Un très bel ouvrage qui garantira de belles découvertes aux cinéphiles et  passionnera ceux qui ne le sont pas encore.

Sixième réédition d’un ouvrage paru pour la première fois en 1994, le livre de Vincent Pinel se présente comme un panorama complet du Septième Art, depuis les prémisses de son dispositif technique (camera obscura, lanterne magique, dispositifs optiques, et bien sûr la mise au point du cinématographe Lumière à la fin du XIX° siècle). Il ne s’agit cependant pas d’un dictionnaire exhaustif ; pour chaque année à partir de 1895, sont présentés : le contexte historique ; les films les plus importants, évoqués en quelques lignes ; une poignée d’articles plus longs pour souligner un aspect marquant de l’évolution du cinéma ; enfin, des "brèves" ainsi que des "Echos" qui aménagent une bonne part aux aspects techniques de l’histoire du cinéma, ainsi qu’à ses croustillantes anecdotes (par exemple, comment D.W. Griffith pouvait mettre à profit les déboires amoureux de Mary Pickford pour obtenir de l’actrice les larmes qu’il désirait   , ou encore l’astuce « napoléonienne » d’Eisenstein pour galvaniser la foule de ses figurants sur le tournage de Potemkine – astuce consistant à réprimander par mégaphone un nom pris au hasard, de sorte à provoquer dans la masse des figurants l’illusion qu’aucun d’entre eux n’échappait à l’œil aiguisé du metteur en scène   , etc.
Le choix des films présentés ne révolutionnera pas l’historiographie du cinéma : il met d’avantage l’accent sur les longs métrages occidentaux ; ce que l’auteur justifie, non sans raison, en affirmant que, si son choix est "lié aux sorties parisiennes", "peu de films essentiels échappent à une reconnaissance parisienne, commerciale ou non"   . Le contenu de cet ouvrage semble donc à première vue assez proche de celui de certaines sommes historiques sur le cinéma, comme celle de Georges Sadoul notamment – lequel fut justement le professeur de Vincent Pinel à l’IDHEC. Où réside alors l’originalité du Siècle du cinéma ? Tout d’abord dans la diversité des différentes sources d’information : l’association des photos, des textes critiques et des données historiques compose, sur un nombre réduit de pages pour chaque année, un assemblage considérable d’informations que les typographies ordinaires – universitaires – ne permettent pas. Mais l’ouvrage de Pinel se distingue surtout par le "regard contemporain" qu’il a "résolument" adopté    : il se clôt sur l’année 2008, mais s’ouvre sur les films présentés au festival de Cannes en 2009. Les films récents occupent donc une place non négligeable, comme le souligne le découpage, assez inhabituel, des différentes périodes de l’histoire du cinéma. L’auteur en distingue huit.
La première, intitulée "Avant le cinéma" constitue une forme de prologue. En parallèle avec l’exposition de la Cinémathèque française   , l’auteur ne se contente pas de remonter aux expériences de Marey et Muybridge, mais rappelle tout ce qui préfigure le cinéma : bien avant la lanterne magique, il remonte jusqu’à Lucrèce et Platon (le mythe de la Caverne).

La deuxième, intitulée "Les merveilleuses photographies animées" (1895 – 1908), commence avec la véritable invention du cinéma, c’est-à-dire la projection "sur un écran de photographies en mouvement de longue durée"   , qui s’effectue avec la fabrication par les frères Lumière de l’appareil appelé "cinématographe". On retrouve ici l’intérêt que porte Pinel à Louis Lumière, non seulement en tant qu’inventeur, mais plus encore en tant que premier véritable cinéaste, au sens fort du terme.   . Dès sa naissance, le septième art est l’objet de conflits, autour d’enjeux techniques, financiers ou symboliques : ainsi l’éprouvante bataille juridique organisée par Edison pour s’approprier la paternité du nouvel art ; ou encore l’opposition entre sa conception du cinéma comme objet individuel de vision (dans les fameux kinétoscopes), et celle de Lumière qui permet et instaure la pratique collective de la projection. A côté de ces figures célèbres, l’ouvrage nous fait également découvrir des hommes aujourd’hui un peu oubliés, comme Emile Reynaud par exemple, précurseur – avant même 1895 – du dessin animé.
