Une vision politique du changement climatique nécessaire alors que la prise de conscience mondiale est en marche.

Sociologue britannique, ex proche conseiller de Tony Blair, ancien directeur de la London School of Economics, aujourd’hui membre de la Chambre des Lords, Anthony Giddens propose une vision politique du changement climatique.

Dans un ouvrage remarquable de précision, d’exemples et de clarté, The politics of climate change, A. Giddens définit son propos ; le dérèglement climatique a fait l’objet d’un très grand nombre de réflexions de nature scientifique, technique, économique ou financière, mais aucune vision politique, au sens de « quelle gouvernance mettre en œuvre » n’avait été effectuée.

Le point de départ de l’ouvrage repose sur le constat d’une différence de temporalité entre la prise de conscience et l’urgence du problème. La difficulté réside dans le fait que, lorsque le dérèglement climatique apparaîtra réellement, il sera déjà trop tard pour y répondre, et que dans cette attente, les phénomènes climatiques que nous connaissons peinent à nous interpeller, pris que nous sommes dans nos urgences quotidiennes. En conséquence, percevant cette faible prise de conscience réelle, les politiques - eux-mêmes pris dans un court termisme permanent – réagissent avec lenteur : « Jusqu’à présent, il n’existe pas de politique globale envers le dérèglement climatique ». Ce dernier transcende toutes les frontières politiques et nécessite à la politique de se réapproprier le long terme et la prospective.

La politique climat n’est pas une politique pouvant être réduite aux attributions d’un ministère ; c’est une politique d’Etat qui doit être mise en place et concerne l’ensemble des activités gouvernementales et au premier rang la politique énergétique. A. Giddens note à ce propos qu’il serait peut-être préférable de sensibiliser la population aux risques énergétiques tangibles et immédiats plutôt qu’aux risques climatiques, plus imperceptibles pour le public.

Après une synthèse sur l’émergence du réchauffement climatique et une présentation de ses conséquences selon les divers scénarios, notamment des effets induits comme les émissions de méthane relâché par la fonte des glaces en Sibérie qui serait déjà supérieures à celles de l’ensemble des émissions américaines actuelles, Giddens affirme que le problème climatique représente « l’échec le plus important que les théories du marché ont pu connaître », qu’il ne peut rester un argument politique du mouvement écologique et doit impérativement faire l’objet d’un consensus politique droite/gauche pour assurer un minimum de continuité de l’action publique.


Opposé au principe de précaution qu’il juge trop rigide dans son ambition, Giddens estime que le risque est intrinsèque à notre développement et plaide pour un principe de proportionnalité.

Il est nécessaire de lier le problème climatique et celui de l’énergie. La lutte pour l’indépendance et la continuité énergétique lui apparaît comme un thème nettement plus mobilisateur que les réductions liées à l’impératif climatique. L’accent sur l’efficacité énergétique est un levier plus important que le climat et permettrait d’atteindre le même objectif.

Concernant notre gouvernance, il est nécessaire de revenir à la planification et de refonder une politique intégrant des objectifs de long terme en plaçant en permanence le changement climatique au sommet de l’agenda politique. Cela favoriserait également l’intégration de l’objectif climat au sein de l’action publique des différents ministères. A. Giddens observe sur ce point une forte incohérence politique notamment au travers de l’exemple de certaines mesures de protection environnementale climat totalement annihilées par des décisions contradictoires prises en faveur d’un autre objectif comme la relance économique, les subventions corporatistes ou le soutien aux agriculteurs.

Malgré des déclarations d’intention positives, A. Giddens doute de la réelle capacité des citoyens à se mobiliser. Le doute installé par les climato-septiques, l’effet de la crise économique, le syndrome « Je ne bouge pas avant que les autres ne commencent », la méconnaissance réelle du phénomène climatique, ajoutés à la perception des conséquences qui ne se fera que tardivement – et épisodiquement – tout cela rend Giddens peu optimiste sur un changement émanent des citoyens eux-mêmes. Il estime également que les mesures citoyennes généralement proposées sont peu réalistes car adaptées à une minorité aisée et éclairée de la population. Selon lui, la sensibilisation doit être positive, différenciée et mettre l’accent sur les économies réalisées, notamment dans le secteur énergétique.

Parmi les mesures proposées, Anthony Giddens détaille les raisons de s’attaquer sérieusement au greenwashing dans la publicité : « Chaque entreprise devrait publier son empreinte carbone et ne pas se contenter de le faire pour des segments sélectionnés de leurs activités ». Il estime également que l’éducation au changement climatique devrait être introduite largement dans l’enseignement. De même, il pense que seul l’Etat est à même de promouvoir une réelle politique d’innovation sur le sujet et appelle à un « climate change new deal » notamment pour favoriser la création d’emplois. Il se méfie d’ailleurs de l’illusion d’une croissance verte naturellement créatrice d’emplois en observant que par exemple dans le domaine de l’énergie, le secteur des combustibles fossiles était générateur d’emplois alors que celui des énergies renouvelables l’est beaucoup moins.


