Le livre de Pascale Mormiche propose une analyse des acteurs, des méthodes et des contenus de l’éducation des princes, un enjeu politique majeur aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Issu d’une thèse soutenue en 2005 à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines sous la direction de Chantal Grell, le livre de Pascale Mormiche, agrégée d’histoire, revient en détail sur un aspect de l’histoire de la monarchie française qui demeure plutôt méconnu, malgré un renouveau récent   : l’éducation des princes, futurs rois ou chefs de famille, tels que les Condé ou les Orléans. L’introduction - trop brève-  présente les enjeux de l’ouvrage, lequel retrace une « expérience pédagogique » oubliée. Comment « structurer l’esprit du prince », « former son comportement », « l’accompagner dans l’exercice du pouvoir » ?   La réflexion, sans négliger les héritages du XVIe siècle, se concentre sur le Grand Siècle et sur l’époque des Lumières, du règne d’Henri IV à celui de Louis XVI. De manière étonnante, l’auteur ne présente pas les sources qu’elle a pu consulter. Des documents manuscrits et imprimés ont notamment été utilisés : correspondances, mémoires, traités divers, etc.

« Le choix des hommes »

La première partie revient sur les personnalités chargées d’éduquer les princes. Le chapitre inaugural, usant d’une expression anachronique, est intitulé : « concevoir les équipes ». Après les premières années avec des femmes, vient pour les princes le « passage aux hommes », à l’âge de 7 ans. Pascale Mormiche expose très bien la « double structure » en vigueur sous les deux derniers siècles de l’Ancien Régime. D’un côté, le gouverneur est « l’homme qui explique l’étiquette, enseigne les attitudes liées à la fonction du prince et les usages de la Cour ». De l’autre, le précepteur est chargé de cultiver l’esprit de l’enfant et d’en faire un bon chrétien   . Avec eux, d’autres figures, plus ou moins nombreuses selon les époques, interviennent au service du jeune prince : sous-gouverneurs, gentilshommes de la manche   , sous-précepteurs et autres maîtres.

L’auteur passe en revue les gouverneurs et précepteurs successifs, avant d’analyser en détail leurs réseaux et leurs carrières   . Elle s’attarde notamment sur l’éducation exemplaire de Louis, Grand Dauphin (1661-1711), qui meurt finalement avant son père, Louis XIV. Autour du prince, on croise Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier (1610-1690, gouverneur à partir de 1668, Octave de Périgny (1625-1670) et Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), précepteurs, et leurs adjoints, parmi lesquels il faut surtout citer l’érudit Pierre-Daniel Huet (1630-1721). Les « instruments » de l’éducation du Grand Dauphin forment un ensemble considérable. À l’attention de son protégé, Bossuet rédige un Catéchisme, un Traité de la connaissance de Dieu, un Abrégé de l’histoire de France, une Logique, une Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte, une introduction à la philosophie ! Dès 1668, naît le projet, commun à Montausier et à Huet, de publier, « ad usum Delphini », les principaux auteurs latins en prose et en vers. Les premiers volumes paraissent en 1674. Il n’est pas sûr cependant que le fils de Louis XIV ait été réceptif à tout cet arsenal pédagogique   . Pascale Mormiche revient aussi sur l’éducation de Louis, duc de Bourgogne, petit-fils du Roi-Soleil, décédé dès 1712. On y retrouve le grand Fénelon (1651-1715), précepteur du prince à partir de 1689, auteur du Télémaque, véritable traité d’éducation morale et politique   . Au XVIIIe siècle, la Cour est confrontée aux grands débats sur l’éducation. À cet égard, les années 1760 sont décisives, avec la parution de l’Émile ou de l’éducation de Jean-Jacques Rousseau (1762), et de l’Essai d’éducation nationale (1763) de Louis-René de Caradeuc de La Chalotais   . Sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, l’éducation princière peine à se renouveler, tout en devenant un objet de réflexion et de contestation publiques   . L’heure des changements a sonné !

L’éducation princière : méthodes et contenus

Après cette présentation chronologique, Pascale Mormiche développe, dans ses deuxième et troisième parties (« L’éducation princière au quotidien », puis « La science du prince »), une approche thématique de son objet d’étude. Après un utile chapitre sur « le temps et les lieux de l’éducation », l’auteur se concentre sur les « moyens et les méthodes » éducatifs. On lira avec un intérêt tout particulier les pages consacrées à l’apprentissage des repères chronologiques   , ou à l’usage des images   . Les punitions corporelles sont également abordées. L’auteur rapporte notamment les brimades subies par le Grand Dauphin, en août 1671. Le prince, qui a manqué un mot dans l’oraison dominicale, reçoit coups de poing et de férule du gouverneur Montausier. Selon le récit du valet Du Bois, au terme de cette scène mémorable, le jeune Louis « a les mains toutes violettes et quatre ou cinq meurtrissures au bras gauche » dont il porte les marques pendant un mois   .

Au XVIIe comme au XVIIIe siècle, l’éducation princière s’articule autour de plusieurs objectifs. Le prince se doit d’abord d’être pieux et de connaître parfaitement l’histoire sainte. De ce point de vue, l’éducation du jeune Louis XIV, sous la direction de Paul-Philippe Hardouin de Beaumont de Péréfixe (1605-1671), demeure exemplaire   . Les précepteurs sont également convaincus que l’histoire et la morale apprennent aux princes à gouverner. Dès le XVIIe siècle, l’apprentissage de l’histoire ancienne est réduit au profit d’une lecture d’épisodes plus récents. Le Grand Dauphin comme le duc de Bourgogne sont amenés à « rédiger » quelques-unes des pages de l’histoire de France   . Au XVIIIe siècle, si l’usage du latin est en recul, les références à l’Antiquité ne sont pas abandonnées, bien au contraire   . On attend également du prince éloquence, goût pour la « gloire » et munificence. Cela suppose une solide formation militaire mais aussi un apprentissage de savoirs tels que les mathématiques ou la géographie. L’enseignement de cette dernière discipline a profondément marqué le jeune Louis XVI   . Il s’agit enfin de rendre les princes sensibles au pouvoir de l’art   .

Au terme de cet ouvrage, on comprend mieux « l’univers social et intellectuel » qui entoure les princes   . À l’image des décennies qu’elles traversent, les théories et les pratiques éducatives évoluent. L’auteur note ainsi, dans sa conclusion, que « l’éducation princière semble en crise à partir du milieu du XVIIIe siècle »   . Même s’il tombe parfois dans l’impressionnisme, en multipliant les exemples et les anecdotes truculentes sans toujours les relier par un fil conducteur problématique, le livre de Pascale Mormiche, doté d’un index et de notes substantielles   , constitue une synthèse de qualité sur une question beaucoup moins anodine qu’il n’y paraît, tant elle véhicule des enjeux politiques majeurs pour l’histoire de la France moderne