Entre soulagement des tourments et guérison des maladies, bouddhisme et médecine, la "méditation de la pleine conscience" cherche encore sa voie.

"Au cœur de la tourmente, la pleine conscience : MBSR, la réduction du stress basée sur la mindfulness" est la traduction récente aux éditions De Boeck, dans la collection "Carrefour des Psychothérapies", d’un ouvrage de Jon Kabat-Zinn publié en 1990 aux Etats-Unis sous le titre "Full Catastrophe Living :  Using the Wisdom of Your Body and Mind to Face Stress, Pain, and Illness". Il s’agit de la présentation, en un peu moins de 600 pages, d’un programme structuré de réduction du stress dont la réputation s’est développée ces dernières années : le MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), conçu en 1979 à l’université du Massachussetts et qui continue d’y être développé au sein du Center for Mindfulness in Medicine, Health Care and Society. L’ouvrage précise qu’environ 18000 patients ont depuis ses origines suivi le programme.

Jon Kabat-Zinn est tout à la fois un authentique chercheur, qui a publié dans de grandes revues internationales   , un clinicien, un enseignant, un vulgarisateur, et un pratiquant de ce qu’il professe. C’est sans doute ce cocktail qui fait sa force, et contribue à la diffusion de sa méthode. Le MBSR, et son application à la prévention des rechutes dépressives le MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy)   , ont fait l’objet depuis la publication princeps de 1982 de plusieurs dizaines d’articles scientifiques et il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une voie de recherche intéressante, une application thérapeutique typique des avancées de la "psycho-neuro-immunologie". A la différence de nombreux ouvrages qui nous promettent de devenir beaux, riches, célèbres et immortels en travaillant 5 minutes par jour pendant 2 semaines, Kabat-Zinn précise clairement que son programme n’est ni une potion magique, ni une aimable détente. C’est un entraînement intensif    (45 à 60 minutes de pratique quotidienne durant 8 semaines, avant de poursuivre sur un rythme similaire pour la suite de sa vie), à propos duquel l’auteur précise "l’esprit d’implication que nous demandons à nos patients pendant leurs huit semaines à la clinique de réduction du stress est semblable à celui exigé dans un entraînement athlétique   . […] Il n’y a pas de solution simpliste ou rapide au problème du stress. A la base, le stress fait naturellement partie de la vie, et on ne peut pas plus y échapper qu’à la condition humaine"   . "No pain, no gain", comme disent les culturistes. Et ce qu’il s’agit ici de cultiver, c’est précisément cette capacité de pleine conscience, que Kabat-Zinn définit dans une publication scientifique   sur le MBSR comme "l’effort de prêter attention de façon intentionnelle et non jugeante à l’expérience du moment présent et de soutenir cette attention dans la durée. L’objectif est de cultiver une conscience immédiate du moment présent, stable et non réactive. Ceci est habituellement obtenu par une discipline quotidienne impliquant des pratiques formelles et informelles de la, et en, pleine conscience". .

Même si l’on aurait parfois aimé plus de synthèse et moins d’anecdotes et que l’on aurait souhaité avoir les références des nombreuses études scientifiques citées autrement que par les seuls noms de leurs auteurs, l’ouvrage est globalement honnête, agréable à lire, et il ne promet pas plus, si on le lit en détail, que ce qu’il peut tenir. Certaines ambigüités, malheureusement classiques dans le domaine des méthodes « corps-esprit », peuvent cependant persister à l’occasion d’une lecture trop rapide. C’est ainsi par exemple qu’il faut attendre le bas de la page 230 (située dans la deuxième partie qui présente "le paradigme : une nouvelle façon de penser la santé et la maladie")   pour apprendre que "guérir, dans le sens où nous utilisons ce mot ici, ne veut pas dire "soigner", même si ces deux mots sont souvent interchangeables. […] Il y a peu, voire pas, de soins   qui soignent de façon absolue les maladies chroniques ou les troubles en lien avec le stress. Alors qu’il peut ne pas être possible pour nous de nous soigner ou de trouver quelqu’un qui puisse le faire, il nous est possible de nous guérir. Guérir implique la possibilité pour nous d’établir une relation différente à la maladie, à l’incapacité, même à la mort, dans la mesure où nous apprenons à voir la totalité"   . Une acception bien particulière donc de la guérison   , qui ne vient peut être pas nécessairement spontanément à l’esprit du lecteur qui a manqué le dernier paragraphe de la page 230, et qui pourrait "innocemment" croire qu’il s’agit vraiment de guérir.

Ce "détail" terminologique n’est pas sans conséquences sur les interprétations qui peuvent être faites par les lecteurs, et le problème s’aggrave dès qu’un support grand public intervient dans la boucle. Le numéro de Juin 2009 de Psychologies Magazine en est une illustration. Annonçant son dossier spécial de 10 pages réalisé à l’occasion de la parution de l’ouvrage, le magazine donne le ton en titrant en couverture "C’est prouvé, méditer guérit le corps aussi". Et poursuit dans une interview de Jon Kabat-Zinn en lui demandant "Quelles maladies la méditation guérit-elle ?"   . Même si la réponse de Kabat-Zinn précise qu’il ne s’agit pas nécessairement de "restaurer l’organisme pour qu’il soit comme avant la maladie ou l’accident (to cure en anglais) mais plutôt d’accepter et assumer la situation telle qu’elle est, avec ses maux, mais dans le plus grand confort possible (to heal)", il n’en demeure pas moins que l’ambigüité persiste, surtout lorsque l’interview est titrée "La méditation renforce l’immunité". Elle se renforce encore lorsque le journaliste affirme, à propos de l’utilisation du MBSR dans le traitement du psoriasis que "par rapport à un groupe de patients n’ayant bénéficié que du traitement classique, les patients méditant ont guéri en moyenne quatre fois plus vite !", lors même que la publication princeps   , signée de Kabat-Zinn lui-même, concluait que "l’attribution de ces résultats aux seuls éléments de l’intervention de réduction du stress doit être considérée comme un résultat préliminaire et exploratoire. Il faudra attendre d’autres recherches pour pouvoir attribuer de façon définitive [les effets observés] à des facteurs psychologiques spécifiques, tels que des éléments de la pratique de la méditation".


Cette tendance à faire relever les techniques corps-esprit de la magie plus que la thérapeutique n’est pas spécifique du Mindfulness, loin s’en faut. Les racines bouddhistes de l’approche peuvent cependant contribuer à l’aggraver   , et on peut regretter que l’ouvrage de Kabat-Zinn laisse parfois prise à ce type de glissement. Segal, Williams et Teasdale dans leur présentation du MBCT sont à cet égard plus rigoureux   .
Nonobstant ces quelques imprécisions, et la nécessaire vigilance qu’elles appellent dans le recours thérapeutique aux techniques de méditation, « Au cœur de la tourmente, la pleine conscience » est une bonne introduction générale à leurs principes, que l’on complètera utilement par d’autres ouvrages plus récents, qui s’appuient sur les résultats des très nombreuses études des 10 dernières années.