Dans le débat entre l’efficacité comparée du marché du carbone et le dispositif fiscal, Giddens penche pour la taxe carbone à condition qu’elle soit claire, compréhensible et rigoureusement destinée à la question climatique et que la question des inégalités sociales soit bien intégrée : « Les recherches montrent que les foyers les plus pauvres dépensent significativement davantage par unité énergétique que les plus aisés ». Une taxe uniforme serait socialement répressive. Il explore également les possibilités d’allocation de quotas individuels mais constate l’absence de toute expérimentation concluante sur le sujet et estime le système plutôt « impraticable et infaisable ».

Sans trop d’illusion, A. Giddens consacre un chapitre à la politique d’adaptation. Le changement climatique est déjà en marche et dans l’hypothèse optimiste de nos réactions, il existe une inertie du climat qui impliquera une augmentation d’inondations, de tempêtes, de canicules. Cela entrainera de nouvelles épidémies, des maladies de la peau, des conséquences agricoles, touristiques et des impacts majeurs sur des domaines économiques et financiers et plus particulièrement sur l’activité assurantielle, et l’auteur rappelle que 49 milliards de dollars furent dépensés par les sociétés d’assurance après l’ouragan Katrina aux Etats-Unis (Août 2005).

Au plan international, le poids des Etats-Unis est évident avec 44 % des émissions de CO2 de l’OCDE et une consommation de pétrole par habitant 2,5 fois supérieure à celle d’un européen. « Si les états des USA étaient comptés comme des pays, ils seraient 25 à figurer dans le classement des 60 premiers pays émetteurs, le Texas rejette davantage de GES que la France ». D’autres pays comme le Canada ou l’Australie sont pointés avec des émissions par habitant supérieures à celles des américains. Les émissions par habitant sont moitié moindres dans l’ex-Europe des 15 qu’aux Etats-Unis (chiffres 2007). La Chine a remplacé les USA comme premier contributeur mondial de CO2 même si les émissions d’un chinois ne sont que le cinquième de celles d’un américain.

Giddens note également un manque de constance de plusieurs pays européens comme l’Espagne qui a accru ses émissions de 30 % depuis 1990, l’Italie qui remet en cause ses engagements ou la Pologne. Le sommet européen de septembre 2008 sous présidence française a donné une unité de façade mais la liste des dérogations est trop importante, notamment pour les industries de l’acier, du charbon ou du ciment.

Pour Giddens, c’est au niveau national que les décisions se prendront. Il se dit pessimiste sur l’après Kyoto « Ce n’est pas au travers d’accord comme Kyoto que des progrès seront réalisés ». Il se prononce pour un système différencié en trois zones, des objectifs chiffrés de réduction des émissions globales pour les pays industriels, des objectifs chiffrés de réduction de l’intensité carbone par unité énergétique pour les pays émergents, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, et une quasi liberté temporaire pour les pays en voie de développement. Il ne fait pas non plus de l’Europe une solution idéalisée ; « Les engagements de l’Union Européenne peuvent aider, mais l’action effective repose sur chaque membre ». Le marché du carbone qui représentait 64 milliards de dollars en 2007 est fort utile, mais il nécessite une forte gouvernance – ce que N. Stern passait sous silence - pour bien fonctionner. Et l’auteur de regretter que cela risque de prendre encore bien du temps.


Le dernier chapitre est consacré aux questions géopolitiques jugées de première importance et A. Giddens donne les exemples des tensions croissantes sur les terres arctiques, leurs gisements et les nouvelles routes maritimes qu’elles offriront, ou l’exemple de la guerre du Darfour où une augmentation même faible de la température peut entraîner des migrations incontrôlées de population et engendrer des conflits graves. Conjugués à une lutte pour l’appropriation de ressources naturelles de plus en plus limitées, les risques géopolitiques sont nombreux, comme le décrivait un rapport du Pentagone. Pessimiste sur la capacité des Nations Unies à faire face au problème, l’auteur plaide pour la multiplication d’accords bilatéraux (en rêvant d’un accord bilatéral Chine – USA) ou thématiques comme sur la lutte contre la déforestation. Il prend exemple sur les négociations de l’organisation mondiale du commerce à Doha qui échouèrent dans leur globalité, mais dont l’objectif fut sauvé par la signature de plus de 200 accords régionaux ou bilatéraux. Sans renoncer à la signature d’un accord international, voire même au sein du G 8 – auquel il ne croit pas – Giddens plaide pour des approches décentralisées plus faciles à mettre en œuvre et pouvant avoir un effet d’entrainement.

Cet ouvrage que Bill Clinton appelle à lire urgemment est discutable sur de nombreux points, il caricature le principe de précaution, il semble percevoir les citoyens comme totalement passifs, il s’interroge peu sur nos modèles économiques et garde une forte croyance au progrès technique, c’est néanmoins un ouvrage majeur qui ouvre une première vraie réflexion de nature politique – et il connaît bien son domaine – sur le changement climatique