Le livre d’Agnès Aflalo est une critique acerbe du mouvement de répudiation visant le psychanalyse d’inspiration freudienne, mis en évidence dans la démarche de l’amendement dit Accoyer, qui a été voté à l’assemblée le 8 octobre 2003. Elle revient sur ce moment inédit où pour la première fois, les psychanalystes occupent la place publique et défendent leurs idées de manière collective. Elle répond avec virulence aux torts faits à la psychanalyse, profitant pour nous éclairer, non sans humeur, sur ces enjeux principaux et ses divergences avec les TCC.

Après la lecture du livre d’Agnès Aflalo, on ne peut faire qu’un constat : la psychanalyse d’inspiration freudienne est en guerre. On pourrait parfois croire que l’auteur se laisse emporter par son imagination et construit une thèse du complot qui vise la disparition de la psychanalyse elle-même dans la tradition freudienne et le formidable élan qu’a constitué l’enseignement d’un certain Dr Jacques Lacan. Et pourtant, de nombreux faits sont là pour appuyer chacune de ses accusations, convenablement datés dans le temps et l’espace, l’identité de la plupart des intervenants, leur rôle dans le conflit qui les opposait, ainsi que leurs différentes appartenances n’étant plus un mystère ou une rumeur de couloir. 

 

D’octobre 2003 à Pâques 2004, a eu lieu ce qu’A. Aflalo appelle l’assassinat manqué de la psychanalyse. Tout cela a commencé lors du vote, le 8 octobre 2003, de l’amendement dit Accoyer, qui "prétendait imposer une réglementation de l’exercice des psychothérapies mais sans concertation préalable" mais qui en vérité "constituait une menace pour l’avenir de la psychanalyse"   . Il s’agit d’un moment "historique et inédit"   , sur lequel le livre d’A. Aflalo revient sans langue de bois. "Ce moment vaut la peine d’être élucidé car la psychanalyse est un bien public et elle mérite de le rester". Il s’agit donc "d’éclairer ce moment historique et d’en préciser les enjeux"   . Pour ce faire, l’auteur revient sur l’origine de la psychanalyse née en Europe, au début du XX siècle, qui n’a  cessé "de donner naissance à une kyrielle de psychothérapies. La plupart d’entre elles n’ont retenu qu’un bout de la psychanalyse. Elles prétendent pourtant comme elle, au sérieux de leurs élucubrations théoriques (…) La renommée de la psychanalyse a profité aux psychothérapies qui en dérivent, et c’est au point que la psychanalyse a fini par être victime de son succès. (…) Les psychanalystes n’ont pas su voir à temps le phénomène ou (…) ils n’ont pas su tirer les conséquences nécessaires pour orienter leurs actions"   . Jusqu’en 2003 l’exercice des psychothérapies n’avait jamais été réglé, bien qu’ "aucun incident grave n’ait encore défrayé la chronique, la raison pour laquelle ce vote n’avait pas donné lieu à une concertation préalable est restée obscure".  

En quoi ce moment s’est-t-il avéré comme étant à la fois "historique et inédit" ? D’une part, il y a eu la volonté clairement affichée de l’Etat de réguler de manière autoritaire l’exercice des psychothérapies, c'est-à-dire sans la concertation des principales associations professionnelles concernés, ce qui constitue sans doute une atteinte à la pratique de la psychanalyse sans précédent en France. "Quelle était donc cette urgence – note pertinemment A. Aflalo – de combler ce vide juridique ?". D’autre part, parce que ce déplacement juridique à donné lieu à la plus importante contre-offensive des psys de tous bords mais essentiellement d’inspiration freudienne, mouvement qui au lendemain du vote du dit amendement se choisit un leader sans conteste, le gendre du Dr Lacan, M. Jacques Alain Miller. Celui-ci s’est donné la tâche de coordonner le droit à la réplique dans une série de mobilisations de psys de tous bords. A. Aflalo note que fin novembre 2003, plus de trois mille personnes étaient signataires de la pétition demandant le retrait de l’amendement.  

L’auteur nous livre d’abord un rapport détaillé des batailles par ordre chronologique, sur le plan juridique et sur le plan éditorial. Elle revient sur le "plan d’action Cléry-Melin", qui est passé inaperçu, selon lequel "il était prévu que les psychiatres deviennent des coordinateurs régionaux et décident autoritairement quel psy un citoyen devrait pouvoir consulter"   . Elle dénonce la pathologie de la démocratie   qui a permis cette dérive autoritaire et qui aurait porté tort sans doute à la population souffrante qu’il s’agissait de protéger. Quelles sont les garanties d’un bon thérapeute et qui peut en décider ? L’Etat semble ignorer que les sociétés psychanalytiques s’autorégulent depuis leur origine, elles dispensent des formations et ont des dispositifs qui ont fait leur preuve qui leur permettent de "garantir" ceux qui choisissent librement de se former.

