Une étude approfondie de l’homosexualité en Grèce. Un livre entre critique et érudition.

Certains textes sont des livres, d’autres sont des essais et d’autres encore sont des projets.   The Greeks and Greek Love : A Radical Reappraisal of Homosexuality in Ancient Greece de James Davidson est de ceux-ci. Six cent cinquante pages de texte plus une centaine de pages de notes. Mais dire qu’il n’existe qu’un projet dans un texte de cette envergure contredirait le fait que Davidson analyse à travers des " fils différents " l’homosexualité chez les Grecs anciens, l’Amour Grec. Dans l’introduction, Davidson nous dit qu’il ne fait pas comme Alexandre et préfère couper le problème afin de le résoudre : il va regarder ce nœud gordien, qui est l’homosexualité chez les Grecs, fil par fil.

L’un d’eux nous mène vers la question de savoir ce qu’est un garçon.  L’image typique de l’Amour Grec est un homme, âgé et poilu, séduisant un jeune garçon d’une douzaine d’années. Cependant, Davidson travaille diligemment pour montrer que cette conception moderne est une faute de traduction.  Paidophilia, d’où vient notre pédophilie, n’est pas grec ; Paiderastie est un mot plus approprié à ce contexte d’amour entre deux hommes. Paiderastēs vient de pais, "garçon " et d’eros " la force de l’amour ".

Davidson se fait anthropologue de la culture et observe que les Athéniens se divisent en groupes d’âge fondés sur le développement corporel. Les anniversaires n’existent pas. Un jeune  "atteint " le prochain âge avec tous les autres jeunes du même groupe d’âge.  On passe à l’adolescence quand la barbe commence à pousser : entre dix-huit et vingt ans.  L’adolescent devient un homme avec l’arrivée d’une barbe pleine : à vingt-cinq ans environ. Tous les imberbes sont des paides (prenez-note, M. Mitterrand). Le lecteur du Banquet sait que l’analyse de Davidson est correcte. Les philosophes disent directement que l’amour pour ceux qui ont moins de dix-huit ans devrait être illégal.  

L’auteur se garde des généralisations. Il différencie les coutumes homosexuelles des Crétois, des Spartiates, des Athéniens, des Lesbiens, des Boétiens et des Thébains. Par exemple, les Crétois mettaient en scène des abductions planifiées avec le soutien des amis du garçon sur le point d’être enlevé. L’adolescent, ses amis et l’abducteur passent deux mois pendant lesquels le jeune, l’eromenos reçoit des dons et chasse avec l’erastes, " l’amant ". Ensemble, le groupe rentre et le village fête l’union avec un sacrifice.  Chez les Athéniens, l’amour grec a été vu à travers l’eros et non pas la philia " l’amour intime ".  Tandis que deux adolescents couchent ouvertement en Béotie, ils peuvent en Sparte se marier officiellement (ils sont syzygentes : "être attelé avec l’un et l’autre "), en Athènes, l’eros se rapproche d’un amour unilatéral. L’eros est un potier qui décore ses vases avec l’image de Leagros ou c’est l’homme qui veut que le monde sache que Phanocles est beau.  L’eros, disent les philosophes, aime d’une distance, dénuée de désir sexuel.


Erudit, accessible et convaincant, The Greeks and Greek Love n’a aucune peur de jeter des pierres. Sur deux cibles : Kenneth Dover et Michel Foucault, deux hommes, dont Davidson déclare, qu’ils sont obsédés par la sodomie. Dover et Foucault focalisent leurs études de l’homosexualité grecque sur les rôles sexuels : passif et actif. Pour eux, les relations sexuelles entre deux hommes ne se basent que sur les relations de pouvoir. Davidson riposte qu’une histoire d’amour gay existe vraiment chez les Grec anciens. Il se trouve dans les mythes de Hyacinthe et Apollon, d’Achille et Antiloque, du Bataillon sacré, la poésie de Sappho, la cour d’Alexandre le Grand, les textes de Timarque et de Lysias. Dover et Foucault, selon lui, sont des soixante-huitards enivrés par le discours de la libération sexuelle (comme tous les autres). La critique est, quelque fois, sévère. Davidson n’a pas peur d’utiliser des attaques ad hominem : Foucault est ainsi accusé d’être homophobe. C’est du Davidson dans ce qu’il a de pire.

The Greeks and Greek Love a nécessité dix ans de recherche avant de sa parution.  C’est une réussite d’érudition qui englobe différentes méthodes de recherche : historique, littéraire, anthropologique, mythique et plus. Le style d’écriture glisse d’un propos savant à celui d’un tabloïde aux pensées libres : " un Grec de la période classique peut parler d’un éros dans lequel il n’existe pas de relations sexuelles et des essais pour les relations sexuelles, mais aussi aucun intérêt physique, une admiration passionnée mais chaste pour la belle personnalité d’un jeune homme et ses uhhh… développement musclé impressionnant. " (" a Greek of the classical period can talk of an eros in which there is not only no sex and no attempt at sex, but no physical interest, a passionate yet chaste admiration for a young man's beautiful personality, and errr ... impressive muscular development... ")  En dépit de la force intellectuelle du texte, Davidson néglige une grande source d’information qui aurait pu renforcer ses arguments : l’amour hétérosexuel. L’Amour Grec est complètement axé sur l’amour homosexuel. Or l’amour hétérosexuel se trouve aussi dans la poésie de Stratto, les mythes d’Hector et Andromaque ou Jason et Médéa. Si on lisait Davidson comme un spécialiste de l’amour hétérosexuel, on penserait qu’il tourne autour de la procréation via la pédophilie.

Toutefois, dire que " l’Amour Grec " est un terme mal approprié, serait jeter à la poubelle l’histoire de l’homosexualité. Les lettres A et G sont en majuscule pour une raison. L’Amour Grec est l’homosexualité ; c’est le terme utilisé pendant des siècles, d’habitude interchangeable avec la pédérastie. Donc, il est bien facile de pardonner à James Davidson d’ignorer l’amour grec hétérosexuel. Après tout, pourrait-il rétorquer, l’Amour Grec fut lui-même ignoré ou dénigré !