Une histoire de Munich d’une facture très classique, qui s’apparente plus à une histoire politique de la Bavière qu’à l’étude historique d’une ville.

Qu’est ce qu’une ville pour l’historien et comment l’étudier ? Comme un espace, dont les frontières et l’aspect évoluent dans le temps ? Comme un personnage, dont l’étude ne peut se résumer au récit de la vie et de l’œuvre et doit prendre en compte la dimension affective, psychologique ? La ville est un tout : espace géographique au paysage particulier, elle est aussi souvent une communauté politique dont les rapports aux autres pouvoirs sont marqués par le couple de la subordination et de l’émancipation. Elle est enfin une communauté sociale, marquée par des clivages professionnels, économiques, générationnels. L’ensemble de ces caractéristiques participent (sans la résumer) de l’urbanité, de l’identité d’une ville, de sa personnalité.

L’histoire urbaine prend aujourd’hui en compte l’ensemble de ces aspects, elle qui jusqu’au milieu du vingtième siècle semblait s’intéresser avant tout aux fonctions politiques et économiques des villes. Les apports combinés de l’anthropologie, de la sociologie, de la géographie ont contribué à renouveler les approches   . Ici au contraire, Jean-Paul Bled, professeur des universités à Paris-IV, choisit pour raconter l’histoire de la capitale de la Bavière une perspective très classique qui identifie quasiment la ville à sa seule fonction politique. Fin connaisseur de l’histoire du monde germanique, on lui doit notamment une histoire de Vienne   qui semble avoir influencé ce nouvel opus, tant les comparaisons entre les deux cités sont récurrentes tout au long de l’ouvrage.

Quelle spécificité munichoise ?

Cette perspective comparatiste pose d’emblée la question de la problématique choisie par l’auteur pour aborder Munich, cette ville si riche, parfois réduite à sa fête de la bière, à son club de foot et à ses musées. Deux questions guident l’ouvrage : celle de la dualité entre localisme bavarois et cosmopolitisme de la population artistique accueillie en ses murs et celle de l’insertion de Munich dans l’espace germanique, envisagé dans une perspective multiscalaire, de la Bavière au Saint-Empire en passant par l’Allemagne. Ces deux interrogations se rejoignent finalement autour de la question de la centralité de la ville et donc de sa puissance. Cette problématisation assez classique, qui vise à évaluer l’identité et la place du pôle munichois dans le triangle qu’il forme avec Vienne et Berlin est cependant affaiblie dès l’avant-propos par un manque de réflexion sur ces deux concepts.

L’idée d’une spécificité munichoise, pourtant avancée par l’auteur, est souvent contredite par ses propres analyses, qui mettent en avant la proximité de la situation munichoise avec d’autres villes européennes. Ainsi, décrivant les difficultés que connaît Munich au milieu du XIVe siècle (épidémies, conflits armés, crise économique), Jean-Paul Bled rappelle-t-il que "cette crise n’a rien d’exceptionnel. Munich se place même en fin de liste"   . Tentant de dégager ensuite une spécificité munichoise dans la crise politique urbaine, il insiste sur la conjonction des aspirations des différents groupes dans les luttes pour la conquête du pouvoir municipal et sur le caractère non-démocratique des revendications. Mais bien d’autres villes, françaises ou italiennes, connaissent alors le même phénomène…

Le choix d’un découpage chronologique tend à accentuer l’aspect plus narratif qu’analytique de l’ouvrage. Dix périodes se succèdent ainsi, de façon un peu déséquilibrée. Le 1er chapitre couvre ainsi l’histoire de la ville du XIIe siècle   au début du XVIe siècle, les trois chapitres suivants traitant ensuite la succession des trois siècles. Puis l’histoire de la ville semble se densifier, le XIXe siècle faisant l’objet de trois chapitres, articulés autour des ruptures majeures de l’histoire allemande et plus particulièrement de l’unification que sont 1815, 1848 et 1870. L’âge d’or de la ville se situe entre 1870 et 1914, que Jean-Paul Bled compare à la Vienne fin-de-siècle. Deux chapitres sont ensuite consacrés à la période 1914-1945, qui voit Munich devenir à partir de 1933 "la capitale du mouvement" nazi   . Le dernier chapitre intitulé "La Renaissance" évoque le rôle de la capitale bavaroise dans l’Allemagne divisée puis réunifiée, la faisant passer du statut de heimliche Hauptstadt   de la RFA à celui de Weltstadt   de l’Allemagne du XXIe siècle. Dans ce récit chronologique, chaque chapitre reprend une structure très classique, qui va du politique à l’économique pour terminer sur le culturel, sans réelle analyse de la communauté sociale munichoise.


