Une étude destinée à cerner la politique coloniale de Pierre Mendès France, au-delà du mythe.

La politique coloniale de Pierre Mendès France appartient au domaine du mythe. Génie visionnaire de la décolonisation pour certains, liquidateur criminel de la puissance impériale française pour d’autres, le personnage ne laisse pas indifférent. La présentation qu’on en fait est souvent déformée par des enjeux mémoriels très contemporains, mais on peut aussi légitimement se demander s’il n’est pas illusoire de chercher une cohérence dans la politique coloniale mendésienne. Maria Romo-Navarrete entreprend de définir cette politique dans cet ouvrage tiré de sa thèse de doctorat. L’extrême hétérogénéité des territoires considérés et du spectre chronologique retenu semble au contraire souligner le pragmatisme et l’absence de doctrine arrêtée. Toutefois, l’intérêt du livre réside dans sa volonté d’étudier de manière exhaustive la diversité des situations coloniales et dans le cadre chronologique pris en compte, qui ne se limite pas à la période pendant laquelle Mendès France occupait la présidence du Conseil, de juin 1954 à février 1955. Le cadre géographique n’est dès lors pas circonscrit aux cas bien connus de l’Indochine ou de l’Afrique du Nord, mais explore également les problématiques propres aux Comptoirs de l’Inde ou au Fezzan.

Aux marges de l’Empire

Lors de la formation de son gouvernement, Pierre Mendès France hérite des dossiers coloniaux de l’Indochine, des Comptoirs de l’Inde et du Fezzan. Dans ces territoires aux marges de l’Empire, la position française est directement et immédiatement menacée. Dans chacun des cas, avec des modalités spécifiques, le président du Conseil décide soit de poursuivre le désengagement français, soit de l’amorcer. L’Indochine est la question la plus urgente, la plus symbolique et la plus importante. Pierre Mendès France s’est intéressé aux problèmes indochinois en économiste et non en politique. Il comprend la situation au prisme de son expérience de technicien des finances. S’il préconise l’arrêt des combats, il ne se situe pas pour autant sur le plan idéologique. En fait, il raisonne en homme pragmatique qui estime que le pays n’a pas la capacité économique nécessaire pour supporter un tel affrontement. Le contrat proposé aux députés dans son discours d’investiture est un véritable pari qui contribue à forger le mythe Mendès. Pourtant, Maria Romo-Navarrete souligne les désillusions de l’après-Genève. Les ambitions du gouvernement lors de la mise en œuvre des accords signés se heurtent à la conjonction de la montée en puissance des États-Unis dans cette région et aux difficultés liées aux questions européennes. Entre l’échec de la conférence de Bruxelles et le rejet de la CED par l’Assemblée nationale, les États-Unis demandent à assumer eux-mêmes l’aide directe et l’instruction des armées des États associés. Affaibli financièrement et diplomatiquement, le gouvernement français est contraint de céder à ces revendications.

À son arrivée à la présidence du Conseil, deux autres dossiers coloniaux sont très engagés. Dans les Établissements français de l’Inde, héritage exotique de l’Ancien régime, la France n’est plus en mesure de contester la progression indienne et signe un accord avec le gouvernement de Nehru. Ce protocole règle de fait une question qui le sera en droit en 1962. Au Fezzan, dont la conquête est un trophée de la Seconde Guerre mondiale, Pierre Mendès France s’oriente d’abord vers la confrontation plutôt vers que l’évacuation souhaitée par le gouvernement libyen. Cependant, il est contraint sous la pression d’entamer des négociations qui s’achèvent, bien après la chute de son gouvernement en février 1955, par le retrait définitif de la France.

Mendès et l’Afrique du Nord : à la recherche de la puissance française

Les protectorats d’Afrique du Nord sont mieux connus de Pierre Mendès France. Il y possède des amis et des relais qui le sensibilisent aux problèmes et aux questions qui s’y posent. En Tunisie, il préconise la « souveraineté interne » ou l’« autonomie interne » mais refuse d’affaiblir le lien unissant ce protectorat à la France. Il se contente d’en accepter une redéfinition. Il admet l’inéluctabilité de la pleine indépendance tunisienne, mais rejette une remise en cause des intérêts français sur place. Il l’exprime de manière éclatante lors du fameux discours de Carthage du 31 juillet 1954. Cette déclaration, qui participe également de la construction du mythe, impose toutefois la signature de conventions pour régler les relations entre Paris et la Régence. Les négociations sont ardues et contribuent à la chute du gouvernement, le 2 février 1955. Si au Maroc, la « méthode Mendès » a fait naître de nombreux espoirs, la question dynastique met en échec sa politique. Maria Romo-Navarrete rapproche le cas des deux protectorats nord-africains, car si Pierre Mendès France accepte des évolutions, il choisit cependant de conserver le lien les unissant à la France.


Le conflit indochinois à peine achevé, les attentats de la Toussaint 1954 marquèrent le début de la guerre d’Algérie. Le premier réflexe du gouvernement Mendès France fut de ramener l’ordre et de renouer avec les réformes. Les discussions sur ces dernières contribuèrent à la chute du gouvernement que Pierre Mendès France présidait. Une nouvelle fois, la légende se cristallisa autour de l‘image de l’homme défait pour avoir voulu imposer une réforme à l’Algérie. Pourtant, ce conflit porte une ombre sur le mythe Mendès puisque, ministre d’État du gouvernement Mollet, il tarde à démissionner face au tournant de la politique menée au lendemain du 6 février 1956. La dernière partie permet également à l’auteur d’étudier la conception mendésienne de la puissance française. Celle-ci est essentiellement tributaire du relèvement de l’économie française. Dans le discours de Pierre Mendès France, le lien entre Empire et puissance est très présent, mais relève du lieu commun d’un homme éduqué sous la IIIe République. En revanche, Mendès France ne manque pas de souligner l’importance du facteur économique dans les questions coloniales, et donc d’insister, en creux, sur le fardeau que représente par l’Empire.

Le livre de Maria Romo-Navarrete n’est pas exempt de certains défauts. Même si la question peut paraître anecdotique, sa mise en forme surprend : le papier glacé rend l’ouvrage lourd, peu maniable et le lecteur y rencontre peu de notes infrapaginales. De plus, la diversité des aires géographiques et de leurs problématiques contraint l’auteur à de longs rappels contextuels. Ainsi, était-il nécessaire d’accorder autant de place – quasiment un chapitre – au constat du blocage de la situation politique en Tunisie à la veille de l’investiture de Mendès France ? Ces quelques critiques ne remettent cependant pas en cause la qualité d’un travail riche et bien documenté