Une synthèse des évolutions de deux politiques qui ont un impact sur les quartiers d’habitat social : la politique d’immigration et la politique de la ville.

Cet ouvrage de vulgarisation, écrit à deux, a le mérite de synthétiser de manière très claire les évolutions de deux politiques qui ont un impact sur les quartiers d’habitat social et leurs habitants : la politique d’immigration et la politique de la ville. Il est coécrit par deux spécialistes de ces questions : Catherine Wihtol de Wenden, politologue et juriste spécialiste des questions de migrations et Sophie Body-Gendrot, politologue et américaniste travaillant principalement sur les questions de violences urbaines, d’ethnicité et sur les modes de régulations des conflits urbains en France et aux États-Unis. En outre, il est utilement complété en annexe par une série de témoignages d’acteurs de terrain (médiateur, gendarme, régisseur de quartier…).

Les deux auteurs prennent le soin de rappeler en introduction la diversité des "banlieues" (le terme même étant mis en débat), tant du point de vue de leur composition sociale que de leur situation urbaine et de leur configuration architecturale. Leur postulat de départ est le suivant : "politique de l’immigration et politique de la ville se télescopent." Partant de là, les auteurs décrivent les évolutions de chacune de ces deux politiques depuis la construction des grands ensembles dans l’après-guerre.

Selon elles, le "choix français de traiter en priorité des territoires pour résoudre le problème des habitants aux origines diverses" n’est pas le bon. "La réponse, élaborée au sommet de l’État à partir d’une utopie de mixité sociale est inadaptée à la réalité" : c’est ce qui amène les auteurs à parler de "tyrannie des territoires". Il s’agit là d’un débat classique sur la politique de la ville : est-il plus opportun de mettre en œuvre un traitement du "hard", c’est-à-dire un ensemble de mesures physiques portant sur les lieux, ou bien des actions sur les gens, plus proches du développement social, de l’action économique ou culturelle ? People versus place peut-on lire ailleurs. Sur ce point, les auteurs se positionnent clairement dans la continuité de la plupart des travaux menés actuellement par les sociologues ou politologues qui prônent le renforcement d’actions visant à mettre les gens en mouvement, à renforcer leur capacité d’action et d’innovation   .


Une lecture historique des banlieues sous l’angle de l’immigration

Catherine Wihtol de Wenden distingue trois périodes dans l’histoire des banlieues confrontées à l’immigration : "la période 1974-1983 de la suspension de l’immigration de travail à la marche des beurs ; la période 1984-1995, de l’effervescence des expressions civiques des jeunes de banlieues à la menace terroriste islamique ; enfin les années 1996-2006, où ces nouveaux français se voient refuser le bénéfice des idéaux républicains qu’on leur a souvent rappelés." Elle retrace les éléments marquants de ces périodes, les deux premières étant marquées par la suspension de l’immigration de travailleurs salariés en 1974, la marche des beurs qui partent de Marseille pour arriver à la Bastille en décembre 1983, le vote en 1984 de la carte de résident d’une validité de dix ans fondée sur le séjour antérieur et non sur l’emploi, la montée en puissance d’associations telles que SOS racisme dans la seconde moitié des années 1980…

C’est la conquête de nouveaux droits qui marque les années 1980 qui se concluent néanmoins par l’émergence d’une méfiance vis-à-vis de l’islam. En effet, progressivement, l’immigration est stigmatisée et un amalgame s’instaure à la fin des années 1990 entre délinquance, banlieue et islamisme. On assiste alors à une progression du Front National faisant campagne sur les thèmes de l’insécurité et des coûts sociaux de l’immigration. Parallèlement, une politique publique de lutte contre les discriminations peine à se mettre en place malgré les évidences en matière d’accès au logement, de relations avec la police et d’emploi. La réponse des partis politiques se limite alors à l’ouverture (pour le moins parcimonieuse) de leurs états-majors aux nouvelles élites issues de l’immigration, Malek Boutih en étant la figure la plus médiatique. Mais au-delà de cet affichage ethnique, peu d’actions réelles visant la lutte contre les discriminations se mettent en place au début des années 2000.

