Alors que l’Université est en crise, la revue du MAUSS a réuni des contributions utilement complémentaires, pour aider à penser un diagnostic et des perspectives.

Le mal de vivre accable depuis de longues années le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche. Misère budgétaire, désarroi stratégique, angoisse de la massification, dissension corporative se conjuguent avec la perception très fondée d'être incompris voire méprisé par la représentation politique.

Vantée par le Premier ministre comme "peut-être la plus importante" de la législature en cours, la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités promulguée en 2007 avait quelque peu troublé les lignes. L'autonomie et le milliard promis n'étaient pas sans attraits. Patatras, le projet de décret relatif au statut d’enseignant-chercheur du supérieur et les accents grossiers du discours prononcé par le président de la République le 22 janvier ont entraîné un long et intense mouvement de contestation, dont il est à ce stade difficile d'analyser les effets à long terme. En fait, établir un diagnostic irréfutable de l'état de l'Université française s'avère particulièrement ardu.

La Revue du MAUSS
nous livre à cette fin une contribution foisonnante et judicieusement organisée. Quelques points font ainsi consensus parmi les auteurs, de l'attachement au statut original de l'universitaire à la critique des modes simplistes d'évaluation. Mais le lecteur profite aussi d'une réelle diversité des opinions exprimées. Olivier Beaud y côtoie Ahmed Insel, Fabrice Flipo, Sandrine Garcia, etc., chacun de ces frottements stimulant l'esprit critique. C'est ainsi du Japon qu'Hitoshi Yakusin signale des inquiétudes similaires mais critique un tropisme corporatif auquel il oppose l'esprit républicain. Et la revue ouvre, belle habileté, par de remarquables extraits du discours inaugural de Drew Gilpin Faust, prenant en 2007 ses fonctions de présidente d'Harvard, qui évoque "un enseignement qui modèle la vie (...), façonne l'avenir" et conteste la standardisation d'évaluations appauvrissantes. "Nos engagements sont intemporels et nous sommes mal à l'aise pour les justifier en terme instrumentaux". "Nous avons besoin d'avoir l'initiative de la définition de ce dont nous sommes responsables" ajoute-t-elle.

S'attachant à décrire la réalité universitaire, François Vatin donne à comprendre quelques singularités de l'Université française : balkanisation disciplinaire, inflation des diplômes, absence de sélection initiale. Mais aussi évitement de l'Université pour nombre d'étudiants, dès qu'ils en ont le choix. L'auteur réfute l'idée d'une crise interne à l'Université, jugeant que c'est la place de celle-ci dans le supérieur qui est le premier enjeu. Christine Musselin inscrit ensuite le mouvement français dans le contexte européen. La présidente du Réseau d'études sur l'enseignement supérieur distingue de réelles convergences entre les systèmes nationaux, mais aussi des particularités persistantes dans le processus, comme le contenu des réformes. Ainsi la loi LRU néglige-t-elle les directeurs de composantes, dont le rôle a ailleurs été actualisé.

Pour permettre de mieux comprendre le métier et l'identité universitaire, Olivier Beaud et plus loin Vincent Descombes ont accepté la publication par la revue d'articles déjà lus ailleurs. Quelques pages suffisent à mettre en pièce l'argumentation gouvernementale. Nous sommes l'Université, nous n'en sommes pas les employés, disent-ils en substance. La régulation institutionnelle par les pairs vaut mieux que le marché montre avec d’autres Olivier Favereau, à travers l'exemple des services juridiques, dans un parallèle éclairant.

Plusieurs papiers s'attaquent aux mirages de l'évaluation quantitative et particulièrement à la mode de la bibliométrie. La charge est parfois exagérée. Les indicateurs chiffrés ne sont pas devenus l'alpha et l'oméga de tout jugement officiel. Le processus de Bologne n'a pas été conçu à partir des présupposés fondant la stratégie "compétitive" de Lisbonne. Mais les absurdités du classement de Shanghaï ou du facteur H (pour Jorge Hirsch) sont efficacement relevées, avec une ironie teintée d'anxiété.

L'autonomie des établissements est abordée avec plus de nuances. "La liberté dans la pénurie, cela ne marche pas" écrit d'abord Thomas Piketty, contestant une "cynique politique de gribouille". Révélant d'abord la variété des situations et des statuts derrière la "fiction arrangeante de l'égalité", Yves Lichtenberger et Catherine Paradeise plaident quant à eux pour "accepter le pari de la responsabilité" et "construire par la délibération". Continuité plutôt que rupture dans la réforme de l'Université, la loi LRU n'est pas décrite négativement. Mais sa réussite butte sur les défauts de l'administration centrale et sur l'incapacité des acteurs universitaires à partager des objectifs.

La conclusion de la revue ébauche onze propositions, sous la plume d'Alain Caillé et de François Vatin. Réorganiser les cursus pour, notamment, placer l'Université au centre de l'enseignement supérieur, réorganiser les disciplines dont le nombre serait restreint, avancer vers un statut commun aux chercheurs et enseignants-chercheurs, revoir l'organisation et le financement universitaire forment un corpus modérément original. Mais c'est sur ce socle qu'ont été rédigés un manifeste puis un appel largement contresignés, qui représentent, dans la morosité ambiante, l'une des rares démarches constructives aujourd'hui proposées pour bâtir l'avenir de l'Université