Vient ensuite une période placée sous le signe de "La musique des images" (1909 – 1929). Le cinéma se constitue alors en tant qu’art à part entière, et part à la conquête de son "langage" propre ; distinct des "vues" d’inspiration photographique et des "tableaux" qui payaient un lourd tribut au théâtre, apparaît le plan, unité fondamentale du film, relié à d’autres plans par le montage. Avec D.W. Griffith surtout, la création des films peut se faire autour d’une idée, et non plus simplement d’une histoire à raconter : Intolérance (1916) notamment, film où le montage entremêle quatre histoires situées à des époques différentes autour du thème du "combat de l’amour contre l’intolérance à travers les âges", influencera durablement Eisenstein – lequel s’en inspirera pour son film à la gloire de la révolution soviétique, Octobre (1927).
Pinel insiste sur l’aboutissement artistique auquel parvient le cinéma muet – qui n’est nullement à considérer comme un art incomplet attendant le son – citant de nombreux chefs-d’œuvre à l’appui, parmi lesquels Les Rapaces de Stroheim (1925), L’Aurore de Murnau (1927), La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer (1928)… Cependant, Pinel affirme plus loin qu’en relatant un procès en une composition d’images dominée par les gros plans de visage, ce dernier film "appelle curieusement le cinéma sonore"   , affirmation que l’on peut discuter. Toujours est-il que cet aboutissement artistique du cinéma muet dans les années 1920 justifie l’apparition des premiers ciné-clubs et des premières théories de l’art cinématographique, processus dans lequel le cinéaste et critique Louis Delluc a joué un rôle déterminant.

A partir de 1930, "Le cinéma prend la parole" (1930 – 43). La généralisation du parlant s’accompagne de la codification des grands genres hollywoodiens : la comédie sophistiquée illustrée notamment par les films de Leo McCarey (Cette sacrée vérité, 1937) et Ernst Lubitsch (Haute Pègre, 1932), la comédie musicale où brille le couple formé par Fred Astaire et Ginger Rogers, le film de gangsters qui s’impose avec des films comme Les Nuits de Chicago (Von Sternberg, 1929), L’Ennemi Public (Wellman, 1930) ou encore le premier Scarface réalisé par Howard Hawks (1932). A l’étranger, on reprend ces différents genres, mais apparaissent aussi des talents singuliers, comme Jean Vigo en France. Le studio system n’empêche cependant pas l’émergence aux Etats-Unis de créations originales. Le début de la Seconde Guerre mondiale est emblématique à cet égard, puisqu’il voit la sortie à la fois d’Autant en emporte le vent (1939), "apogée du film de producteur" et de Citizen Kane (1941), "monument du cinéma d’auteur"   . On peut tout de même être moins catégorique que Pinel au sujet de Citizen Kane, qui n’est pas à ce point un parangon du "film d’auteur" : c’est aussi une véritable œuvre de studio, qui a bénéficié du concours de nombre de techniciens chevronnés de ce système, et qui a même bénéficié de la reconnaissance du dit-système puisqu’il a été récompensé par un Oscar. Mais la manière révolutionnaire dont Welles reprend les techniques traditionnelles comme le fondu enchaîné, ainsi que son utilisation, inhabituelle à l’époque, de la contre-plongée et d’une focale courte, font véritablement de ce film une "fascinante leçon de cinéma qui ouvre la voie au cinéma moderne"   .
On pourrait donc s’attendre à ce que Vincent Pinel fasse commencer la période suivante, "La rue et le studio" (1944 – 58), en 1941, ou bien en 1945 avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale.  Mais le découpage adopté se révèle bien plus pertinent ; car à partir de 1944 et des premières victoires importantes des Alliés apparaît une tendance de fond, plus largement suivie que la révolution éclatante et singulière opérée par Welles : la volonté de saisir les conséquences du conflit, comme dans les œuvres fondatrices du néoréalisme italien, "moins une école qu’un état d’esprit nouveau"    : Rome Ville ouverte en 1945, Paisa en 1946, Allemagne année zéro (ces trois derniers films étant réalisés par Rossellini), et Le voleur de bicyclette (De Sica) en 1948. S’amorce alors une période marquée par une tension particulière entre deux directions distinctes de l’art cinématographique : d’un côté la volonté d’approcher le réel au plus près, à l’œuvre par exemple dans les premiers films de Luchino Visconti (La Terre tremble, Ossessione) ; de l’autre, l’apothéose de l’artificiel merveilleux des studios avec, entre beaucoup d’autres, Tous en scène de Minnelli (1953), à la fois "apogée" et "déclin" de la comédie musicale. Le système des studios commence à se lézarder, et avec lui la division en grands genres ; on commence aussi à découvrir des films non-occidentaux, japonais notamment, comme le montrent les prix de grands festivals européens accordés au Rashomon de Kurosawa (1950) et aux Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi (1953).
