Une première tentative de réflexion sur l'utilisation de la gestion par les associations, à partir du cadre de l'économie solidaire.

La sociologie des organisations a mis en évidence, par comparaison avec les entreprises, l’importance du cadre institutionnel pour les associations   . En effet, contrairement à l’entreprise, l’association ne peut se légitimer simplement sur la base d’une production de biens et de services, ce qui suppose de gérer la compatibilité entre des logiques d’action dépendant de l’institution d’une part, et des logiques d’adaptation à l’environnement d’autre part. Elle a ainsi tenté de dégager, en mobilisant différents angles, que lui suggèreraient ses méthodes d’analyse, des traits spécifiques du fonctionnement associatif et des problèmes qu’il rencontre, dont celui de l’adoption souvent problématique d’une logique d’entreprise, plaquée sur la réalité associative. Dans la continuité de ces premiers travaux, certains auteurs ont cherché à mieux définir le rôle des dirigeants d’association, à l’articulation d’une double socialisation, civique d’une part, et professionnelle d’autre part   .

 

Il est dommage que cet ouvrage, consacré à la gouvernance des associations, qui compte par ailleurs quelques-uns des auteurs des livres précédemment cités (dont Jean-Louis Laville qui a rédigé l’introduction de celui-ci), ne fasse qu’une place finalement limitée à l’analyse du fonctionnement associatif telle qu’ébauchée par les travaux ci-dessus (qui croisaient systématiquement, outre l’analyse de la contingence, les analyses socio-techniques, stratégiques et identitaires). La grille d’analyse qu’il propose, centrée sur l’examen détaillée des différentes ressources dont disposent les associations, aussi intéressante soit elle, ne recouvre en effet que l’un des angles sous lesquels les travaux précédents examinaient ce fonctionnement. Celui-ci, spécialement pertinent pour les questions qui intéressent l’économie solidaire, d’encastrement et de pluralité des activités économiques, est en effet loin d’offrir un éclairage complet sur le fonctionnement des associations, il est probablement, pour cette raison, tout à fait insuffisant lorsqu’on examine la question des dispositifs de gestion et de gouvernance dont celles-ci devraient se doter. Mais ce livre n’en constitue pas moins l’une des toutes premières tentatives de caractériser et de réfléchir à l’utilisation de la gestion par les associations (à côté des multiples programmes de recherche concernant les dispositifs de gestion qui ont été lancés ces derniers temps dans différentes disciplines) et il mérite de retenir l’attention pour cela.

 

La première partie du livre, centrée sur l’explication des choix méthodologiques (bien expliqués au demeurant dans l’introduction de Jean-Louis Laville), apporte peu de choses originales. Marthe Nyssens montre, dans une revue de littérature, comment l’analyse économique des organisations a pu être extrapolée aux associations définies comme organisations privées non lucratives. Philippe Bernoux repart, quant à lui, des principaux concepts de la sociologie des organisations (de l’action collective et de la coopération, du pouvoir et du conflit, du changement et de l’identité) pour examiner dans quelle mesure ceux-ci peuvent s’appliquer aux associations et/ou en quoi ces dernières diffèrent d’autres formes d’organisations comme les entreprises ou les administrations. Salvador Juan, de son côté, ancrant sa réflexion sur les concepts fondamentaux de la sociologie, prônant une perspective qu’il nomme “actionnalisme institutionnaliste”, insiste fortement sur la nécessité de prendre en compte la dimension de la création et du changement institutionnels dans l’analyse du phénomène et du mouvement associatifs.

