Un recueil de travaux d’experts engagés dans la critique queer empruntant à la fois les perspectives de la sociologie, de la philosophie et de la psychanalyse.
 

Genres et Sexualités  rend compte d’un colloque organisé sous le même titre, les 31 mars et 1er avril 2006 à la BPI (Bibliothèque Public d’Information du Centre Pompidou à Paris). Apporter des limites claires à des concepts aussi complexes que le genre, le sexe ou encore la sexualité s’avère être un exercice pour le moins épineux. Homme, femme, hétéro, homo, bi, trans, plutôt masculin ou plutôt féminin constituent autant de manières de se présenter en tant qu’individu. Mais que signifient-elles réellement ? Genres et Sexualités cherche à proposer des éléments de réflexion et de réponse. L’ouvrage indique les résultats d’enquêtes menées sur les rapports homme-femme, mais aussi, de façon plus innovante, sur la transsexualité.

Genre, sexualité, de quoi parle-t-on ?

Penser le genre et la sexualité nécessite de se poser la question de leur articulation. Voilà comment Éric Fassin (sociologue, professeur agrégé à l'École normale supérieure, notamment spécialiste de l’homosexualité, qui codirige cet ouvrage avec Elsa Dorlin, maîtresse de conférence en philosophie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne) entend ouvrir les débats. Genres et sexualités rend compte de réalités socialement légitimées parce qu’elles tendent à être considérées par le sens commun comme des notions héritées directement de l’état de nature. Autre manière de dire que ces notions vont de soi. Dans cette perspective (culturellement reconnue), les rapports entre les hommes et les femmes sont ainsi prescrits par un ordre social qui tend à ne pas être remis en cause. Ainsi, les catégories de genre et de sexe (traditionnellement définies autour des seules divisions du masculin et du féminin, du mâle et de la femelle) polarisent les rapports entre individus et cristallisent hommes et femmes dans des rôles à la fois différenciés, complémentaires et déterminés.

Les premiers chapitres du livre cherchent à déconstruire cet essentialisme du genre et de la sexualité et ce, en mobilisant autant les perspectives d’analyses propres à l’histoire, à la psychanalyse et à la sociologie du travail. Dès lors, ses principaux objectifs sont de faire l’histoire des sexualités, d’en comprendre son évolution et de réfléchir aux différences entre les sexes en milieu professionnel. Le tout visant à mieux comprendre le genre et la sexualité comme éléments de systèmes socialement organisés et historiquement déterminés. Le propos pourrait s’en tenir à cela. Mais l’ouvrage ne proposerait alors rien de plus en comparaison à d’autres études menées par les féministes dans les années 60-70 en France et aux Etats-Unis.   Genres et Sexualités ne serait alors qu’un simple condensé de contributions d’intellectuels qui feraient état des travaux sur le genre à l’heure actuelle. Or, ce n’est pas le cas !


Transsexualité, parlons-en !

En traitant de la transsexualité, cet ouvrage trouve à la fois sa dynamique de recherche et son originalité. Mais pourquoi débattre de la transsexualité ? Cette question peut sembler naïve. Mis à part le désir de traiter d’une thématique encore trop peu discutée à l’heure actuelle, on peut faire l’hypothèse que Genres et Sexualités cherche à innover la façon même de conceptualiser la question des sexes. En effet, en s’attaquant au " cas trans ", cet ouvrage parvient à re-questionner de manière nuancée les fondements normatifs de l’ordre sexuel et démontre à quel point il est plus complexe qu’il ne paraît de prime abord. Ainsi, le chapitre sur la transsexualité permet d’interroger l’essentialisme des corps, la naturalisation des rapports entre les individus et la naturalisation des rôles qu’ils occupent en société et, enfin, le fondement même des pratiques sexuelles. Autrement dit, il s’agit de comprendre ce que signifie être un homme ou une femme et ce que cela sous-entend. Bref, comprendre si c’est là seulement affaire de corps ou d’autre chose. Partir de la question de la transsexualité permet donc de reposer et repenser le genre et la sexualité de manière inédite et innovante. Sous couvert d’une opération chirurgicale, les individus " peuvent " changer de sexe et, donc, incarner un genre différent et pratiquer un autre type de sexualité. Mais de quels individus s’agit-il, pour devenir qui et aux yeux de qui ou de quoi ? Comment se décident ces interventions? Quels sont les protocoles et les conditions à remplir ? Poser ces questions renvoient systématiquement à une problématique plus large : celle de l’identité de tout à chacun. Autant d’interrogations cruciales auxquelles universitaires, chercheurs et militants associatifs   tentent de répondre.

Ainsi, la transsexualité remet en cause le fondement d'un ordre sexué et sexuel socialement légitimé. C’est la nature et son ordre, toujours donnés comme allant de soi, le fait d’être un homme ou une femme, d’être sexuellement orienté et physiquement marqué par le caractère mâle ou femelle, que viennent questionner un long travail chirurgical et un suivi médical quasi-permanent. Autrement dit, dans la mesure où il appelle à une réflexion d'ordre politique, le " cas trans " est unique de par les problèmes qu’il pose à des Etats conservateurs, à une législation implacable et à une société ignorante des constructions sociales sur lesquelles elle s‘édifie. A partir de cet enseignement, il s’agit donc de dissoudre les fondements et les croyances essentialistes du genre et de la sexualité, de repenser l'identité comme n'étant pas innée mais acquise, voire conquise. En d’autres termes, les individus sont à envisager non seulement comme corps biologiques mais comme sujets sociaux et politiques.

La publication des actes de ce colloque fournit des clés indispensables pour comprendre plus aisément l’impact du genre et de la sexualité sur la constitution des individus. Bien loin de ne concerner qu’une petite minorité d’individus, la transsexualité – situation taboue, oubliée, généralement reléguée à un silence lourd de morale et de jugement –, permet de mieux appréhender les problématiques liées au genre et au sexe ainsi que de mieux saisir les influences de la loi, de l’État et de la société dans le traitement de la normalité de chacun.