Comment penser la communication face à la prolifération des techniques d’information ?

À la seule lecture du titre, journalistes et autres spécialistes de l’information crieront sans doute à l’évidence : bien sûr qu’informer n’est pas communiquer ! Informer est bien plus que cela, penseront-ils. Et ils feront fausse route, en tout cas en ce qui concerne l’appréhension de cet ouvrage. Car Dominique Wolton retourne d’emblée l’idée reçue selon laquelle l’information est plus noble, plus "sérieuse" que la communication. Son titre n’est pas à comprendre dans le sens où l’on envisagerait la valeur ajoutée de l’information par rapport à la communication dans un "informer n’est pas seulement communiquer". Dominique Wolton affirme au contraire la primauté de la communication, "plus complexe" que l’information. Pourquoi ? Parce qu’elle porte en elle la relation à l’Autre tandis que l’information existe en soi, affirme Wolton. Position discutable à laquelle on pourrait d’emblée objecter que si l’événement existe bien en soi, il ne devient information que sous le regard du destinataire auquel le journaliste a adressé son message à valeur informative. Mais Dominique Wolton a choisi : se plaçant clairement et définitivement du côté de la communication, il s’attache à démontrer que non seulement le travail d’information ne sert pas forcément la démarche communicationnelle, mais qu’il peut même la desservir. Avec une interrogation transversale : comment l’omniprésence des techniques de l’information tout en favorisant la profusion de messages informatifs, ne parvient-elle pas à combler les "apories de la communication" ? En d’autres termes, "comment la révolution de l’information conduit à l’incertitude de la communication ?".

À ses yeux en effet, la multiplication des techniques d’ "info-comm" ne contribuent pas à rapprocher les êtres et les peuples ; elle exacerbe la conscience des "différences et de l’altérité" et peut en ce sens conduire à la haine et à la violence. Le XXe siècle a vu la "victoire de l’information", le XXIe doit être celui de l’avènement d’une communication visant à pallier les risques véhiculés par le tout-information. Une communication défendue depuis trois décennies par un Dominique Wolton qui se veut visionnaire.

Négocier avec le récepteur pour mieux cohabiter

La théorisation de son idéal communicationnel s’articule autour de concepts phares répétés, martelés même, tout au long d’un ouvrage au ton souvent pédagogue, parfois sentencieux. Première composante de ce modèle, le récepteur, puisque la communication existe d’abord dans la relation à l’Autre. Un récepteur, qui, se sentant de plus en plus sur un pied d’égalité avec le locuteur, se met à "résister". C’en est fini du destinataire passif, le récepteur est désormais un acteur qui lutte pour proposer, voire imposer, sa vision du monde. Derrière cette réalité se dessine le spectre de l’ "incommunication" que Dominique Wolton va agiter frénétiquement puisqu’il représente à ses yeux "l’horizon de la communication". Afin d’éviter que ce spectre ne se matérialise en une méconnaissance de l’Autre, l’auteur prône un modèle communicationnel basé sur la "négociation". Délibérément emprunté au vocabulaire politique car pour lui "l’organisation des médias n’est jamais indépendante d’une vision de la société", ce processus devra permettre d’aboutir à la "cohabitation", idéal de partage visé par toute démarche communicationnelle. Les bases théoriques sont posées, il s’agit ensuite d’esquisser les changements paradigmatiques nécessaires à l’avènement du modèle Wolton.



Même si "informer n’est pas communiquer", c’est bien l’information qui est à reconsidérer avec, en premier lieu, "l’idéologie technique" qu’elle comporte. Wolton ne condamne pas la révolution de l’information en soi mais les dérives idéologiques qui l’accompagnent irrémédiablement. Derrière les prouesses technologiques d’Internet et l’apparente liberté qui accompagne son usage, se cachent deux bêtes noires de la communication : l’individualisme et le communautarisme. Car le concept de "village global" s’applique à l’univers de la technique, nullement à celui des hommes et des cultures qui, au contraire, risque de se trouver de plus en plus segmenté. Pour sortir de l’illusion dangereuse d’un monde rendu libre et ouvert grâce à Internet, Dominique Wolton propose de quitter "l’impérium technique", de "détechniser la communication". Ce qui devrait également permettre de pallier les dérives de l’information, pointées sans complaisance. Simplification, idéologie du scoop, course de vitesse, propagation des rumeurs, tendance à tourner en rond, confusion entre progrès des techniques et lenteur du travail de production de l’information… l’auteur n’épargne rien au journalisme.

Accéder à la tolérance par la connaissance

Dans sa leçon donnée aux acteurs de l’information, il invite ces derniers à revenir vers la connaissance, plus que jamais indispensable pour faire face à la profusion d’informations et pour ne pas buter sur l’ "incommunication". Mettant en garde contre "l’idéologie du direct" et contre le "de plus en plus vite, de plus en plus faux", Wolton insiste sur la nécessité d’un rapprochement, d’une reconnaissance réciproque entre journalistes et chercheurs. C’est en travaillant main dans la main et non dans l’ignorance ou le mépris de l’autre, en cohabitant en somme, que ces "cousins germains" feront œuvre de communication.

Si aujourd’hui "informer n’est pas communiquer", Dominique Wolton refuse de s’accommoder de cet état de fait et manifeste dans ce court ouvrage une volonté performative avec pour horizon plus ou moins proche, "l’idéal de tolérance" inséparable de son modèle communicationnel. Un modèle dont la théorisation limpide et convaincante mériterait cependant d’être illustrée par des exemples concrets