Ces coups portés au système hégémonique des studios amorcent une nouvelle période : "Vagues nouvelles, nouveaux cinémas" (1959 – 75). Les années 1959 et 1960, avec Les 400 coups de Truffaut et A bout de souffle de Godard, marquent l’émergence de la Nouvelle Vague, un "phénomène" et non une "école"   , qui s’insurge contre "l’artisanat" des réalisateurs de la "Qualité française" et lui oppose la notion d’auteur de films. Ce mouvement a des répercussions sur d’autres continents : Cinema Novo au Brésil, émergence d’un cinéma africain avec notamment la description de la nouvelle bourgeoisie noire par Ousmane Sembène au Sénégal (Le Mandat, 1968), tandis qu’à Hollywood s’affirment des cinéastes plus indépendants (Coppola, Kubrick…).

La chute de la fréquentation des salles hante la période suivante, "Des écrans petits et grands" (1976 – 1990).  Les "majors" américaines, dirigées non plus par des passionnés de cinéma tyranniques comme les légendaires Selznick et Zanuck de l’âge classique, mais par des "hauts financiers anonymes"   , construisent un nouveau système afin de lutter contre la concurrence de la télévision. Certains reprennent alors au grand écran les recettes lucratives du petit, comme le "style clip"   à l’œuvre dans les films "néoformalistes" de Jean-Jacques Beineix ou Luc Besson. Mais cette période voit aussi apparaître de véritables créateurs : Martin Scorsese qui, de Taxi driver (1976) aux Affranchis (1990), reprend et déconstruit le film criminel tout en lui donnant une force nouvelle, Wim Wenders, Maurice Pialat…
 L’apparition des multiplexes marque le début de "Salles nouvelles, nouveaux sons, nouvelles images" (depuis 1991) : cela amène un renouveau, qui ne met certes pas à l’honneur le cinéma non-commercial, mais qui favorise aussi par contrecoup (et système de redistribution) l’émergence des salles d’art et d’essai. En France, l’intervention de l’État dans le domaine du cinéma accrédite l’idée que ce dernier constitue un patrimoine culturel à protéger, et un secteur de création à encourager dans toute sa diversité. Des cinéastes venus d’ailleurs, tels que le Taïwanais Hou Hsiao Hsien avec Les Fleurs de Shanghai ou l’Espagnol Almódovar avec Tout sur ma mère en 1999, acquièrent une reconnaissance internationale. Le principal enjeu d’avenir semble désormais être le passage au numérique, déjà bien amorcé, qui ne constitue pas une simple évolution technique mais comporte d’importantes conséquences sur la manière de concevoir et de recevoir les films. "Les jours du film [pellicule] en tant que support semblent comptés"   mais cela n’altère pas l’essentiel de ce qui constitue depuis toujours la matière de l’expression cinématographique : "l’alliance délibérée de sons et d’images animées présentées sur un écran"   .
    On peut ne pas adhérer totalement à cette thèse qui constitue un fil conducteur de l’ouvrage, et chaque lecteur, animé par ses propres goûts, pourra bien entendu discuter tel commentaire proposé pour tel film, surtout pour la période la plus récente ; ainsi, The Queen a beau être signé par Stephen Frears, on peut hésiter à le qualifier de "fascinant portrait"   . Surtout, on peut reprocher le manque de théorie à l’intérieur de cet ouvrage : André Bazin est évoqué   comme un important "écrivain de cinéma", et comme un grand animateur de ciné-clubs, mais le contenu propre de sa pensée sur le cinéma n’est pas expliqué. Reste que si l’on accepte la démarche proposée par Vincent Pinel, qui consiste à s’appuyer avant tout sur les films, saisis au prisme d’une grande érudition cinéphile, ce très beau livre promet de multiples découvertes et assure un profond agrément de lecture.