 

Distinguer les associations selon le type de ressources dont elles disposent

 

Plus directement utilisable, la grille d’analyse élaborée par Laurent Gardin pour étudier les associations propose de croiser les types de ressources monétaires et non monétaires  mises à leur disposition (ventes de services, subventions, cotisations, adhésions et dons, mais aussi évaluation des aides indirectes et du bénévolat, en précisant à chaque fois leur objet) et l’étude de leur origine (particuliers, secteur privé, secteur public, économie sociale et solidaire), en prenant en compte les motivations qui ont présidé à leur attribution ou les relations que leurs apporteurs entretiennent avec l’association. Peut-être pas tout à fait aussi novatrice qu’il y paraît (toute personne ayant pratiquée l’analyse économique des associations sait l’importance qu’il faut attacher aux modalités et aux conditions selon lesquelles les ressources leur sont mises à disposition), cette grille n’en offre pas moins un outil pour distinguer différents types d’associations dont le fonctionnement peut alors être étudié sous divers aspects. Comme le notent les auteurs, elle a vocation à se substituer à l’analyse de la contingence, développée par la sociologie des organisations, centrée sur les configurations productives, qui apparaît peu pertinente s’agissant des associations.

 

La seconde partie de l’ouvrage est composée d’études de cas qui croisent les regards de socio-économistes et d’enseignants-chercheurs en gestion (principalement issus ou rattachés au Cnam) sur des associations. Elle est précédée d’une contribution de Philippe Avare et Samuel Sponem qui traite de l’importation des techniques managériales (et du managérialisme) et de la forme que peut prendre la gestion dans les associations. Faisant le lien avec la grille ci-dessus, ceux-ci montrent que le mode de financement a une incidence forte sur les problématiques de gestion que rencontre l’association, mais aussi sur la manière dont celle-ci doit rendre compte de son activité à ses financeurs, et donc sur les dispositifs de gestion qu’elle doit mettre en œuvre.

 

La première étude de cas est rédigée par Laurent Gardin, Madina Rival et Christophe Torset, elle porte sur trois associations des secteurs sanitaire et médico-social. Dépendant presque exclusivement de ressources publiques, celles-ci peuvent être caractérisées comme des “quasi-administrations”. Les associations de ces secteurs, montrent les auteurs, sont soumises à une régulation publique principalement tutélaire, même si peuvent exister à la marge des formes de régulation conventionnée (dans le cadre de négociation avec les tutelles) ou quasi-marchande (en cas de mise en concurrence par exemple). La gestion de ces associations est très fortement marquée par le souci de réduire les dépenses de fonctionnement pour dégager un minimum de ressources pour les investissements, que la tutelle rechigne généralement à financer.

 

Les trois associations faisant appel public aux dons, auxquelles Philippe Avare et Philippe Eynaud consacrent l’étude de cas suivante, sont dans une situation très différente. Conduites à prêter une grande attention à la gestion de leur image, elles sont également plus portées à mettre en place des dispositifs de gestion originaux pour assurer l’optimisation à la fois de la collecte et de l’utilisation des fonds, voire à mettre en œuvre des systèmes d’information coopératifs conçus pour accueillir les donateurs, les bénéficiaires et les bénévoles, comme à rechercher des partenariats ou des alliances avec d’autres organisations.

 

La troisième étude de cas est l’œuvre d’Arthur Gautier, elle est consacrée à deux associations gérant des lieux de musiques actuelles   . Celles-ci se caractérisent par une plus forte diversité de ressources, mais surtout elles appartiennent à un champ nouveau dans le paysage artistique et culturel français, à la fois comme champ d’intervention spécifique et homogène de politiques publiques et comme ensemble d’organisations en forte interaction (dont ces associations ne sont qu’une des composantes à côté d’entreprises privées lucratives et d’établissements publics). L’objectif de l’auteur est ici plus ambitieux que dans les deux études de cas précédentes puisqu’il s’agit en réalité “de comprendre comment s’est structuré un jeune champ organisationnel autour de la forme associative, quelles sont les caractéristiques communes de ces associations et quelles sont les stratégies qu’elles ont adoptées pour pérenniser leur activité et changer les institutions qui régissent leur champ”   . Et il étudie pour cela, outre la genèse de ces associations, les ressources dont elles disposent, l’utilisation qu’elles font de certains dispositifs de gestion classiques et les particularités de leur gouvernance. À partir de quoi il teste alors deux hypothèses : celle d’un isomorphisme du champ et d’une banalisation des lieux associatifs de musiques actuelles d’une part, et celle de l’innovation associative et de la co-construction des politiques publiques par les associations, d’autre part. Pour trancher finalement en faveur d’une combinaison de ces deux interprétations, qui laisse toute sa place à la seconde (tout en appelant à poursuivre le travail de comparaison sur d’autres associations du champ). Il entre ici clairement une part de plaidoyer en faveur de l’économie solidaire.

