chaque cas est-il particulier en terme de communication ?

Il y a deux directions. La première consiste à prendre en compte les crises qui peuvent être anticipées. Un crash pour une compagnie aérienne, un problème technique pour une compagnie automobile. Ensuite,  il faut l’analyser, le décortiquer et établir un plan.
La seconde direction est la plus difficile. Les crises sont de plus en plus imprévues. Il est impossible d’établir une ligne Maginot anti-crise. Dans ce cas, la crise est un virus, en recomposition permanente. Et là aucun plan ne suffit

 

Pour plus d'informations, voir :

- Communicator (Dunod, 2009, 5e édition), de Thierry Libaert et Marie-Hélène Westphalen.

- http://tlibaert.info/

Propos receuillis par Julien Miro