Ce premier volume de l’édition intégrale de la correspondance active de la marquise de Maintenon (1635-1719) lève en partie le voile sur une personnalité complexe, figure majeure du règne de Louis XIV, loin des caricatures et d’une légende noire qui continue de prospérer.

L’édition intégrale de la correspondance active de Madame de Maintenon constitue une excellente nouvelle pour les spécialistes du XVIIe siècle, les férus de l’art épistolaire et tous les esprits curieux. Le volume paru ces derniers mois est le premier, déjà fort conséquent, d’une série de sept. Dans sa courte préface, Marc Fumaroli, s’appuie sur un portrait dit de Pierre Mignard (vers 1694)   ,  reproduit à l’ouverture du livre, mais malheureusement de manière inversée. Il s’agit en réalité d’une copie par un anonyme d’un portrait de Mignard dont l’original se trouve au Louvre. Une réplique de cette dernière œuvre est également visible à Versailles : on peut l’admirer en ce moment dans le cadre de l’exposition Louis XIV et le roi. Marc Fumaroli salue donc dans son propos introductif cette publication, qui révèle une « personnalité si fortement construite et si vivante »   , loin des caricatures et des légendes mais sans effacer un certain mystère. Comme le rappellent les éditeurs de la correspondance, Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon, née en 1635, morte en 1719, épouse secrète de Louis XIV après la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683, « reste victime de certains préjugés »   .

L’introduction générale s’attarde peu sur la vie de Madame de Maintenon, qui est supposée connue   , préférant « faire justice de quelques préjugés sur le personnage » ou donner quelques clefs qui révèlent « une épistolière exceptionnelle », avant de soumettre au lecteur « problèmes et choix éditoriaux »   . Au total, ce premier volume comprend 672 lettres, rédigées entre 1650 et 1689, sans compter plusieurs missives probablement apocryphes   . Hans et Eugénie Bots ont retrouvé documents originaux et copies dans diverses bibliothèques et dépôts d’archives, de Versailles à La Haye, en passant par plusieurs collections particulières. Ils ont su déjouer tous les pièges des éditions précédentes de la correspondance de Madame de Maintenon. Il faut ainsi se méfier de la somme fondamentale mais parfois imprécise et inexacte de Laurent Agliviel de La Beaumelle (1726-1773)   .

Les débuts : de Niort à la Cour

Pour ce seul volume, et alors que le réseau épistolaire est loin d’atteindre son ampleur maximale, 61 correspondants sont recensés   . On y retrouve des membres du cercle familial, au premier rang desquels Charles d’Aubigné (1634-1703), le frère de Françoise, ou le cousin et la cousine Le Valois de Villette. Ces figures apparaissent dès les premières lettres reproduites. La correspondance commence en 1650. Françoise d’Aubigné, petite-fille d’Agrippa (1552-1630), grand poète protestant, fille de Constant (1585-1647), aventurier insouciant, a vécu une jeunesse agitée à Niort et dans sa région ainsi que dans les Antilles. Prise en charge par sa marraine, Madame de Neuillant, elle se convertit au catholicisme en 1649 et séjourne chez les Ursulines à Niort puis à Paris. La première lettre de cette édition plante le décor. Depuis la capitale, Françoise d’Aubigné s’exclame : « Ah ! Madame et tante, vous n’imaginez l’enfer que m’est cette maison soi-disant de Dieu et les rudoiements, duretés et façons cruelles de celles [les Ursulines] qu’on fait gardiennes de mon corps, et de mon âme non, pour ce qu’elles n’y peuvent joindre »   . La jeune Niortaise préfère finalement le mariage au couvent, et épouse l’écrivain Paul Scarron, né en 1610. C’est le temps des mondanités. En 1660, Madame Scarron est déjà veuve. Fin 1661, elle fait la rencontre décisive de Françoise-Athénaïs de Mortemart, marquise de Montespan (1640-1707), fille d’honneur de la reine, maîtresse de Louis XIV à partir de 1667. L’éducation des enfants nés de cette liaison est confiée à Madame Scarron   .

Plus importante, la correspondance des années 1670 concerne toujours en priorité la famille. L’abbé François Gobelin (mort en 1691), un directeur de conscience plutôt accommodant, y fait toutefois une apparition remarquée   . Surtout, les noms cités dans les lettres donnent un aperçu du réseau social que construit Madame Scarron. Ceux de Jean-Baptiste Colbert ou du marquis de Louvois sont présents dès 1669 et 1671   . La faveur royale se fait en effet  de plus en plus grande à cette époque. En 1675, Louis XIV donne à la veuve Scarron le titre de marquise de Maintenon, du nom du château et du domaine acquis l’année précédente   . Comme le constatent les éditeurs, la nouvelle protégée du roi opère cependant avec grande « prudence, lorsque ses parents et proches s’adressent à elle pour intervenir en leur faveur » à la Cour   .