 

Questionner les formes de gouvernance que mettent en place les associations

 

La troisième partie est consacrée à des résultats transversaux. Philippe Avare, Philippe Eynaud et Samuel Sponem reviennent sur l’utilisation que font les associations des dispositifs de gestion classiques (budget, comptabilité et indicateurs de performance) en fonction des ressources qu’elles drainent. Ils en tirent trois axes de reflexion à destination des dirigeants d’association. “Le premier axe pose le problème de la lisibilité du projet vis-à-vis des tiers et de la légitimité qui peut s’en déduire. Le deuxième a pour objet le nécessaire besoin, exprimé par la plupart des associations [rencontrées], d’aller au-delà d’une simple rationalité instrumentale. Enfin, le troisième axe rend compte du caractère indispensable d’une réflexion autour de ce qu’il faut entendre par performance associative”   .

 

Madina Rival s’interroge quant à elle sur l’influence plus ou moins importante exercée par l’association sur son environnement, à partir de la définition d’ “entrepreneur institutionnel” proposée par le courant de la sociologie néo-institutionnelle.

 

Enfin, Joseph Haeringer et Samuel Sponem reviennent sur le rôle des dirigeants d’association à l’articulation entre les dimensions organisationnelles et institutionnelles, dimensions dont ils montrent qu’elles tendent aujourd’hui à se différencier davantage. Cela dans le contexte d’une transformation de l’État social et des politiques publiques, qui produit des effets à la fois sur la direction et la gouvernance associatives. En définitive, la question les concernant est alors “celle de la cohérence entre un projet politique et un fonctionnement qui repose d’une manière incontournable sur une pluralité d’acteurs (institutionnels et associatifs, bénévoles, usagers et professionnels), et donc de logiques dont les légitimités particulières peuvent être conflictuelles […]. La bonne gouvernance impliquerait alors que les associations se constituent en espaces publics de débat, définissent des procédures de décisions dans des temps et des lieux appropriés pour soutenir l’engagement des parties prenantes dans leurs différences respectives”   .

 

Le dernier chapitre, qui fait également office de conclusion, rédigé par Christian Hoarau et Jean-Louis Laville, procède à partir d’une critique des codes de gouvernance associative que l’on a vu fleurir ces dernières années. Ceux-ci “mettent l’accent sur la transparence financière et le bon fonctionnement des différentes instances collégiales”   . “La conception de la gouvernance associative qui ressort des guides pratiques […] est plus large que celle généralement adoptée pour les entreprises”   . “Elle conduit ainsi à réduire ses frontières avec le management”   . “L’approche disciplinaire et l’approche cognitive de la gouvernance [toutes deux mises en avant s’agissant de l’entreprise] peuvent s’appliquer à la gouvernance associative de façon non exclusive […]. Mais ces deux approches […] et les dispositifs qui les accompagnent ne sont pas suffisants pour concrétiser le potentiel démocratique offert par le statut des associations”   . Et les auteurs d’esquisser alors, dans la continuité du chapitre précédent, une définition de la gouvernance associative conçue comme gouvernement démocratique, en mettant l’accent sur ses conditions d’exercice à la fois internes (autoréflexivité) et externes (ouverture sur la société). Finalement, l’exposé du programme de recherche ici proposé est certainement perfectible, mais on attend avec intérêt ses prochains développements