Une synthèse réussie de la pensée d'André Gorz.

Le pari d’Arno Munster est ambitieux : faire une synthèse la plus exhaustive possible de l’œuvre d’André Gorz. Et il faut bien le reconnaître, le pari est plutôt réussi. D’autant que le livre est court (120 pages) même si la lecture nécessite quelques rudiments de philosophie et de socio-économie.

Après avoir retracé brièvement l’itinéraire d’André Gorz (1923-2007) dans la première partie, Arno Münster s’emploie ensuite à décortiquer l’œuvre de ce grand penseur de la critique sociale. La deuxième partie est donc consacrée à ce que Münster appelle l’élaboration d’ « une œuvre critique autonome ». Il est vrai que l’on peut lire l’évolution de la pensée de Gorz comme une sorte d’émancipation progressive et toujours renouvelée par rapport à l’œuvre philosophique de Jean-Paul Sartre. Mais une émancipation qui resta néanmoins toujours fidèle à celui qui fût la rencontre intellectuelle la plus décisive de la vie de Gorz. Bref, pour Arno Münster, la pensée d’André Gorz est passée d’un « marxisme révolutionnaire  anti-stalinien (…) à un éco-socialisme auto-gestionnaire ». Peu après avoir constaté « la mort du socialisme en tant que système », Gorz affirme qu’ « il doit être maintenu, à condition de le redéfinir ».

La troisième et dernière partie du livre est la plus importante, c’est celle qui donne en quelque sorte son titre à ce petit ouvrage. Münster tente de montrer comment Gorz a justement essayé de « redonner » au socialisme son sens. Pour lui, le socialisme ne peut et ne doit pas être conçu comme un système de rechange. Il n’est rien d’autre que « l’au-delà du capitalisme » (selon les mots de Gorz) auquel œuvrent les mouvements sociaux quand ils luttent pour un développement modelé selon les besoins vécus des gens, rattachés à leurs aspirations et leurs intérêts. Cette lutte, dit Gorz n’est jamais gagnée ni perdue définitivement. « Elle continue et continuera ». Dans cette perspective, Gorz finit par identifier quatre « urgences » pour construire cette « utopie concrète » : la subordination de la rationalité économique à une rationalité écologique et sociale ; la décroissance de la production de marchandises par l’autolimitation des besoins ; la réduction du temps de travail et pour finir le droit à un revenu déconnecté du travail. L’ouvrage se termine alors par cette citation tirée de l’avant dernier ouvrage publié du vivant de Gorz (L’Immatériel, 2003) : « les révolutions sont faites en général par l’alliance des plus opprimés avec ceux qui sont les plus conscients de leur propre aliénations ainsi que de l’aliénation des autres ». Elles ont lieu quand « ceux qui gouvernent en haut n’en peuvent plus et lorsque ceux d’en bas n’en veulent plus ». L’avenir dira si la crise que nous vivons actuellement débouchera sur de telles perspectives…

 

* A lire aussi sur nonfiction.fr :

- Christophe Fourel (dir.), André Gorz. Un penseur pour le XXIe siècle (La Découverte), par Sylvaine Villeneuve.

- André Gorz, Vers la société libérée (Textuel/INA), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Lettre à D. (Galilée), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Ecologica (Galilée), par Christophe Fourel.

- André Gorz, Le Traître suivi du Vieillissement (Gallimard), par Christophe Fourel.