Sortie barbare ou civilisée ?

Le premier semestre 2007 marque le début de ce qu’on appelle désormais la « crise des subprimes ». Rares sont ceux qui, dans les mois qui suivent, vont prendre toute la mesure de la tourmente qui s’annonce. André Gorz fait partie de ceux là.  A l’automne 2007, il publie dans la revue EcoRev’ une analyse quasi prophétique où il décrit à l’avance la réaction en chaînes et les étapes de la crise qui vont se succéder implacablement en 2008 et 2009 : « La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d’une radicale nouveauté. Par son développement même, le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe qu’il est incapable de dépasser et qui en fait un système qui survit par des subterfuges à la crise de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur, le capital. […] L’économie réelle devient un appendice des bulles spéculatives entretenues par l’industrie financière. Jusqu’au moment, inévitable, où les bulles éclatent, entraînant les banques dans des faillites en chaînes, menaçant le système mondial de crédit d’effondrement, l’économie réelle d’une dépression sévère et prolongée ».

Cette crise dans laquelle le monde est plongé annonce, pour Gorz, la sortie du capitalisme, non pas comme un possible, mais comme un fait inéluctable. Gorz pose la question de l’incapacité du capitalisme à assurer sa survie. C’est ce que rappelle l’un des auteurs, Patrick Viveret : « Après plusieurs décennies de discours sur le caractère incontournable du capitalisme, au point que les seules stratégies transformatrices possibles relevaient d’aménagements et de modifications non substantielles du système, l’approche de Gorz a de quoi surprendre. Or, la conjonction de crises, dont l’interdépendance est de plus en plus nette (crise climatique, financière, alimentaire, etc.) repose bien la question systémique du capitalisme ».

L’œuvre d’André Gorz pourrait aider la gauche française à sortir de ses « modifications non substantielles », et à s’atteler à un travail de refondation profonde, poser par exemple ce que peut être une sortie «civilisée » ou une sortie « barbare » du capitalisme,  selon les termes d’André Gorz. « Une foule d’indices convergents suggère que ce dépassement est déjà commencé et que les chances d’une sortie civilisée du capitalisme dépendent avant tout de notre capacité à distinguer les tendances et les pratiques qui en annoncent les possibilités », écrit-il.

A nous d’en construire les possibles, et la confrontation à l’œuvre de Gorz peut nous y aider, comme le font dans cet ouvrage Jean-Baptiste de Foucauld, Dominique Méda et Denis Clerc, sur la question du travail, de sa place et de son sens, sur la question du revenu universel. Ils identifient ce qu’ils partagent avec lui et ce qui fait désaccord. C’est un balisage utile pour continuer le débat et pour tracer de nouvelles voies.  « La gauche cherche aujourd’hui à bâtir un projet pour convaincre, à redonner une boussole à une société désorientée. Un exercice délicat, qui suppose, d’une part, d’avoir une vision de l’avenir et, d’autre part, de mieux savoir à qui s’adressera ce projet», écrit Christophe Fourel, qui a piloté ce livre collectif. L’oeuvre d’André Gorz peut y aider…

 

* A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Arno Münster, André Gorz ou le socialisme difficile (Lignes), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Vers la société libérée (Textuel/INA), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Lettre à D. (Galilée), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Ecologica (Galilée), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Le Traître suivi du Vieillissement (Gallimard), par Christophe Fourel.