Ce sont les émeutes   de 2005 qui viennent questionner le modèle d’intégration républicaine jusqu’alors très peu remis en cause dans les discours officiels. Selon l’auteur, si les causalités explicatives de ces événements sont multiples et enchevêtrées, la dimension liée à l’expression "d’une frustration extrême face aux inégalités sociales" est certainement centrale. On ne peut alors que constater l’énorme décalage entre les revendications des populations issues de l’immigration et habitant en banlieue (demande de reconnaissance et de participation, renforcement de la lutte contre les discriminations) et les réponses politiques apportées. Contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là, ces populations ne contestent pas le modèle républicain proposé mais le fait que celui-ci reste pour le moins largement théorique.


Les évolutions de la politique de la ville

Sophie Body-Gendrot s’attache à nous livrer une histoire de la politique de la ville, depuis ses fondements en 1977 avec la création du comité "Habitat et vie sociale" jusqu’à la mise en place de l’Agence nationale pour la Rénovation Urbaine en 2004. Au cours de ces trente ans de politique de la ville se sont succédés nombreux dispositifs et procédures : contrats de développement social des quartiers, contrats de ville, zones franches urbaines, contrats locaux de sécurité, opérations de renouvellement urbain, grands projets de ville… Ces années d’expérimentation successives ont également été l’occasion de créer de multiples institutions en charge de la définition et de la mise en œuvre de cette politique : Conseil national des villes, délégation interministérielle à la ville, comités interministériels pour les villes, ministère de la ville, sous-préfets ville…

Quatre éléments conclusifs ressortent de cette approche historique. En premier lieu, la politique de la ville a servi de cadre pour la modernisation de l’action publique. Le choix de la contractualisation est une nouvelle manière de "désigner l’adaptation locale de normes centrales à travers l’élaboration de projets négociés."

Ensuite, et comme l’a une nouvelle fois rappelé le récent rapport de la Cour des comptes sur le sujet (ne constituant ainsi qu’une "piqûre de rappel" suite aux rapports précédents de l’institution), cette politique a été victime d’un foisonnement d’actions disparates et peu ciblées, d’une complexité croissante et continue des procédures de sorte que l’on doit "parler des politiques de la ville". Alternativement et concomitamment à caractère social, urbain, économique, les actions menées ont oscillé au gré des gouvernements successifs.

En troisième lieu, on note que les questions de sécurité ont joué un rôle central dans l’évolution de cette politique rythmée au gré des épisodes violents qui surgissent dans les banlieues depuis les évènements des Minguettes durant l’été 1981 jusqu’à la vague d’émeutes de l’automne 2005. Les réponses apportées ont également largement évolué, des premières politiques de prévention sociale aux politiques de sécurité en passant par la multiplication d’actions de prévention. Ce point est largement développé par l’auteur spécialiste des questions de violences urbaines qui montre en particulier que si l’on peut parler d’échec de la police de proximité, c’est largement autant pour des raisons de mise en œuvre (policiers inexpérimentés, sans connaissance de leurs territoires d’intervention…) que de philosophie même de cette politique.

Enfin, le choix fait par Jean-Louis Borloo en 2003 de mettre clairement l’accent sur les actions urbaines et architecturales, au détriment des politiques sociales, est dénoncé parce que jugé largement insuffisant bien que nécessaire dans certains cas.

"Changer de discours sur les quartiers sensibles, apprendre à regarder l’excédent de vitalité de la jeunesse, la richesse des cultures et des générations" doivent devenir des objectifs. On regrettera néanmoins l’absence de propositions innovantes, les pistes proposées constituant principalement en une reprise et une mise en œuvre accentuée de mesures déjà expérimentées dans l’histoire de la politique de la ville. Mais n’est-ce pas in fine de continuité dont a besoin cette politique, perpétuellement dans une posture réflexive, qui n’a eu de cesse d’innover ?


*Sur le même thème, vous pouvez également lire la critique du livre Maintien de l'ordre, par Camille Putois.

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