Une analyse trop strictement politique

Si l’histoire de la ville est très bien replacée dans celle du royaume de Bavière, qui devient Freistaat en 1918, dans celle de l’Allemagne (Saint Empire puis Allemagne nationale) et plus ponctuellement, de l’Europe, on regrette que l’imbrication de ces temporalités et de ces échelles ne soit pas mise plus directement en lien avec les mutations urbaines. Au début du chapitre 7, l’auteur évoque par exemple les grands bouleversements que sont l’exode rural ou le démarrage de l’industrialisation et leurs conséquences sur la ville, qui voit son espace s’agrandir et se modifier sous l’effet, en particulier, du chemin de fer. Munich devient un nœud ferroviaire mais le lecteur ne saura jamais réellement pourquoi. Qui du pouvoir municipal, bavarois ou de la Zollverein est responsable de cette implantation ? Et au nom de quoi ? On regrette que l’analyse du jeu des acteurs ne soit pas plus poussée, afin de voir comment ils entrent en conflit ou en synergie.

De même, l’idée maîtresse qui fait du politique le déterminant principal de l’identité urbaine conduit à ne laisser que peu de place aux autres logiques explicatives de sa constitution. Ainsi, au chapitre 9, il est rappelé que les résultats électoraux du NSDAP à Munich sont, pour les élections de 1932 et 1933, inférieurs aux scores nationaux. La raison en tient, pour l’auteur, à la force du catholicisme dans la ville, qui s’oppose aux thèses matérialistes du parti. Mais d’autres facteurs peuvent expliquer cette sociologie électorale : le poids important de la ruralité en Bavière, un taux de chômage relativement plus faible que dans les grandes régions industrielles du pays… On regrette là encore que ces différents aspects ne soient pas confrontés, afin de chercher à évaluer leur poids relatif. Le récit souffre enfin à plusieurs reprises d’un biais déterministe ou à tout le moins téléologique, qui fait écrire à Jean-Paul Bled, à propos d’Hitler et à la suite du putsch raté de 1923, que "s’il a subi un revers, Il (sic) sait aussi que l’avenir dure longtemps"   . De la même façon, on sent parfois pointer quelques jugements de valeur, comme lorsque la stratégie d’Albert IV, qui fait consacrer en 1506 la primogéniture mâle pour s’assurer le contrôle du royaume, est jugée… fort sage   .


L’histoire de Munich est donc avant tout une histoire de sa place dans les rapports entre la Bavière et le reste de l’espace germanique. A ce titre, l’auteur raconte très bien et avec force détails comment le pouvoir royal s’est imposé face au pouvoir municipal et au pouvoir religieux durant toute l’époque moderne et jusqu’à la fin du XIXe siècle. Cette lutte de pouvoir est analysée dans le paysage urbain, à travers la Résidence par exemple, mais aussi à travers le développement culturel ou économique de la ville. L’absence de cartes qui permettraient une étude des transformations morphologiques de la ville   , le manque d’analyse spatiale des lieux de pouvoir ou le peu d’intérêt pour des parcours individuels de Munichois sont en revanche à regretter, qui permettraient de comprendre, de sentir la ville.

Cette "biographie" de Munich se veut un ouvrage de synthèse destiné au grand public. Elle ne fait que très peu de place aux sources primaires ou aux débats historiographiques et donne à voir une histoire linéaire de la ville. Si elle permet une bonne entrée en matière pour qui voudrait découvrir Munich, elle bute sur ce qui constituait pourtant un de ses objectifs : donner à voir, à comprendre, à ressentir l’ancrage identitaire d’une ville attachante