Plaidoyer pour une réflexion responsable sur la paix au Proche-Orient dans sa dimension internationale

Historien, ancien ambassadeur d’Israël en France, membre du camp de la paix depuis longtemps, Elie Barnavi n’envisage toutefois pas de jouer un rôle dans la politique. En revanche, il cultive une forme de dandysme intellectuel et distille à intervalle régulier ses analyses sur l’identité européenne, l’antisémitisme ou encore le conflit israélo-palestinien. Il y a donc toujours quelque chose à lire, des réflexions en prises sur l’actualité et un raison de les lire.

Pourtant, le dernier en date, Aujourd’hui ou peut-être jamais, dans lequel Barnavi exhorte le nouveau président américain à agir rapidement en faveur de la paix au Proche-Orient, n’apporte pas un éclairage nouveau sur le conflit israélo palestinien.

D’abord, parce que les seules lignes sur lesquelles la paix a une chance de se faire sont connues depuis près d’une décennie maintenant : création d’un Etat Palestinien à Gaza et en Cisjordanie évacués avec Jérusalem-est pour capitale, échanges de territoires de part et d’autre de la Ligne Verte sur la base du consentement mutuel, renonciation au "droit au retour" des réfugiés palestiniens en Israël contre aide massive à l’installation dans le nouvel Etat ou dans les pays d’accueil et quelques milliers de retours "humanitaires".
Ensuite, parce que la nature du blocage est connue. Côté israélien, le "camp de la paix" a été rendu muet par la seconde Intifada (2000) et les violences consécutives à l’évacuation du Liban et de la bande de Gaza (2005), ce qui rend impossible, ou du moins improbable, l’émergence d’un leader en prise avec cette tendance et disposant d’une large audience, surtout compte tenu de la fragmentation engendrée par le système électoral. Côté palestinien, l’Autorité Palestinienne, mise à genoux par la répression israélienne de la seconde Intifada et minée par la corruption, a perdu une très large part de son crédit auprès de la population palestinienne, ouvrant la voie au Hamas et à la division de fait en deux de l’entité palestinienne.
Enfin, parce que le travail de mise en perspective géopolitique auquel Barnavi se livre en replaçant le conflit dans le "Grand Jeu" proche-oriental est pertinent mais la tectonique des plaques en est toujours la même : les puissances en quête d’hégémonie régionale continuent de s’affronter via la cause palestinienne comme elles le font au Liban ; l’Iran, pour ne pas prêter le flanc aux soupçons de collusion avec les "sionistes" comme au temps du Shah, voire de l’antique Perse – aujourd’hui chiite - accusée d’être l’alliée des juifs contre les arabes sunnites, utilise le Hezbollah pour apparaître comme le champion de la cause palestinienne, ce qui lui permet de se gagner la "rue arabe"   , très au-delà de son audience naturelle, paralysant ainsi les Etats arabes ; les Etats-Unis, empêtrés en Afghanistan et en Irak, plombés par l’incroyable - et irresponsable - benign neglect avec lequel la question palestinienne a été traitée pendant huit ans et discrédités par la partialité pro-israélienne dont l’administration Bush a fait preuve, ne disposent que d’une très faible marge de manœuvre ; l’Europe, enfin, est reléguée dans un rôle de tiroir-caisse.

L’intérêt du livre ne réside pas non plus dans l’adresse au nouveau Président américain par lequel il se conclut. Comme avant lui Amos Oz dans Aidez-nous à divorcer !, Barnavi  conjure les Etats-Unis d’ouvrir les yeux des gouvernants israéliens sur un fait qu’ils semblent s’entêter à ne pas prendre en compte : ils croient pouvoir profiter du pourrissement du processus de paix qu’ils organisent sciemment, bien aidés certes par certains de leurs homologues palestiniens ! Or, la poursuite de l’occupation n’est pas seulement injuste vis-à-vis des Palestiniens. En dernière analyse, elle est aussi incompatible avec le projet sioniste originel qui se donnait pour but de construire un Etat juif ET démocratique. Si la Cisjordanie n’est pas rapidement évacuée, la création d’un Etat palestinien deviendra de facto impossible et Israël sera placé devant une alternative dont les termes sont inacceptables : soit il devra donner la citoyenneté à tous les palestiniens de la Cisjordanie annexée et alors Israël restera démocratique mais ne sera plus un Etat juif puisqu’en 2020, il y aura plus de non-juifs que de juifs entre la Méditerranée et le Jourdain, soit il refusera aux Palestiniens les droits politiques pour préserver son caractère juif, auquel cas Israël cessera d’être un Etat démocratique.

Alors, pourquoi lire le livre de Barnavi ?

Une des raisons réside dans le fait qu’il propose des solutions raisonnables pour faire la paix non pas sans le Hamas, qui est maintenant un acteur incontournable, non pas contre le Hamas, qu’il sera impossible de déloger manu militari de Gaza, mais malgré le Hamas en faisant pression sur Israël pour qu’il permette aux modérés palestiniens d’enregistrer des succès tangibles. Certes, cela n’est pas particulièrement original non plus et le président Obama semblait l’avoir compris qui, dans la suite logique de son discours du Caire, paraissait déterminé à obtenir d’Israël le gel de l’expansion des implantations… jusqu’à la reculade inattendue à laquelle les Etats-Unis se sont livrés par la voie d’Hillary Clinton il y a quelques jours.
La vraie bonne raison de lire le livre de Barnavi est qu’il permet aux partisans de la paix de se compter : s’ils se donnent la peine de le lire – Barnavi n’est, malheureusement, qu’un professeur parmi d’autres dans son pays –, les faucons israéliens le trouveront trop idéaliste, trop prompt à confier le sort d’Israël à une puissance étrangère, fût-elle alliée ; les extrémistes palestiniens, véritables alliés objectifs des précédents, crieront au scandale parce qu’il implique le renoncement à la souveraineté arabe sur toute la Palestine et l’abandon du "droit au retour" intégral.
Les autres, les modérés, reconnaîtront un des leurs. Il y en a des deux côtés. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Bâtisseurs de Paix de David Chemla. En montrant vers quelles funestes impasses toutes les autres solutions mènent, le livre de Barnavi peut rallier beaucoup de lecteurs de bonne foi à la solution Deux Etats pour Deux Peuples

 

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