L'ouvrage de Philippe Moreau-Desfarges se veut un travail de synthèse et de questionnement sur les grands enjeux d'hier et de demain : mondialisation et culture, multilatéralisme, paix démocratique. Si l'ouvrage présente quelques insuffisances, il n'en est pas moins une tentative séduisante de distinguer les fantasmes et les espoirs d'aujourd'hui : puissance, multiculturalisme, identités et extrémismes. Il permet alors de s'interroger, au-delà de l'opposition entre paix et guerre, sur la naissance des crises internationales.

La paix ou la guerre ? La guerre et la paix ? La scène internationale est un espace aux enjeux complexes, dans lequel s’affrontent les grandes tendances de l’histoire. La sphère médiatique, souvent, s’emballe, multiplie les confusions. L’actualité est une suite d’évènements. Les phénomènes paraissent nous dépasser. L’ouvrage de Philippe Moreau-Defarges vient alors à point nommé pour poser ou reposer de grandes questions en permanence sous-jacentes à l’actualité et établir dans le prolongement de ses analyses, quelques pistes de réflexions. Différentes thématiques, "La démocratie, pacifique ou belliqueuse ?". "Le réveil de la Chine peut-elle faire trembler le monde ?". "Le Grand Moyen Orient, grand baril de poudre planétaire ?", "Les droits de l’homme : vers une humanité forcément meilleure ?", entre autres, jalonnent alors un questionnement d’ouvrage qui tente d’éclairer les vicissitudes récentes de l’histoire, au mieux une profondeur historique aux évènements. La paix, une simple utopie ? Mais cette entreprise est-elle commune ? Dans le prolongement des deux grandes catastrophes que furent la Première et la Deuxième Guerre Mondiale, au-delà, en apparence, des clivages de la Guerre Froide, le monde en ce début de XXIè siècle tente enfin de vivre et de grandir à la recherche de plus de cohérence et d’équilibre, à la recherche du temps perdu. Cependant les tensions et les contradictions sont encore vives.


Philippes Moreau-Defarges trace alors, patiemment, un cheminement de questions et de réponses, à l’échelle des Etats et à l’échelle des peuples, pour mieux comprendre le monde multipolaire d’aujourd’hui. La construction de l’ouvrage en question est prometteuse. D’abord sont abordées les grandes questions éternelles de la scène internationale, et comment ces "grandes sœurs" se construisent mutuellement et historiquement au cœur de l’affirmation des Etats, de l’avènement des nations, et celui, tout autant douloureux, de la démocratie. Ensuite, sont mises en perspective les positions des grandes puissances et celle, tout aussi troubles, des petites ambitieuses, dans le contexte de leurs histoires. Enfin, l’ouvrage n’oublie pas de dresser un tableau des enjeux d’aujourd’hui : les droits de l’homme, la place des femmes, le multiculturalisme, la place et la faiblesse de l’ONU. Le propos recentre alors autant que possible le débat sur des thématiques plus générales : les effets de la modernité, le sillon des inégalités sociales, et donc plus précisément, les relations entre les sociétés occidentales et musulmanes, les effets économiques et techniques de la mondialisation sur la communication, la démocratisation comme modalité inachevée d’un idéal. Conclusion provisoire : "Le monde n’est pas moins conflictuel" et "la guerre reste à l’horizon des Etats".


La description est rapide, pour mieux poser les questions importantes et reprendre les évidences. Les cultures ne sont pas "antagonistes par essence" car elles ne sont pas "homogènes" et encore moins "figées sur elles-mêmes" mais au contraire, elles "s’interpénètrent et se transforment sans cesse" ; plus encore les nations ne sont pas "naturellement agressives" ; pourtant les territoires sont encore et toujours, au XXIè siècle, le refuge des peuples. Comment ? Si les frontières sont le plus souvent connues et reconnues, elles sont aussi des facteurs d’identité et d’identification, des zones de ressources  et d’abondance, et par conséquent, des facteurs de stabilisation autant que de déséquilibre du monde. Le propos est alors lucide, honnête. Il prend soin de replacer ces changements, une nouvelle fois, dans les lignes de continuité et de rupture de la globalité du monde : la recomposition de la souveraineté, devant la multiplication des centres de pouvoir, la persistance de zones ou de conflits périphériques, ou les nationalismes, les mafias, le radicalisme des religions dominent et divisent. Comment, le droit des peuples et de la démocratie, exigence des plus légitimes d’émancipation et de partage, sont autant d’éléments de trouble que de stabilisation du monde. Comment la raison d’Etat, principe propre à Richelieu ou Nicolas Machiavel, au centre des relations internationales depuis le XVIè siècle, prime toujours sur toute autre forme politique d’action.