A la mi-décembre 2003, le ministre de Santé, Dr Mattei, recevait successivement les principales associations de psychanalyse, puis les psychologues et les psychothérapeutes. "Le ministre offrait aux psychanalystes de retirer la psychanalyse du champ d’application de l’amendement en échange de la remise de leurs annuaires". "Faire passer la psychanalyse sous le contrôle d’un ministère (…) était une mesure inacceptable. Au nom de l’Ecole de la Cause freudienne, sa présidente, Lilia Mahjoub, refusa de souscrire à cette procédure. Ce fut le cas aussi d’Elisabeth Roudinesco qui fit savoir qu’en revanche, les représentants des plus puissantes sociétés psychanalytiques y consentaient"   . A partir de cet instant les psychanalystes qui avaient oublié pour un moment leurs différends se sont divisés à nouveau, les uns désignés en "bon lacaniens" les autres en "charlatans" par Daniel Widlöcher. Il s’agit d’une dispute qui date de 1963, lorsque le différend sur la séance à durée variable avait valu au Dr Lacan son excommunication de l’IPA.(International Psychoanalytic Association)
"Pour la première fois en France, l’Etat décidait de s’immiscer dans un débat entre sociétés savantes sans en avoir la compétence".   Dès lors que l’Etat se mêle ainsi de la régulation de l’exercice de la psychothérapie, ainsi que de la régulation des membres de sociétés savantes, un seuil de tolérance est franchi. Il n’est plus question d’un débat interne entre sociétés savantes, mais de la place et la portée de la psychanalyse freudienne dans la société tout court.

Le livre d’A. Aflalo est l’histoire de la place qu’a occupé ce débat dans la société française. Son mérite principal est de relayer les propos de tous ceux qui ont pris la parole au nom des psychanalystes freudiens pour occuper une place qui leur revient de droit dans la tribune publique. Elle témoigne ainsi du combat de tous ceux qui se sont retrouvés pour tout d’abord défendre le droit des citoyens à choisir en toute liberté le thérapeute selon le transfert et l’éthique qui convient à chacun.
Elle nous livre également les sources bibliographiques nous permettant de reconstituer une chronologie détaillée des événements ; ainsi qu’un nombre impressionnant d’articles documentés qui procèdent à une minutieuse analyse "du malaise auquel nous avons eu alors affaire".  

Elle s’attarde considérablement sur le programme théorique de Daniel Widlöcher et "la psychanalyse scientifique qu’il réclame de ses vœux"   , passant en revue ses différents ouvrages, citations à l’appui, pour nous démontrer la révision qu’il accomplit de toutes les notions fondamentales de la psychanalyse : l’inconscient, le symptôme, la pulsion, la répétition… Elle montre en quoi cette révision porte atteinte aux fondements mêmes de cette discipline, et contribue à un aplatissement et appauvrissement théorico-clinique  qui aurait scandalisé le maître viennois : "Mus par une extrême méfiance à l’égard de la puissance des désirs humains […], les psychanalystes sont prêts à tout sacrifier pour parvenir à un fragment de certitude objective. Ils emploieront les méthodes de l’enquête scientifique uniquement pour s’en servir d’échelle, et s’élever au-dessus de la science. Malheur, s’ils arrivent à monter à une telle hauteur !"  

A. Aflalo rend compte du mouvement éditorial puissant destiné à discréditer la psychanalyse qui a cru infliger un dernier coup de grâce avec la publication d’un livre noir des reproches au père de la psychanalyse   , appuyé sur la prétendue scientificité d’un rapport de l’Inserm sur l’efficacité de la psychanalyse.  La contre-offensive est venue avec l’apparition un an après de l’Anti-livre noir de la psychanalyse.  

Elle s’acharne à démonter cette idée neuve qui serait "le droit au bonheur" que résume l’invention de la "santé mentale", mais qui ne protège pas des "dérives sécuritaires" ni de "l’obscurantisme hygiéniste". A. Aflalo veut prouver que "Le nouveau moralisme qui entend faire main basse sur les libertés du citoyen par la psychiatrisation forcée de notre société trouve (…), le renfort d’une bureaucratie aveugle qui impose dans tous les secteurs de la société la machine de l’imposture de l’évaluation".  

Nous voici livré le récit polémique d’une véritable croisade pour défendre la psychanalyse freudienne contre ses nombreux détracteurs soutenus par "une poignée de législateurs", conseillés en outre par "une poignée d’universitaires titrés acquis aux TTC". A. Aflalo prête à ce livre un ton délibérément acerbe qui fait sa faiblesse et sa force. D’une part, le ton de revendication et l’acidité des remarques peuvent déranger le lecteur et le mener parfois à se désolidariser d’une cause juste qui prône un parti résolu. Mais en même temps le parti pris a le mérite d’être clairement détaillé, les propos exposés sont consistants, des nombreux faits et démonstrations cliniques viennent à l’appui, l’énumération d’une pléthore d’intellectuels et de libres penseurs confirment le pari qui a mobilisé pendant des mois tous les acteurs d’un débat bouleversant sans précédent.  

Il s’agit ici de défendre l’éthique de la psychanalyse d’inspiration freudienne, éthique qui constitue sa force en tant que pratique et qui la différencie d’autres psychothérapies. Cela équivaut à soutenir sans équivoque l’hypothèse de l’inconscient, ainsi que la thèse principale qui soutient l’inconscient structuré comme un langage. Contre le discours de l’évaluation qui prétend réduire le symptôme au silence, seule la psychanalyse peut lui donner sa dignité et délivrer le sujet du poids qui leste sa parole. 
Bernard-Henry Lévy commence la préface ainsi : "il fallait que ce livre fut écrit". On ne saurait mieux faire que conseiller sa lecture à tous ceux, partisans ou non de la psychanalyse, étudiants, analysants, qui souhaitent tirer au clair l’importante bataille que la psychanalyse d’inspiration freudienne dans l’orientation du Dr Jacques Lacan vient de remporter. Ce livre revient sur les attaques qu’a reçu cette discipline et éclaire sur les notions fondamentales dans un langage limpide que les profanes sauront apprécier.