La rupture des années 1680

La décennie suivante marque une rupture évidente. En 1680, Madame de Maintenon est nommée seconde dame d’atour de la dauphine, Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière   . De cette année date aussi le début de la correspondance avec Marie-Madeleine de Senneterre de Brinon (morte en 1701), première supérieure de la fameuse Maison royale de Saint-Louis, à Saint-Cyr (aujourd’hui dans les Yvelines), à partir de 1686   . Après l’épisode qui voit le triomphe aussi éclatant qu’éphémère de la duchesse de Fontanges (décédée en 1681)   , scellant la fin de l’ère Montespan, après la mort de la reine   , c’est l’heure de la gloire pour la marquise de Maintenon. Aux lendemains de son mariage secret avec le roi, elle écrit : « Je n’ai pas encore eu le temps de me reconnaître, et ce moment ici est pris [pour écrire une lettre] sur mon sommeil et sur ce que l’on [Louis XIV] n’a pas encore entré dans ma chambre »   .

La correspondance de ces années permet également de poser une question qui a longtemps hanté l’historiographie : Madame de Maintenon a-t-elle eu un quelconque rôle dans le processus, passablement complexe, qui conduit à la révocation de l’édit de Nantes, en octobre 1685 ? Les éditeurs abordent rapidement cette question dès les premières pages de l’introduction générale   . En fait, l’influence de la marquise sur la politique antiprotestante de Louis XIV est probablement inexistante. La lecture de la correspondance demeure cependant utile pour se faire une idée des sentiments et de quelques-unes des actions circonstanciées de Madame de Maintenon. À la fin de l’année 1680, la protégée du roi s’emploie à obtenir la conversion de plusieurs de ses parents, en particulier son neveu et sa nièce de Villette. Cette dernière est véritablement enlevée du château de Mursay (aujourd’hui dans les Deux-Sèvres). Le père, Philippe de Villette, capitaine de vaisseau et protestant, accable de reproches sa cousine, laquelle assume sa démarche et annonce : « si Dieu conserve le roi, il n’y aura pas un huguenot dans 20 ans »   . Le 30 janvier 1683 comme le 16 juillet 1684, la marquise de Maintenon demande encore à son cousin de se convertir, tout en regrettant qu’« on pousse trop loin l’aversion de [la] religion [protestante] »   . Philippe de Villette abjure finalement le calvinisme, le 10 décembre 1685, soit quelques semaines après la Révocation, événement dont la marquise de Maintenon ne dit rien dans sa correspondance. L’enthousiasme est là cependant. Le 20 septembre 1685, l’épouse de Louis XIV déclarait ainsi qu’« il s’[était] converti 100 000 âmes en Guyenne depuis un mois […] » ; ce qu’écrivant, elle ignorait –ou feignait d’ignorer- le rôle qu’y avaient joué les dragonnades ou la peur de la soldatesque   .

La grande affaire : Saint-Cyr

Le premier volume de la correspondance active de Madame de Maintenon apporte beaucoup d’éléments sur la naissance et le développement de la Maison royale de Saint-Louis, à Saint-Cyr. Cet établissement, conçu pour l’éducation des jeunes filles issues des catégories modestes de la noblesse d’épée ancienne et provinciale, vient après les expérimentations de Rueil (1681-1684) et de Noisy (1684-1686). La marquise donne de multiples instructions à la supérieure, Madame de Brinon, se montrant critique ou pointilleuse au besoin   . Madame de Brinon est finalement contrainte au départ à la fin de l’année 1688   .

Les premières années de Saint-Cyr sont marquées par un certain esprit d’ouverture. On y pratique « une pédagogie active ». Les pensionnaires sont réparties par âge (classe « rouge » de 7 à 10 ans, « verte » de 11 à 14 ans, « jaune » de 15 à 16 ans, « bleue » de 17 à 20 ans), et la primauté est accordée « non à la mémoire, mais à la réflexion et au jugement »   . A Saint-Cyr, dans les bâtiments construits par Jules Hardouin-Mansart, lesquels abritent aujourd’hui le lycée militaire, on enseigne également le théâtre. Le 26 janvier 1689, en présence du roi et de la Cour, les demoiselles de Saint-Cyr jouent Esther, pièce de Jean Racine spécialement composée à cet effet. Le succès est au rendez-vous   . La marquise de Maintenon s’inquiète d’ailleurs très vite de ce qu’elle considère comme un effet de mode préjudiciable à l’établissement.

Ce premier volume se termine à la fin de l’année 1689, au moment où le réseau épistolaire s’élargit de manière sensible. La publication de ces quelque 700 lettres donne en tout cas à la marquise de Maintenon une profondeur et une sensibilité méconnues, en partie fondées sur l’esthétique qui s’y déploie, ce « naturel très contrôlé » décrit par les éditeurs   . On ne peut que saluer cette parution et attendre, avec impatience, les volumes suivants