Un ouvrage éclairant du chercheur à l'IRIS sur les conséquences de la Chute du mur sur la géopolitique de l'Europe et les relations franco-allemandes.

A quelques mois des célébrations du XXe anniversaire de la Chute du mur de Berlin, Pierre Verluise, chercheur à l’IRIS et fondateur du site diploweb.com, livre une réflexion sur les mutations géopolitiques de l’Europe depuis 1989. Le 9 novembre 1989 est une date clef qui signe en effet une rupture : celle de la fin de la domination soviétique sur les pays d’Europe de l’Est. Par enchaînement suivront l’implosion de l’URSS en 1991 (mais aussi la destitution de Jivkov en Bulgarie, la chute de Nicolas Ceauscescu…)

 "La Chute du mur marque autant la fin d’une époque que la première pierre d’une nouvelle Europe, voire d’un nouveau monde. Depuis 1989 le centre de gravité géopolitique de l’Europe s’est déplacé vers l’est mais le centre de gravité institutionnel a glissé vers l’Ouest", écrit l’auteur. Car si le pacte de Varsovie et le Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM) ont disparu, subsistent l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Europe communautaire. Une Europe qui s’élargira bientôt, tout comme l’OTAN, aux pays d’Europe centrale et orientale.

Pierre Verluise revient sur les évènements qui ont été déterminants pour reconfigurer l’Europe post-Guerre froide. Dans un chapitre consacré à la "victoire américaine", Pierre Verluise défend la thèse selon laquelle les Etats-Unis "en déployant des stratégies en Europe" y jouent un rôle majeur  dans les élargissements futurs  ; l’élargissement de l’OTAN qu’ils ont soutenu exerce en effet une forte pression sur l’UE. "Washington crée une situation politique lourde de conséquences sur les représentations, les fonctions et les relations entre ces deux organisations". Par ricochet, la France même devra accepter de modifier sa stratégie. L’OTAN loin d’être moribonde retrouve un nouvel élan. "Les dirigeants français ont donc été obligés de faire le deuil de leur objectif initial et de se rapprocher assez maladroitement de l’OTAN à partir de 1995 jusqu’au retour dans la structure militaire intégrée en 2009".

L’auteur réserve également un chapitre aux relations franco-allemandes et à la nouvelle géopolitique européenne.  Il revient sur l’erreur d’analyse du président Mitterrand au moment où RFA et RDA sont sur le point de se réunifier et relate la visite de François Mitterrand à Kiev le 6 décembre 1989 pour rencontrer MikhaÏl Gorbatchev. "Il pensait s’assurer de l’hostilité de son interlocuteur à l’égard de la réunification et s’efforça de le convaincre de l’accompagner à Berlin-Est pour une démarche conjointe de soutien au régime est-allemand". Cette visite sera suivie par un déplacement en RDA du 20 au 22 décembre 1989 au cours duquel Mitterrand déclare lors d’un dîner officiel : "République démocratique d’Allemagne et France, nous avons encore beaucoup à faire ensemble !"


Selon l’auteur, l’hostilité de la France envers la réunification aurait prouvé à l’Allemagne que « les Etats-Unis sont l’allié fidèle des jours difficiles ». Ce lien avec les Etats-Unis ne s’affaiblira pas même après la guerre en Irak. "L’échec majeur de la France est de ne pas avoir réussi à détacher l’Allemagne des Etats-Unis", écrit l’auteur dans une analyse qu’il faudrait sans doute nuancer davantage. Pour Pierre Verluise, la gestion de l’après rideau de fer, loin de rapprocher Paris et Berlin (qui défend ardemment l’élargissement devant lequel les français sont peu enthousiastes), aurait selon lui, ouvert "une période difficile pour les relations franco-allemandes"  dans un contexte ou la France se retrouve "relativement isolée", "La France a peiné à comprendre la nouvelle configuration géopolitique et ses opportunités. Alors que Paris avait une carte à jouer dans les pays d’Europe balte, centrale et orientale-parce que ses passifs historiques y sont moindres que ceux de Berlin-l’antiaméricanisme récurrent de Paris et son tropisme russe sous-jacent se sont additionnés pour marginaliser son approche".

Quels sont alors les défis européens dans ce nouveau contexte ? Les questions institutionnelles, les éventuels élargissements, le renforcement de la place de l’UE dans le monde bien sûr, mais il faut souligner aussi, pointe l’auteur, "le déficit d’interconnaissance, le grand besoin d’interculturalité autour des questions européennes aussi bien au niveau des institutions que des entreprises ou des citoyens".

20 ans après la chute du mur, persiste "une tendance à conserver une perception exclusivement nationale voire émotionnelle d’enjeux qui sont maintenant également communautaire", affirme-t-il.

L’auteur livre dans cet ouvrage une analyse bien argumentée de l’Europe recomposée qui vaut par la richesse des informations et la qualité des témoignages. Pierre Verluise a le mérite d’ouvrir un large débat sur la suite à donner désormais au projet européen