Une anthologie de textes féministes pionniers des années 1970 qui donne un accès direct à la dynamique et au foisonnement créatif du mouvement.

Ce recueil a été composé par quatre anciennes protagonistes du Mouvement de Libération des Femmes qui ont également publiés de nombreux ouvrages sur le sujet : Cathy Bernheim, Liliane Kandel, Françoise Picq et Nadja Ringart. Elles présentent en six chapitres des textes rédigés dans les tout débuts du mouvement féministe français. L’ouvrage s’ouvre par une mise en garde humoristique contre les stéréotypes colportés au sujet du mouvement – que ce soit l’histoire des soutiens-gorges brûlés sur la place publique ou des fantasmes de violence envers les hommes et de toute-puissance des femmes. Plus loin, on trouve de nombreuses précisions sur les auteures des articles parus anonymement dans les revues féministes de l’époque et des mises au point sur des événements litigieux de l’histoire du MLF. Les textes sont accompagnés de courtes notes de bas de page qui resituent et restituent  l’auteure ou les auteures de ces “ textes premiers ” qui sont, en fait, ceux qui ont porté les idées pionnières du mouvement féministe des années 1970.
Les titres des six chapitres reprennent des slogans assassins et drôles : “ Un homme sur deux est une femme ! ” ; “ Prolétaires de tous les pays… qui lave vos chaussettes ? ” ; “ Une femme c’est fait pour souffrir ” ; “ Un mouvement complètement à créer ” ; “ Notre corps nous appartient ” ; “ Sisterhood is Powerful ”. L’ouvrage est découpé de manière harmonieuse, excepté le cinquième chapitre, qui aurait mérité d’être scindé en deux parties distinctes pour redonner du souffle à la lecture. Des encarts chronologiques rappellent les dates clefs des débuts du MLF, des luttes et des acquis concernant les droits civils, l’avortement ou le viol. Certains chapitres développent les discussions au sujet des sexualités, en particulier de la légitimité des lesbiennes et du plaisir des femmes. Des inserts tout au long de l’ouvrage précisent le contexte, le sens des revendications et des réunions, explicitent les désaccords, redonnent les clefs pour comprendre les textes. On assiste à un véritable choix, probant, de la part des auteures, qui fait sens en raison tant des précisions historiques nécessaires à diffuser (les participantes sont les mieux placées pour opérer cette transmission) que de leurs liens évidents avec l’actualité. En effet, on comprend l’intérêt actuel de nommer les facteurs qui déclenchent des résistances et les moyens mis en place pour lutter collectivement afin de rendre le monde plus vivable pour les femmes – et de manière générale pour les générations suivantes. Ainsi, retracer les prises de conscience menant à des luttes contre le travail domestique gratuit ou aux grrrrr-rêves des femmes (terme magnifique qui souligne l’inventivité langagière féministe) effectives dans plusieurs usines, sont de véritables laboratoires d’apprentissages de résistances collectives.

L’ouvrage nous happe par sa richesse et la dynamique des pensées en cours d’élaboration. Même si d’autres livres permettent de saisir l’ensemble du mouvement, on regrettera que les présentations synthétiques n’aient pas été plus développées par les auteures de l‘ouvrage. Une courte introduction aurait aidé à mieux appréhender ces textes, surtout pour des lecteurs/lectrices novices en la matière. De même, le choix de garder les multiples supports de diffusion des idées féministes peut sembler brouillon au premier abord, mais, en réalité, il reflète au final très bien la dynamique de mise en place du mouvement féministe français de la seconde vague.
Bref, la reprise de ces textes reste efficace, aussi bien pour l’historienne de l’art féministe qui a déjà lu toutes ces revues, à la recherche des moindres bribes d’informations sur le mouvement des femmes en art, que pour tous ceux et celles qui voudraient s’intéresser au sujet. Le recueil se lit, facilement, avec grand intérêt. Les auteures tissent un patchwork d’articles, de tracts, de témoignages, de poèmes, de chansons, accompagnés de quelques reproductions en noir et blanc d’affiches et de bandes-dessinées humoristiques qui donnent une idée du bouillonnement du mouvement.
Puissent ces “ textes premiers ” ouvrir la voie à un renouveau de la puissance créatrice qu’ils ont déclenchée, catalysée. Cela semble d’ailleurs être le souhait des conceptrices de l‘ouvrage qui soulignent simplement que “ tous veulent changer quelque chose à l’ordre du monde et transformer les bases des relations entre les sexes, entre les genres, entre les gens ”   . Elles affirment aussi, dans la postface, vouloir rendre accessible au plus grand nombre les actions et réflexions méconnues du mouvement, pour répondre aux demandes des jeunes générations aux prises aux reconversions économiques qui tendent à renvoyer les femmes à la maison (auxquelles on pourrait ajouter bien d’autres luttes actuelles, telles celles des transsexuel.le.s pour faire reconnaître l’identité qu’ils et elles ont choisie, celles contre la réassignation de genre chez les enfants ou, encore, celles des femmes vivant dans des banlieues défavorisées). On connaît en effet les effets violents des restructurations et des destructions des acquis sociaux par les politiques actuelles et l’urgente nécessité de contrer les pseudo-réformes dévastatrices par d’autres politiques – auxquelles les féminismes appartiennent de plain-pied, car les femmes, rappelons-le, restent les humains les plus pauvres de la planète et les droits qu’elles ont acquis sont sans cesse remis en cause

 

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© Crédit photo : 2009 K. Sawyer Photography – Creative Commons, flickr.com