Pourtant "le monde n’a jamais été aussi uni et socialisé par les hommes". La lucidité ne cède en rien à l’optimisme. Philippe Moreau-Defarges montre dans quelle mesure ces lignes de changement mises bout à bout favorisent des convergences, et des espoirs. Comment malgré tout, l’ensemble de ces facteurs et de ces changements contribue en fin de compte, à force d’erreurs et de tragédies cachées, à l’émergence d’une "société internationale". Certes, l’impuissance des Nations Unies est perpétuelle. Certes, de nouvelles menaces font leur apparition. Comment parler alors de la guerre et de la paix sans tomber dans le travers de l’optimisme humaniste et résolument aveugle, pas plus que celui du cynisme, souvent diplomatique ? "Paix impossible, guerre improbable", la formule  de Raymond Aron   , réussissait à exprimer, plus que toute autre, cette ambigüité terrible de la nature humaine et du système international. L’ouvrage pose donc un enjeu concret: "Le monde des années 2000 est-t-il plus apte à gérer les crises ?", et donne, avec concision, des éclairages sur la manière dont la haute sphère internationale repose et interagit avec les fondements socioculturels de nos sociétés, et la manière, enfin, dont la recherche de règles communes et l’institutionnalisation du monde restent le chemin le plus direct vers la paix.


On pourra reprocher à l’ouvrage de ne pas suffisamment pousser l’analyse sur des évènements ou des situations, dont on aimerait découvrir plus en détails les points de blocages ou de basculements. Notamment sur le bricolage des identités ou les dérapages des religions. A titre d’exemple : les rapports de l’Islam ou des "islamismes" avec les sociétés musulmanes, les sociétés occidentales ou la démocratie sont insuffisamment explorés, quand il aurait fallu prendre le temps d’interroger les rapports qui animent les religions, les traditions, et la politique, autant que le mythe de l’autre. Les évènements sont balayés, au rythme d’une plume vive et rapide, mais les analyses se révèlent alors trop rapides. On aurait également souhaité plus d’engagement de la part de l’auteur, pour que sa rhétorique ne soit pas seulement savante mais exprime aussi un positionnement. A la question, "Que pourrait être une vraie paix ?", Philippes Moreau-Defarges présente des lignes d’espoir : "les normes et les institutions planétaires", "les débats planétaires", "les solidarités planétaires", "les politiques planétaires", mais ne propose pas suffisamment, pour que l’on ne referme pas le livre avec une sensation étrange d’insatisfaction. L’ouvrage, notamment dans ses conclusions, se perd dans des conjectures philosophiques que l’on aurait attendues plus fermes, plus décidées, à l’heure ou l’attente de sens est aussi une attente de propositions concrètes.


C’est justement sur ce plan qu’on pourra reprocher à l’ouvrage de ne pas mieux se faire l’écho de toute une littérature en Relations Internationales, permettant de mieux comprendre le rapport entre réalité et théorie, entre construction politique et construction historique. Certes, des thèses connues sont exposées, Samuel Huntington et le "choc des civilisations", Francis Fukuyama et "la fin de l’histoire", ou encore George Sokoloff et la Russie "puissance pauvre". Certes, le livre évoque quelques grands débats des Relations Internationales : l’interdépendance et la théorie du "doux commerce", l’évolution du monde et "la paix démocratique", le projet de "paix perpétuelle" d’Emmanuel Kant. Mais la richesse de la réflexion actuelle sur les grands équilibres géopolitiques, en Relations Internationales aux Etats-Unis, et en Sociologie Politique de l’International en France, permettrait de rester moins vague sur l’usage des concepts et des références. Que signifie réellement la solidarité ? Comment se construisent les identités communes ? Comment se rapprochent les nations et les peuples ? Comment les discours sont-ils également des discours de façades ? A cet égard, une bibliographie à la fin de l’ouvrage aurait été bienvenue. Ne serait-ce que pour prendre l’initiative de trouver, de nous-mêmes, des réponses aux questions pertinemment posées.


Demain, la paix ou la guerre ? Les fantasmes des Etats sont aussi ceux des lecteurs. Si l’ouvrage ne pourra sûrement pas satisfaire un public habitués aux grandes questions des relations internationales, il en est une bonne introduction, et atteint son objectif –  certainement le plus important, celui de poser les bonnes questions, dans un ouvrage de synthèse globalement réussi