A l’heure où l’on s’interroge davantage encore sur l’énigmatique fonctionnement du gouvernement bicéphale pakistanais, l’ouvrage que Shuja Nawaz consacre à l’armée de la République Islamique du Pakistan et à son évolution sur la scène politico-militaire nationale est incontestablement le bienvenu. Usant d’un récit chronologique qui rythme son ouvrage, Shuja Nawaz cherche à cerner le rôle politique que les institutions militaires ont très tôt cherché à s’arroger. Cependant, les analyses que choisit Nawaz tout au long de son ouvrage ne susciteront sans doute pas une unanimité constante.

A l’heure où l’on s’interroge davantage encore sur l’énigmatique fonctionnement du gouvernement bicéphale pakistanais, l’ouvrage que Shuja Nawaz, Directeur du South Asia Center of the Atlantic Council of the United States, consacre à l’armée de la République Islamique du Pakistan et à son évolution sur la scène politico-militaire nationale est incontestablement le bienvenu. Les observateurs familiers de l’histoire récente du sous-continent indien qui n’ont cependant guère le loisir de fréquenter les couloirs du pouvoir, ne s’interrogeront que davantage sur le délicat dénouement de l’âpre rivalité qui, au Pakistan, oppose désormais divers pouvoirs spirituels concurrents et ce que l’on pourrait considérer comme les trois composantes du pouvoir temporel, à savoir l’armée, la bureaucratie civile (selon l’expression à laquelle les Pakistanais ont communément recours) et la classe politique. Dans un tel contexte, il est sans doute illusoire de songer - à tout le moins, dans l’immédiat - à la résolution d’une importante dialectique que l’auteur mentionne d’ailleurs dès les premières pages de son introduction. Le Pakistan aurait-il donc une vocation religieuse, imitant d’autres pays tels “Israël, l’Iran ou l’Arabie Saoudite”   ? Ou s’agirait-il d’un État qui autoriserait la majorité musulmane à vivre “en accord avec les préceptes islamiques”, tandis que ses citoyens d’autres confessions désormais bien minoritaires   participeraient “librement à la vie du pays”.  

Usant d’un récit chronologique qui rythme son ouvrage, Shuja Nawaz cherche à cerner le rôle politique que les institutions militaires ont très tôt cherché à s’arroger. Il rappelle ainsi qu’en 1967, le Général Ayub Khan, qui ne jouissait alors pas du titre de Maréchal (plus précisément de Field Marshal), indiquait - à juste titre - dans le journal qu’il tenait que la lutte à l’encontre du mullah était politique   . Ce dernier, depuis le mouvement réformateur qu’avait lancé, à la fin du XIXè siècle, Sir Syed Ahmad Khan, craignait l’influence de tout musulman cultivé   . Ce fut le Général Zia ul-Haq qui, comme le souligne Shuja Nawaz, passa outre une antipathie réciproque qui semblait ancrée dans les mentalités collectives dominantes des deux parties. Ne négligeant pas la consolidation de son emprise sur le pays, il usa de l’arme que constituait le djihad   suite à l’intervention soviétique en Afghanistan (décembre 1979), tandis qu’il chercha ultérieurement à appuyer la lutte qu’engageaient “  les Cachemiris à l’encontre de l’armée indienne”. Une telle collaboration perdura “sous une forme ou une autre ”, tandis qu’au lendemain des élections législatives de 2002, le Général Pervez Musharraf osait une alliance électorale qui unissait un parti créé de toutes pièces qui lui était ainsi dévoué - la Ligue Musulmane-Quaid-i-Azam (Pakistan Muslim League-Quaid-e-Azam   ) - et un rassemblement d’obédience religieuse - le Muttahida Majlis-e-Amal (MMA, Conseil d’Action Unifié). Elu quelques mois auparavant à la présidence de la République, il entendait en effet demeurer Chef d’Etat major de l’Armée (Chief of Army Staff, COAS) : il estimait - à juste titre - que de cette seconde fonction découlait la réalité de son pouvoir.


Les analyses que choisit Nawaz tout au long de son ouvrage ne susciteront sans doute pas une unanimité constante. Tel est tout particulièrement le cas de celles qui traitent des relations indo-pakistanaises. Toutefois l’auteur a souvent le mérite de présenter, en premier lieu, les faits qui y mènent, tandis que les sources auxquelles il a eu accès permettent parfois d’affiner les connaissances qui touchent à l’histoire politique et militaire pakistanaise. L’auteur souligne, au demeurant, qu’il a bénéficié d’un accès privilégié à des archives américaines et britanniques inédites. Il ajoute qu’issu d’une famille dont nombre de membres choisirent une carrière militaire, il a également pu consulter les archives du General Headquarters of the Pakistan Army, alors que des personnalités américaines et pakistanaises lui accordaient volontiers des entretiens. Ainsi s’attache-t-il, par exemple, à décrire l’évolution des relations américano-pakistanaises, et souligne-t-il le dilemme qui assaillit, à plusieurs reprises, Washington qui s’interrogea sur l’allié qu’il s’était choisi. Nawaz aborde aussi la problématique du programme nucléaire pakistanais, évoquant le soutien que le Président Dwight Eisenhower y apporta par le biais de son Atoms for Peace Programme - une dimension que les Etats-Unis évitent désormais soigneusement d’aborder. Mais c’est surtout la période toute récente (que l’auteur aborde dans ses chapitres 15, 16 et 17) qui interpelle : le récit proposé conduit la plupart d’entre nous à pénétrer un univers méconnu : celui des multiples oppositions qui rythment les coulisses du pouvoir, tandis que le lecteur - s’il n’entretenait pas déjà quelques doutes - est contraint de se désoler, à tout le moins, du peu d’engagement de la classe politique du pays.

Au terme d’une laborieuse lecture de l’étude de Nawaz, le profane des questions militaires qui n’en aurait pas moins quelques connaissances du cheminement du Pakistan de sa naissance (le 14 août 1947) à nos jours, doit oser avouer qu’il aurait souhaité aborder un enjeu ardu bien plus aisément. En effet, l’auteur pêche par manque d’esprit de synthèse, ce qui le conduit à de nombreuses redites qui peuvent d’ailleurs agacer, voire à des digressions peu utiles. Le chercheur se souvient alors des premiers conseils que ses pairs lui prodiguèrent, lorsqu’il tentait ses premiers pas vers la voie de l’écriture. On lui indiquait qu’il lui fallait faire preuve d’une méthodologie rigoureuse : il travaillerait autant le fond que la forme ; il s’abstiendrait de la tentation de présenter l’ensemble des connaissances qu’il aurait acquises aux dépens de la clarté de la problématique soulevée, tandis qu’il se garderait de toute affectation quand il mentionnerait les personnalités qu’il aurait pu rencontrer. Peut-être nous reprochera-t-on d’adresser de telles critiques à un chercheur dont l’ouvrage fut largement salué. Il semble pourtant que, dans les coulisses, nombre de spécialistes s’accordent à considérer que l’étude de Nawaz constitue un livre de référence dont ils useront, mais qu’ils s’abstiendront souvent de lire dans son intégralité tant son remaniement - afin notamment d’en faciliter la lecture - apparaît nécessaire