Nonfiction.fr : Dans votre ouvrage, vous vous demandez si, avec le développement de la Politique européenne et de sécurité défense, l'Union européenne ne serait pas allée au-delà de son rôle de puissance civile. Pensez-vous que l'Union européenne puisse devenir un hard power ?

Jérôme Koechlin : Au sens où Nye l'entend, je ne pense pas que l'UE puisse devenir un hard power pour au moins deux raisons essentielles: la PESC et la PESD ont été conçues sur un modèle intergouvernemental et non communautaire, ce qui laisse encore une prédominance étatique en matière de défense à chaque Etat membre et en particulier aux Etats nucléaires (Grande-Bretagne, France). Par ailleurs, l'industrie de la défense en Europe se résume à Paris, Londres et Berlin, et la mise sur pied en 2004 de l'Agence européenne de défense, si elle permet en effet une coopération plus soutenue au sein de l'UE auniveau de l'industrie de l'armement et une rationalisation du marché européen de la défense, reste soumise à la domination des Etats précités. L'UE se dirige plutôt vers un mix de soft power et de hard power, ce que Nye, encore lui, appelle le right power.

 

Nonfiction.fr : Est-elle devenue à tout le moins un acteur de la sécurité collective internationale comme l'affirment Frédéric Merand et René Schwok dans leur dernier ouvrage ? Ce rôle est-il assumé ?

Jérôme Koechlin : Oui, et de plus en plus. J'ai montré dans mon ouvrage comment l'Union européenne a mis sur pied une diplomatie coopérante reposant sur un maillage complet et complexe d'activités (missions sur le terrain, aide au développement, participation aux conférences internationales, etc..) et d'organisations (UE, mais aussi liens avec l'OTAN, l'UEO, le Conseil de l'Europe, l'OSCE,..). Ce rôle est difficile car contrairement aux US, le leadership européen porte en lui une certaine désincarnation du pouvoir en se basant sur la multi-gouvernance, la complexité des procédures, et, en un sens, sur la dépolitisation du politique. La perception de l'UE comme acteur de la sécurité collective internationale est d'ailleurs souvent plus aigüe hors de l'Europe.

 

Nonfiction.fr :  Les récentes nominations du président du Conseil européen et du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité sont-elles à même de renforcer l'influence, la visibilité de l'Europe comme acteur sur la scène internationale ?

Jérôme Koechlin : Au-delà des railleries sur le prétendu manque de personnalité des deux nouveaux venus von Rompuy et Ashton, force est de constater que l'institutionnalisation de la PESC se renforce de jure et de facto avec le Traité de Lisbonne, que ces deux nouveaux échelons de la PESC/PESD sont désormais en fonction, et que leur mode de fonctionnement est basé sur la conciliation, le respect, l'écoute, la coopération, l'absence presque congénitale de vanité et les limites bien comprises de la surmédiatisation. Autrement dit, leur pouvoir réside dans sa propre dilution vis-à-vis des 27 chefs d'Etat et de gouvernement et du Président de la Commission. Nous sommes bien loin de la définition de la puissance de Morgenthau ou Aron. La visibilité de l'Europe comme acteur sur la scène internationale sera donc à la fois plus forte et plus dosée, en fonction des chasses gardées de certains Etats membres

 

 

* À lire sur Nonfiction.fr :

- Jérôme Koechlin, La politique étrangère de l’Europe : entre puissance et conscience (Infolio), par Estelle Poidevin.